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Les mystères du peuple, Tome III. Эжен Сю
Читать онлайн.Название Les mystères du peuple, Tome III
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Эжен Сю
Жанр История
Издательство Public Domain
-«Vous l'avez dit… je le suis 12,» – répondit le jeune maître en souriant.
Geneviève avait entendu Jésus dire, qu'ainsi que tous les hommes, ses frères, il était fils de Dieu; de même aussi que les druides nous enseignent que tous les hommes sont fils d'un même Dieu. Quelle fut donc la surprise de l'esclave, lorsqu'elle vit le prince des prêtres, dès que Jésus lui eut répondu qu'il était fils de Dieu, se lever, déchirer sa robe avec toutes les marques de l'épouvante et de l'horreur, s'écriant en s'adressant aux membres du tribunal!
–Il a blasphémé… qu'avons-nous plus besoin de témoins? Vous venez vous-mêmes de l'entendre blasphémer, qu'en jugez-vous?
-Il a mérité la mort 13!
Telle fut la réponse de tous les juges de ce tribunal d'iniquité… Mais les voix du docteur Baruch et du banquier Jonas dominaient toutes les voix, ils criaient en frappant du poing le marbre du tribunal:
–À mort le Nazaréen! il a mérité la mort!
–Oui, oui! – répétèrent les miliciens et les serviteurs du grand-prêtre-il a mérité la mort! À mort le maudit!
–Conduisez à l'instant le criminel devant le seigneur Ponce-Pilate, gouverneur de Judée, pour l'empereur Tibère, – dit Caïphe aux soldats, – lui seul peut ordonner le supplice du condamné.
À ces mots du prince des prêtres, on entraîna le fils de Marie hors de la maison de Caïphe pour le conduire devant Pilate.
Geneviève, confondue parmi les serviteurs, suivit les soldats. En passant sous la voûte de la porte, elle vit Pierre, ce lâche disciple du jeune maître (le moins lâche de tous, cependant, pensait-elle, puisque seul, du moins, il l'avait suivi jusque-là), elle vit Pierre détourner les yeux, lorsque Jésus, cherchant le regard de son disciple, passa devant lui emmené par les soldats… Une des servantes de la maison reconnaissant Pierre, lui dit:
-Vous étiez aussi avec Jésus le Galiléen 14?
Et Pierre, rougissant et baissant les yeux, répondit:
-Je ne sais ce que vous dites 15.
Un autre serviteur, entendant la réponse de Pierre, reprit en le désignant aux autres assistants:
-Je vous dis, moi, que celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth 16.
-Je jure! – s'écria Pierre, – je jure que je ne connais pas Jésus de Nazareth 17.
Le coeur de Geneviève se soulevait d'indignation et de dégoût; ce
Pierre, par lâche faiblesse ou par peur de partager le sort de son maître, le reniant deux fois et se parjurant pour cette indignité, était à ses yeux le dernier des hommes; plus que jamais elle plaignait le fils de Marie d'avoir été trahi, livré, abandonné, renié par ceux-là qu'il aimait tant. Elle s'expliquait ainsi la tristesse navrante qu'elle avait remarquée sur ses traits. Une grande âme comme la sienne ne devait pas redouter la mort, mais se désespérer de l'ingratitude de ceux qu'il croyait ses amis les plus chers.
L'esclave quitta la maison du prince des prêtres où était resté Pierre, le renégat, et rejoignit bientôt les soldats qui emmenaient Jésus. Le jour commençait à poindre; plusieurs mendiants et vagabonds qui avaient dormi sur des bancs placés de chaque côté de la porte des maisons, s'éveillèrent au bruit des pas des soldats qui emmenaient le jeune maître. Un moment Geneviève espéra que ces pauvres gens, qui le suivaient en tous lieux, l'appelaient leur ami, et sur le malheur desquels ils s'apitoyait si tendrement, allaient avertir leurs compagnons afin de les rassembler pour délivrer Jésus; aussi dit-elle à l'un de ces hommes:
–Ne savez-vous pas que ces soldats emmènent le jeune maître de Nazareth, l'ami des pauvres et des affligés? On veut le faire mourir, courez le défendre… délivrez-le! soulevez le peuple! ces soldats fuiront devant lui.
Mais cet homme répondit d'un air craintif:
–Les miliciens de Jérusalem fuiraient peut-être; mais les soldats de Ponce-Pilate sont aguerris, ils ont de bonnes lances, d'épaisses cuirasses, des épées bien tranchantes… que pouvons-nous tenter?
–Mais l'on se soulève en masse, on s'arme de pierres, de bâtons! – s'écria Geneviève, – et du moins vous mourrez pour venger celui qui a consacré sa vie à votre cause!
Le mendiant secoua la tête, et répondit pendant qu'un de ses compagnons se rapprochait de lui:
–Si misérable que soit la vie, on y tient… et c'est vouloir courir à la mort que d'aller frotter nos haillons aux cuirasses des soldats romains.
–Et puis, – reprit l'autre vagabond, – si Jésus de Nazareth est un messie, comme tant d'autres l'ont été avant lui, et comme tant d'autres le seront après lui… c'est un malheur si on le tue… mais l'on ne manque jamais de messies dans Israël…
–Et si on le met à mort! – s'écria Geneviève, – c'est parce qu'il vous a aimés… c'est parce qu'il a plaint vos malheurs… c'est parce qu'il a fait honte aux riches de leur hypocrisie et de leur dureté de coeur envers ceux qui souffrent!
–C'est vrai; il nous prédit sans cesse le royaume de Dieu sur la terre, – répondit le vagabond en se recouchant sur son banc ainsi que son camarade, afin de se réchauffer aux rayons du soleil levant; – cependant ces beaux jours qu'il nous promet n'arrivent pas… et nous sommes aussi gueux aujourd'hui que nous l'étions hier.
–Eh! qui vous dit que ces beaux jours, promis par lui, n'arriveront pas demain? – reprit Geneviève?.. – ne faut-il pas à la moisson le temps de germer, de grandir, de mûrir?.. Pauvres aveugles impatients que vous êtes!.. Songez donc que laisser mourir celui que vous appeliez votre ami, avant qu'il ait fécondé les bons germes qu'il a semés dans tant de coeurs, c'est fouler aux pieds, c'est anéantir en herbe une moisson peut-être magnifique…
Les deux vagabonds gardèrent le silence en secouant la tête, et Geneviève s'éloigna d'eux, se disant avec un redoublement de douleur profonde:
–Ne rencontrerai-je donc partout qu'ingratitude, oubli, lâcheté, trahison! Oh! ce n'est pas le corps de Jésus qui sera crucifié, ce sera son coeur…
L'esclave se hâta de rejoindre les soldats, qui se rapprochaient de plus en plus du palais de Ponce-Pilate. Au moment où elle doublait le pas, elle remarqua une sorte de tumulte parmi les miliciens de Jérusalem qui s'arrêtèrent brusquement. Elle monta sur un banc de pierre, et vit Banaïas seul, à l'entrée d'une arcade assez étroite que les soldats devaient traverser pour se rendre chez le gouverneur, leur barrant audacieusement le passage, en faisant tournoyer autour de lui son long bâton, terminé par une masse de fer.
–Ah! celui-là, du moins, n'abandonne pas celui qu'il appelait son ami! – pensa Geneviève.
–Par les épaules de Samson! – criait Banaïas de sa voix retentissante, – si vous ne mettez pas sur l'heure notre ami en liberté, miliciens de Belzébuth! je vous bats aussi dru que le fléau bat le blé sur l'aire de la grange!.. Ah si j'avais eu le temps de rassembler une bande de compagnons aussi résolus que moi à défendre notre ami de Nazareth, c'est un ordre que je vous adresserais au lieu d'une simple prière, et cette simple prière, je la répète: Laissez libre notre ami, ou sinon, par la mâchoire dont se servit Samson, je vous assomme tous comme il a assommé les Philistins!
–Entendez-vous ce scélérat? Il appelle cette audacieuse menace une prière! – s'écria l'officier commandant les miliciens, qui se tenait prudemment au milieu de sa troupe; – percez ce misérable de vos lances… Frappez-le de vos épées s'il ne vous livre passage!
Les miliciens de Jérusalem n'étaient
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