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comme vous peut-être, – dit Geneviève. – Et votre maître où est-il?

      –Là, dans le bois d'oliviers, où il vient souvent méditer; ce soir, il s'est senti saisi d'une tristesse insurmontable… il a voulu être seul et s'est retiré sous ces arbres, après nous avoir à tous recommandé de veiller…

      –Il prévoyait sans doute le danger qui le menace, – s'écria Geneviève. – Et vous n'avez pas eu la force de résister au sommeil?..

      –Non; moi et mes compagnons nous avons vainement lutté… notre maître est venu deux fois nous réveiller, nous reprochant doucement de nous endormir ainsi… puis il s'en est allé de nouveau méditer et prier sous ces arbres…

      –Les miliciens! – s'écria Geneviève en voyant la lueur des flambeaux se rapprocher de plus en plus; – les voilà!.. il est perdu! à moins qu'il ne reste caché dans le bois… ou que vous vous fassiez tuer tous pour le défendre… Êtes-vous armés?

      –Nous n'avons pas d'armes, – répondit le disciple commençant à trembler; – et puis, essayer de résister à des soldais, c'est insensé!..

      –Pas d'armes! – s'écria Geneviève indignée; – est-ce qu'il est besoin d'armes? est-ce que les cailloux du chemin! est-ce que le courage ne suffisent pas pour écraser ces hommes?

      –Hélas! nous ne sommes pas gens d'épée, – dit le disciple en regardant autour de lui avec inquiétude, car déjà les miliciens étaient assez près de là pour que leurs torches éclairassent en partie Geneviève, le disciple et plusieurs de ses compagnons, qu'elle aperçut alors, ça et là, endormis au pied des arbres. Ils s'éveillèrent en sursaut à la voix de leur camarade, effrayé, qui les appelait, allant de l'un à l'autre.

      Les miliciens accouraient en tumulte; voyant à la lueur des flambeaux plusieurs hommes, les uns encore couchés, les autres se relevant, les autres debout, ils se précipitèrent sur eux, les menaçant de leurs épées et de leurs bâtons, car quelques-uns n'étaient armés que de bâtons, et tous criaient:

      –Où est le Nazaréen?.. dis-nous, Judas, où est-il?..

      Le traître et infâme disciple, après avoir examiné à la lueur des torches ses anciens compagnons, retenus prisonniers, dit à l'officier.

      –Le jeune maître n'est pas parmi ceux-ci.

      –Nous échapperait-il cette fois? – s'écria l'officier. – Par les colonnes du Temple! tu nous a promis de nous le livrer, Judas; tu as reçu le prix de son sang, il faut que tu nous le livres!

      Geneviève s'était tenue à l'écart; tout à coup elle vit à quelques pas, du côté du bois d'oliviers, comme une forme blanche qui, se détachant des ténèbres, s'approchait lentement vers les soldats. Le coeur de Geneviève se brisa; c'était sans doute le jeune maître, attiré par le bruit du tumulte. Elle ne se trompait pas. Bientôt elle reconnut Jésus à la clarté des torches; sur sa figure douce et triste on ne lisait ni crainte ni surprise.

      Judas fit un signe d'intelligence à l'officier, courut au devant du jeune homme de Nazareth, et lui dit en l'embrassant:

      -Je vous salue… mon maître! 1

      À ces mots, ceux des miliciens qui n'étaient pas occupés à retenir prisonniers les disciples, qui tâchaient en vain de fuir, se rappelant les recommandations de leur officier au sujet des sortiléges infernaux que Jésus pourrait peut-être employer contre eux, le regardaient avec crainte, hésitant à s'approcher de lui pour s'en emparer; l'officier lui-même, se tenant derrière ses soldats, les excitait à se saisir de Jésus, mais il n'osait s'en approcher.

      Le jeune maître, calme, pensif, fit quelques pas au devant de ces gens armés, et leur dit:

      «-Qui cherchez-vous?»

      –Nous cherchons Jésus, – répondit l'officier restant toujours derrière ses soldats; – nous cherchons Jésus de Nazareth.

      «-C'est moi,» – dit le jeune maître en faisant un pas vers les soldats. – C'est moi.

      Mais les miliciens reculèrent effrayés.

      –Jésus reprit:

      «-Encore une fois, qui cherchez-vous?»

      –Jésus de Nazareth! – reprirent-ils tous d'une voix; – nous voulons prendre Jésus de Nazareth!

      Et ils reculèrent de nouveau.

      «-Je vous ai déjà dit que c'était moi, – répondit le jeune maître en allant à eux; – puisque vous me cherchez, prenez-moi, mais laissez aller ceux-ci 2,» – ajouta-t-il en montrant du geste ses disciples, toujours retenus prisonniers.

      L'officier fit un signe aux miliciens, qui ne semblaient pas encore tout à fait rassurés; cependant ils entourèrent Jésus pour le garrotter, tandis qu'il leur disait doucement:

      «-Vous êtes venus ici armés d'épées, de bâtons, pour me prendre, comme si j'étais un malfaiteur?.. J'étais pourtant tous les jours assis au milieu de vous, priant dans le temple… et vous ne m'avez pas arrêté 3…»

      Puis, de lui-même, il tendit ses mains aux liens dont on les garrotta. Les lâches disciples du jeune maître n'avaient pas eu le courage de le défendre; ils n'osèrent pas même l'accompagner jusqu'à sa prison, dès qu'ils ne furent plus contenus par les soldats, ils s'enfuirent de tous côtés 4.

      Un triste sourire effleura les lèvres de Jésus lorsqu'il se vit ainsi trahi, délaissé par ceux-là qu'il avait tant aimés et qu'il croyait ses amis.

      Geneviève, cachée dans l'ombre par le tronc d'un olivier, ne put retenir des larmes de douleur et d'indignation à la vue de ces hommes abandonnant si misérablement le jeune maître; elle comprit pourquoi les docteurs de la loi et les princes des prêtres, au lieu de le faire arrêter en plein jour, le faisaient arrêter durant la nuit: ils craignaient les colères du peuple et des gens résolus comme Banaïas; ceux-là n'auraient pas laissé enlever sans résistance l'ami des pauvres et des affligés.

      Les miliciens quittèrent le bois des oliviers, emmenant au milieu d'eux leur prisonnier; ils se dirigeaient vers la ville. Au bout de quelque temps, Geneviève s'aperçut qu'un homme, dont elle ne pouvait distinguer les traits dans les ténèbres, marchait derrière elle, et plusieurs fois elle entendit cet homme soupirer en sanglotant.

      Après être rentrés dans Jérusalem à travers les rues désertes silencieuses, comme elles le sont à cette heure de la nuit, les soldats se rendirent à la maison du prince des prêtres, où ils conduisirent Jésus. L'esclave, remarquant à la porte de Caïphe un grand nombre de serviteurs, se glissa parmi eux lors de l'entrée des soldats, et resta d'abord sous le vestibule, éclairé par des flambeaux. A cette lueur, elle reconnut l'homme qui, comme elle, avait, depuis le bois des oliviers, suivi l'ami des opprimés: c'était Pierre, un de ses disciples. Il semblait aussi chagrin qu'effrayé, les larmes inondaient son visage; Geneviève crut d'abord que cet homme serait du moins fidèle à Jésus, et qu'il témoignerait de son dévouement en accompagnant le jeune maître devant le tribunal de Caïphe. Hélas! l'esclave se trompait. A peine Pierre eut-il dépassé le seuil de la porte, qu'au lieu d'aller rejoindre le fils de Marie, il s'assit sur l'un des bancs du vestibule, au milieu des serviteurs de Caïphe 5, cachant sa figure entre ses mains.

      Geneviève, apercevant alors au fond de la cour une vive lumière s'échapper d'une porte au dehors de laquelle se pressaient les soldats de l'escorte, se rapprocha d'eux. Cette porte était celle d'une vaste salle, au milieu de laquelle s'élevait un tribunal éclairé par de nombreux flambeaux. Assises derrière ce tribunal, elle reconnut plusieurs des personnes qu'elle avait vues au souper chez Ponce-Pilate: les seigneurs Caïphe, prince des prêtres; Baruch, docteur de la loi; Jonas, sénateur et banquier, se trouvaient parmi les juges du jeune maître de Nazareth. Il fut conduit devant eux les mains

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<p>1</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVI, v. 47 et 49.

<p>2</p>

Évangile selon saint Jean, ch. XVIII, v. 4 et 8.

<p>3</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVI, v. 55.

<p>4</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVI, v. 56.

<p>5</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXXVI, v. 58.