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criait avec une furie croissante:

      –Crucifiez le Nazaréen!.. crucifiez-le!..

      Jésus, toujours calme, triste, pensif, semblait étranger à ce qui se passait autour de lui.

      –Sans doute, – se dit Geneviève, – il songe déjà aux mondes mystérieux, où l'on va renaître et revivre en quittant ce monde-ci.

      Le serviteur de Ponce-Pilate revint, tenant un vase d'argent d'une main et de l'autre un bassin; un second serviteur prit ce bassin, et, pendant que le premier serviteur y versait de l'eau, Ponce-Pilate trempa ses mains dans cette eau, en disant à haute voix:

      «-Je suis innocent de la mort de ce juste; c'est à vous d'y prendre garde… Quant à moi, je m'en lave les mains 32…»

      –Que le sang du Nazaréen retombe sur nous!.. – cria l'un des émissaires.

      -Oui… que son sang retombe sur nous et sur nos enfants 33!..

      –Prenez donc Jésus, et crucifiez-le vous-mêmes… – répondit Ponce-Pilate. – On va, puisque vous l'exigez, délivrer Barrabas.

      Et Ponce-Pilate rentra dans sa maison au bruit des acclamations de la foule, tandis que Caïphe, le docteur Baruch, le banquier Jonas et les autres pharisiens triomphants montraient le poing à Jésus.

      L'officier qui avait commandé l'escorte de miliciens chargés d'arrêter le fils de Marie dans le jardin des Oliviers, s'approchant de Caïphe, lui dit:

      –Seigneur, pour conduire le Nazaréen au Golgotha, lieu de l'exécution des criminels, nous aurons à traverser le quartier populeux de la porte Judiciaire; il se pourrait que le calme des partisans de ce séditieux ne fût qu'apparent… et qu'une fois arrivés dans ce quartier de vile populace, elle ne se soulevât pour délivrer le Nazaréen… Je réponds du courage de mes braves miliciens; ils ont déjà, ce matin, après un combat acharné, mis en fuite une grosse troupe de scélérats déterminés, commandée par un bandit nommé Banaïas, qui voulaient nous forcer à leur livrer Jésus… Pas un de ces misérables n'a échappé… malgré leur furieuse résistance…

      –Le lâche menteur! – se dit Geneviève en entendant cette vanterie de l'officier des miliciens, qui reprit:

      –Cependant, seigneur Caïphe, malgré la vaillance éprouvée de notre milice, il serait peut-être plus prudent de confier l'escorte du Nazaréen, jusqu'au lieu du supplice, à la garde romaine.

      –Je suis de votre avis, – répondit le prince des prêtres; – je vais demander, à l'un des officiers de Ponce-Pilate de faire garder le Nazaréen dans le prétoire de la cohorte romaine jusqu'à l'heure du supplice.

      Geneviève vit alors, pendant que le prince des prêtres allait s'entretenir avec un des officiers de Ponce-Pilate, le chef des miliciens se rapprocher de Jésus… bientôt elle entendit cet officier, répondant sans doute à quelques mots du jeune maître, lui dire d'un air railleur et cruel:

      –Tu es bien pressé de t'étendre sur la croix… Il faut d'abord qu'on la construise, et ce n'est pas fait en un tour de main… Tu dois le savoir mieux que personne, toi, en ta qualité d'ancien ouvrier charpentier.

      L'un des officiers de Ponce-Pilate, à qui le prince des prêtres avait parlé, vint alors trouver Jésus, et lui dit:

      –Je vais te conduire dans le prétoire de nos soldats; lorsque ta croix sera prête, on l'apportera, et sous notre escorte tu te mettras en route pour le Calvaire… Suis-nous!

      Jésus, toujours garrotté, fut conduit à peu de distance de là, par les miliciens, dans la cour où logeaient les soldais romains; la porte, devant laquelle se promenait un factionnaire, restant ouverte, plusieurs personnes qui avaient, ainsi que Geneviève, suivi le Nazaréen, demeurèrent en dehors pour voir ce qui allait advenir.

      Lorsque le jeune maître fut amené dans la cour du prétoire (on appelle ainsi les bâtiments où logent les soldats romains), ceux-ci étaient disséminés en plusieurs groupes: les uns nettoyaient leurs armes; les autres jouaient à plusieurs jeux; ceux-ci maniaient la lance sous les ordres d'un officier; ceux-là, étendus sur des bancs au soleil, chantaient ou causaient entre eux. On reconnaissait, à leurs figures bronzées par le soleil, à leur air martial et farouche, à la tenue militaire de leurs armes et de leurs vêtements, ces soldats courageux, aguerris, mais impitoyables, qui avaient conquis le monde, laissant derrière eux, comme en Gaule, le massacre, la spoliation et l'esclavage.

      Dès que ces Romains eurent entendu le nom de Jésus de Nazareth, et qu'ils le virent amené par l'un de leurs officiers dans la cour du prétoire, tous abandonnèrent leurs jeux et accoururent autour de lui.

      Geneviève pressentit, en remarquant l'air railleur et endurci de cette soldatesque, que le fils de Marie allait subir de nouveaux outrages. L'esclave se souvint d'avoir lu dans les récits laissés par les aïeux de son mari, Fergan, les horreurs commises par les soldats de César, le fléau des Gaules, elle ne doutait pas que ceux-là dont le jeune maître était entouré ne fussent aussi cruels que ceux des temps passés.

      Il y avait au milieu de la cour du prétoire un banc de pierre où ces Romains firent d'abord asseoir Jésus, toujours garrotté; puis, s'approchant de lui, ils commencèrent à le railler et à l'injurier:

      –Le voilà donc, ce fameux prophète! – dit l'un d'eux. – Le voilà donc, celui qui annonce que le temps viendra où l'épée se changera en serpe, et où il n'y aura plus de guerre! plus de bataille!

      –Plus de guerre! Par le vaillant dieu Mars, plus de guerre! – s'écrièrent d'autres soldais avec indignation. – Ah! ce sont là tes prophéties, prophète de malheur!

      –Plus de guerre! c'est-à-dire plus de clairons, plus d'enseignes flottantes, plus de brillantes cuirasses, plus de casques à aigrettes, qui attirent les regards des femmes!

      –Plus de guerre! c'est-à-dire plus de conquêtes!

      –Quoi! ne pouvoir plus essuyer nos bottines ferrées sur la tête des peuples conquis!

      –Ne plus boire leur vin en courtisant leurs filles comme ici, comme en Gaule, comme dans la Grande-Bretagne, comme en Espagne, comme dans tout l'univers, enfin!

      –Plus de guerre! Par Hercule! et que deviendraient donc les forts et les vaillants, Nazaréen maudit? ils iraient, selon toi, depuis l'aube jusqu'à la nuit, labourer la terre ou tisser la toile comme de lâches esclaves, au lieu de partager leur temps entre la bataille, la paresse, la taverne et l'amour?

      –Toi, qui te fais appeler le fils de Dieu, – dit un de ces Romains en menaçant du poing le jeune maître: – tu es donc le fils du dieu la Peur, lâche que tu es!

      –Toi, qui te fais appeler le roi des Juifs, tu veux donc être acclamé le roi de tous les poltrons de l'univers?

      –Camarades! – s'écria l'un des soldats en éclatant de rire, – puisqu'il est roi des poltrons, il faut le couronner.

      Cette proposition fut accueillie avec une joie insultante, plusieurs voix s'écrièrent aussitôt:

      –Oui, oui, puisqu'il est roi, il faut le revêtir de la pourpre impériale.

      –Il faut lui mettre le sceptre à la main, alors nous le glorifierons, nous l'honorerons à l'instar de notre auguste empereur Tibère.

      Et pendant que leurs compagnons continuaient d'entourer et d'injurier le jeune maître de Nazareth, insouciant de ces outrages, plusieurs soldats s'éloignèrent; l'un alla prendre le manteau rouge d'un cavalier; l'autre la canne d'un centurion, un troisième, avisant dans un coin de la cour un tas de broussailles destinées à être brûlées, y choisit quelques brins d'une plante épineuse, et se mit à en tresser une couronne. Alors plusieurs voix s'écrièrent:

      –Maintenant, il faut procéder au couronnement du roi des Juifs.

      –Oui, couronnons le roi des lâches!

      –Le fils de Dieu!

      –Le fils du dieu

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<p>32</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVII, v. 25.

<p>33</p>

Évangile selon saint Matthieu, ch. XXVII, v. 26, 27.