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Paloque ne quitte pas des yeux le président Rastoil, espérant sans doute le tuer d'une peur rentrée. Vous savez que ce monstre de Paloque compte mourir président.

      Tous deux s'égayèrent. La laideur des Paloque était un sujet d'éternelles moqueries, dans le petit monde des fonctionnaires. Le fils Porquier continua, en baissant la voix:

      – J'ai vu aussi monsieur de Bourdeu. Ne trouvez-vous pas que le personnage a encore maigri, depuis l'élection du marquis de Lagrifoul? Jamais Bourdeu ne se consolera de n'être plus préfet; il a mis sa rancune d'orléaniste au service des légitimistes, dans l'espoir que cela le mènerait droit à la Chambre, où il rattraperait la préfecture tant regrettée… Aussi est-il horriblement blessé de ce qu'on lui a préféré le marquis, un sot, un âne bâté, qui ne sait pas trois mots de politique; tandis que lui, Bourdeu, est très-fort, tout à fait fort.

      – Il est assommant, Bourdeu, avec sa redingote boutonnée et son chapeau plat de doctrinaire, dit M. de Condamin en haussant les épaules. Si on les laissait aller, ces gens-là feraient de la France une Sorbonne d'avocats et de diplomates, où l'on s'ennuierait ferme, je vous assure … Ah! je voulais vous dire, Guillaume; on m'a parlé de vous, il paraît que vous menez une jolie vie.

      – Moi! s'écria le jeune homme en riant.

      – Vous-même, mon brave; et remarquez que je tiens les choses de votre père. Il est désolé, il vous accuse de jouer, de passer la nuit au cercle et ailleurs … Est-il vrai que vous ayez découvert un café borgne, derrière les prisons, où vous allez, avec toute une bande de chenapans, faire un train d'enfer? On m'a même raconté…

      M. de Condamin, voyant entrer deux dames, continua tout bas à l'oreille de Guillaume, qui faisait des signes affirmatifs, en pouffant de rire. Celui-ci, pour ajouter sans doute quelques détails, se pencha à son tour. Et tous deux, se rapprochant, les yeux allumés, se régalèrent longtemps de cette anecdote, qu'on ne pouvait risquer devant les dames.

      Cependant, l'abbé Faujas était resté là. Il n'écoutait plus; il suivait les mouvements de M. Delangre, qui s'agitait fort dans le salon vert, prodiguant les amabilités. Ce spectacle l'absorbait au point qu'il ne vit pas l'abbé Bourrette l'appelant de la main. L'abbé dut venir le toucher au bras, en le priant de le suivre. Il le mena jusque dans la pièce où l'on jouait, avec les précautions d'un homme qui aquelque chose de délicat à dire.

      – Mon ami, murmura-t-il, quand ils furent seuls dans un coin, vous êtes excusable, c'est la première fois que vous venez ici; mais je dois vous avertir, vous vous êtes compromis beaucoup en causant si longtemps avec les personnes que vous quittez.

      Et, comme l'abbé Faujas le regardait, très-surpris:

      – Ces personnes ne sont pas bien vues… Certes, je n'entends pas les juger, je ne veux entrer dans aucune médisance. Par amitié pour vous, je vous avertis, voilà tout.

      Il voulait s'éloigner, mais l'autre le retint, en lui disant vivement:

      – Vous m'inquiétez, cher monsieur Bourrette; expliquez-vous, je vous en prie. Il me semble que, sans médire, vous pouvez me fournir des éclaircissements.

      – Eh bien! reprit le vieux prêtre après une hésitation, le jeune homme, le fils du docteur Porquier, fait la désolation de son honorable père et donne les plus mauvais exemples à la jeunesse studieuse de Plassans. Il n'a laissé que des dettes à Paris, il met ici la ville sens dessus dessous… Quant à monsieur de Condamin… Il s'arrêta de nouveau, embarrassé par les choses énormes qu'il avait raconter; puis, baissant les paupières:

      – Monsieur de Condamin est leste en paroles, et je crains qu'il n'ait pas de sens moral. Il ne ménage personne, il scandalise toutes les âmes honnêtes… Enfin, je ne sais trop comment vous apprendre cela, il aurait fait, dit-on, un mariage peu honorable. Vous voyez cette jeune femme qui n'a pas trente ans, celle qui est si entourée. Eh bien! il nous l'a ramenée un jour à Plassans, on ne sait trop d'où: Dès le lendemain de son arrivée, elle était toute-puissante ici. C'est elle qui a fait décorer son mari et le docteur Porquier. Elle a des amis, à Paris… Je vous en prie, ne répétez point ces choses. Madame de Condamin est très-aimable, très-charitable. Je vais quelquefois chez elle, je serais désolé qu'elle me crût son ennemi. Si elle a des fautes à se faire pardonner, notre devoir, n'est-ce pas? est de l'aider à revenir au bien. Quant au mari, entre nous, c'est un vilain homme. Soyez froid avec lui.

      L'abbé Faujas regardait le digne Bourrette dans les yeux. Il venait, de remarquer que madame Rougon suivait de loin leur entretien, d'un air préoccupé.

      – Est-ce que ce n'est pas madame Rougon qui vous a prié de me donner un bon avis? demanda-t-il brusquement au vieux prêtre.

      – Tiens! comment savez-vous cela? s'écria celui-ci, très-étonné. Elle m'avait prié de ne pas parler d'elle; mais, puisque vous avez deviné … C'est une bonne personne, qui serait bien chagrine de voir un prêtre faire mauvaise figure chez elle. Elle est malheureusement forcée de recevoir toutes sortes de gens. L'abbé Faujas remercia, en promettant d'être prudent. Les joueurs, autour d'eux, n'avaient pas levé la tête. Il rentra dans le grand salon, où il se sentit de nouveau dans un milieu hostile; il constata même plus de froideur, plus de mépris muet. Les jupes s'écartaient sur son passage, comme s'il avait dû les salir; les habits noirs se détournaient, avec de légers ricanements. Lui, garda une sérénité superbe. Ayant cru entendre prononcer avec affectation le mot de Besançon, dans le coin de la pièce où trônait madame de Condamin, il marcha droit au groupe formé autour d'elle; mais, à son approche, la conversation tomba net, et tous les yeux le dévisagèrent, luisant d'une curiosité méchante. On parlait sûrement de lui, on racontait quelque vilaine histoire. Alors, comme il se tenait debout, derrière les demoiselles Bastoil, qui ne l'avaient point aperçu, il entendit la plus jeune demander à l'autre:

      – Qu'a-t-il donc fait, à Besançon, ce prêtre dont tout le monde parle?

      – Je ne sais trop, répondit l'aînée. Je crois qu'il a failli étrangler son curé dans une querelle. Papa dit aussi qu'il s'est mêlé d'une grande affaire industrielle qui a mal tourné.

      – Mais il est là, n'est-ce pas? dans le petit salon… On vient de le voir rire avec monsieur de Condamin.

      – Alors, s'il rit avec monsieur de Condanin, on a raison de se méfier de lui.

      Ce bavardage des deux demoiselles mit une sueur aux tempes de l'abbé Faujas. Il ne sourcilla pas; sa bouche s'amincit, ses joues prirent une teinte terreuse. Maintenant, il entendait le salon entier parler du curé qu'il avait étranglé, des affaires véreuses dont il s'était mêlé. En face de lui, M. Delangre et le docteur Porquier restaient sévères; M. de Bourdeu avait une moue de dédain, en causant bas avec une dame; M. Maffre, le juge de paix, le regardait en dessous, dévotement, le flairant de loin, avant de se décider à mordre; et, à l'autre bout de la pièce, le ménage Paloque, les deux monstres, allongeaient leurs visages couturés par le fiel, où s'allumait la joie mauvaise de toutes les cruautés colportées à voix basse. L'abbé Faujas recula lentement, en voyant madame Rastoil, debout à quelques pas, revenir s'asseoir entre ses deux filles, comme pour les mettre sous son aile et les protéger de son contact. Il s'accouda au piano qu'il trouva derrière lui, il demeura là, le front haut, la face dure et muette comme une face de Pierre. Décidément, il y avait complot, on le traitait en paria.

      Dans son immobilité, le prêtre dont les regards fouillaient le salon, sous ses paupières à demi closes, eut un geste aussitôt réprimé. Il venait d'apercevoir, derrière une véritable barricade de jupes, l'abbé Fenil, allongé dans un fauteuil, souriant discrètement. Leurs yeux s'étant rencontrés, ils se regardèrent pendant quelques secondes, de l'air terrible de deux duellistes engageant un combat à mort. Puis, il se fit un bruit d'étoffe, et le grand vicaire disparut de nouveau dans les dentelles des dames.

      Cependant, Félicité avait manoeuvré habilement pour s'approcher du piano. Elle y installa l'aînée des demoiselles Rastoil, qui chantait agréablement la romance. Puis, lorsqu'elle put parler sans être entendue, attirant l'abbé Faujas dans l'embrasure d'une fenêtre:

      – Qu'avez-vous donc fait à l'abbé Fenil? lui

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