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La grande ombre. Артур Конан Дойл
Читать онлайн.Название La grande ombre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Артур Конан Дойл
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Quand je me mettais à lui dire qu'elle n'était bonne à rien, que son père était bien sot de l'élever comme cela, elle pleurait, disait que jétais un petit butor, qu'elle retournerait chez elle ce soir même, et qu'elle ne me pardonnerait de la vie.
Mais au bout de cinq minutes, elle ne pensait plus à rien de tout cela.
Ce qu'il y avait d'étrange, c'est qu'elle avait plus d'affection pour moi que je n'en avais pour elle, qu'elle ne me laissait jamais tranquille.
Elle était toujours à me guetter, à courir après moi, et à dire alors: « Tiens! vous êtes là! » en faisant l'étonnée.
Mais bientôt je maperçus qu'elle avait aussi de bons côtés.
Elle me donnait quelquefois des pennies, tellement qu'une fois j'en eus quatre dans la poche, mais ce qu'il y avait de mieux en elle, c'étaient les histoires qu'elle savait conter.
Elle avait une peur affreuse des grenouilles.
Aussi je ne manquais pas d'en apporter une, et de lui dire que je la lui mettrais dans le coup à moins qu'elle ne me contât une histoire.
Cela l'aidait à commencer, mais une fois en train, c'était étonnant comme elle allait.
Et à entendre les choses qui lui étaient arrivées, cela vous coupait la respiration.
Il y avait un pirate barbaresque qui était allé à Eyemouth.
Il devait revenir dans cinq ans avec un vaisseau chargé d'or pour faire d'elle sa femme.
Et il y avait un chevalier errant qui lui aussi était allé à Eyemouth et il lui avait donné comme gage un anneau qu'il reprendrait à son retour, disait-il.
Et elle me montra l'anneau, qui ressemblait à s'y méprendre à ceux qui soutenaient les rideaux de mon lit, mais elle soutenait que celui-là était en or vierge.
Je lui demandai ce que ferait le chevalier s'il rencontrait le pirate barbaresque.
Elle me répondit qu'il lui ferait sauter la tête de dessus les épaules.
Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien trouver en elle?
Cela dépassait mon intelligence.
Puis elle me dit que pendant son voyage à destination de West Inch, elle avait été suivie par un prince déguisé.
Je lui demandai à quoi elle avait reconnu que c'était un prince.
Elle me répondit:
– À son déguisement.
Un autre jour, elle dit que son père composait une énigme, que quand elle serait prête, il la mettrait dans les journaux, et celui qui la devinerait aurait la moitié de sa fortune et la main de sa fille.
Je lui dis que j'étais fort sur les énigmes, et qu'il faudrait qu'elle me l'envoyât des qu'elle serait prête.
Elle dit que ce serait dans la Gazette de Berwick, et voulut savoir ce que je ferais d'elle quand je l'aurais gagnée.
Je répondis que je la vendrais aux enchères, pour le prix qu'on m'offrirait, mais ce soir-là elle ne voulut plus conter d'histoires, car elle était très susceptible dans certains cas.
Jim Horscroft était absent pendant le temps que la cousine Edie passa chez nous.
Il revint la semaine même où elle partit, et je me rappelle combien je fus surpris qu'il fit la moindre question ou montrât quelque intérêt au sujet d'une simple fillette.
Il me demanda si elle était jolie, et quand j'eus dit que je n'y avais pas fait attention, il éclata de rire, me qualifia de taupe, et dit qu'un jour ou l'autre j'ouvrirais les yeux.
Mais il ne tarda pas à s'occuper de tout autre chose, et je n'eus plus une pensée pour Edie, jusqu'au jour où elle prit bel et bien ma vie entre ses mains et la tordit comme je pourrais tordre cette plume d'oie.
C'était en 1813.
J'avais quitté l'école, et j'avais déjà dix-huit ans, au moins quarante poils sur la lèvre supérieure, et lespérance den avoir bien davantage.
Javais changé depuis mon départ de lécole.
Je ne madonnais plus aux jeux avec la même ardeur.
Au lieu de cela il marrivait de rester allongé sur la pente de la lande, du côté ensoleillé, les lèvres entrouvertes, et regardant fixement devant moi, tout comme le faisait souvent la cousine Edie.
Jusqualors je métais tenu pour satisfait, je trouvais mon existence remplie, du moment que je pouvais courir plus vite et sauter plus haut que mon prochain.
Mais maintenant, comme tout cela me paraissait peu de chose!
Je soupirais, je levais les yeux vers la vaste voûte du ciel, puis je les portais sur la surface bleue de la mer.
Je sentais quil me manquait quelque chose, mais je narrivais point à pouvoir dire ce quétait cette chose.
Et mon caractère prit de la vivacité.
Il me semblait que tous mes nerfs étaient agacés.
Si ma mère me demandait de quoi je souffrais, ou que mon père me parlât de mettre la main au travail, je me laissais aller à répondre en termes si âpres, si amers que depuis j'en ai souvent éprouvé du chagrin.
Ah! on peut avoir plus d'une femme, et plus d'un enfant, et plus d'un ami, mais on ne peut avoir qu'une mère.
Aussi doit-on la ménager aussi longtemps, qu'on l'a.
Un jour, comme je rentrais en tête du troupeau, je vis mon père assis, une lettre à la main.
C'était un événement fort rare chez nous, excepté quand l'agent écrivait pour le terme.
En m'approchant de lui, je vis qu'il pleurait, et je restai à ouvrir de grands yeux, car je m'étais toujours figuré que c'était là une chose impossible à un homme.
Je le voyais fort bien à présent, car il avait à travers sa joue pâlie une ride si profonde, qu'aucune larme ne pouvait la franchir.
Il fallait qu'elle glissât de côté jusqu'à son oreille, d'où elle tombait sur la feuille de papier.
Ma mère était assise près de lui et lui caressait la main, comme elle caressait le dos du chat pour le calmer.
– Oui, Jeannie, disait-il, le pauvre Willie est mort. Cette lettre vient de l'homme de loi. La chose est arrivée subitement. Autrement on nous aurait écrit. Un anthrax, dit-il, et un flux de sang à la tête.
– Ah! Alors ses peines sont finies, dit ma mère.
Mon père essuya ses oreilles avec la nappe de la table.
– Il a laissé toutes ses économies à sa fille, dit-il, et si elle n'a pas changé, par Dieu, de ce qu'elle promettait d'être, elle n'en aura pas pour longtemps. Vous vous rappelez ce qu'elle disait, sous ce toit même, du thé trop faible, et cela pour du thé à sept shillings la livre.
Ma mère hocha la tête et considéra les pièces de lard suspendues au plafond.
– Il ne dit pas combien elle aura, reprit-il, mais elle en aura assez, et de reste. Elle doit venir habiter avec nous, car ça été son dernier désir.
– Il faudra qu'elle paie son entretien, s'écria ma mère avec âpreté.
Je fus fâché de l'entendre parler d'argent dans un tel moment, mais après tout, si elle n'avait pas été aussi âpre, nous aurions été jetés dehors au bout de douze mois.
– Oui, elle paiera. Elle arrive aujourd'hui même. Jock, mon garçon, vous aurez la bonté de partir avec la charrette pour Ayton, et d'attendre la diligence du soir. Votre cousine Edie y sera, et vous pourrez l'amener à West Inch.
Je me mis donc en route à cinq heures et quart avec la Souter Johnnie, notre jument de quinze ans aux longs poils, et notre charrette avec la caisse repeinte à neuf qui ne nous servait que dans les