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au passage.

      Mais c'est une vieille histoire.

      Chacun sait comment notre petit homme borgne et manchot anéantit leur flotte.

      Il devait rester en Europe une terre où l'on eût la liberté de penser, la liberté de parler.

      Il y avait un grand signal tout prêt sur la hauteur près de l'embouchure de la Tweed.

      C'était un échafaudage fait en charpente et en barils de goudron.

      Je me rappelle fort bien que tous les soirs je m'écarquillais les yeux à regarder s'il flambait.

      Je n'avais alors que huit ans, mais à cet âge, on prend déjà les choses à coeur, et il me semblait que le sort de mon pays dépendît en quelque façon de moi et de ma vigilance.

      Un soir, comme je regardais, j'aperçus une faible lueur sur la colline du signal: une petite langue rouge de flamme dans les ténèbres.

      Je me rappelle que je me frottai les yeux, je me frappai les poignets contre le cadre en pierre de la fenêtre, pour me convaincre que j'étais éveillé.

      Alors la flamme grandit, et je vis la ligne rouge et mobile se refléter dans l'eau, et je m'élançai à la cuisine.

      Je hurlai à mon père que les Français avaient franchi la Manche et que le signal de l'embouchure de la Tweed flambait.

      Il causait tranquillement avec Mr Mitchell, l'étudiant en droit d'Édimbourg.

      Je crois encore le voir secouant sa pipe à coté du feu et me regardant par-dessus ses lunettes à monture de corne.

      – Êtes-vous sûr, Jock, dit-il.

      – Aussi sûr que d'être en vie, répondis-je d'une voix entrecoupée.

      Il étendit la main pour prendre sur la table la Bible, qu'il ouvrit sur son genou, comme s'il allait nous en lire un passage, mais il la referma, et sortit à grands pas.

      Nous le suivîmes, létudiant en droit et moi, jusqu'à la porte à claire-voie qui donne sur la grande route.

      De là nous voyons bien la lueur rouge du grand signal, et la lueur d'un autre feu plus petit à Ayton, plus au nord.

      Ma mère descendit avec deux plaids pour que nous ne fussions pas saisis par le froid, et nous restâmes là jusqu'au matin, en échangeant de rares paroles, et cela même à voix basse.

      Il y avait sur la route plus de monde qu'il n'en était passé la veille au soir, car la plupart des fermiers, qui habitaient en remontant vers le nord, s'étaient enrôlés dans les régiments de volontaires de Berwick, et accouraient de toute la vitesse de leurs chevaux pour répondre à l'appel.

      Quelques-uns d'entre eux avaient bu le coup de l'étrier avant de partir.

      Je nen oublierai jamais un que je vis passer sur un grand cheval blanc, brandissant au clair de lune un énorme sabre rouillé.

      Ils nous crièrent en passant, que le signal de North Berwick Law était en feu, et qu'on croyait que l'alarme était partie du Château d'Édimbourg.

      Un petit nombre galopèrent en sens contraire, des courriers pour Édimbourg, le fils du laird, et Master Playton, le sous-shérif, et autres de ce genre.

      Et, parmi ces autres, se trouvait un bel homme aux formes robustes, monté sur un cheval rouan. Il poussa jusqu'à notre porte et nous fit quelques questions sur la route.

      – Je suis convaincu que c'est une fausse alerte, dit-il. Peut- être aurais-je tout aussi bien fait de rester où j'étais, mais maintenant que me voilà parti, je n'ai rien de mieux à faire que de déjeuner avec le régiment.

      Il piqua des deux et disparut sur la pente de la lande.

      – Je le connais bien, dit notre étudiant en nous le désignant d'un signe de tête, c'est un légiste d'Édimbourg, et il s'entend joliment à enfiler des vers. Il se nomme Wattie Scott.

      Aucun de nous n'avait encore entendu parler de lui, mais il ne se passa guère de temps avant que son nom fut le plus fameux de toute l'Écosse.

      Bien des fois nous pensâmes alors à cet homme qui nous avait demandé la route dans la nuit terrible.

      Mais dès le matin, nous eûmes l'esprit tranquille.

      Il faisait un temps gris et froid.

      Ma mère était retournée à la maison pour nous préparer un pot de thé, quand arriva un char à bancs ramenant le docteur Horscroft, d'Ayton et son fils Jim.

      Le docteur avait relevé jusque sur ses oreilles le collet de son manteau brun, et il avait l'air de fort méchante humeur, car Jim, qui n'avait que quinze ans, s'était sauvé à Berwick à la première alerte, avec le fusil de chasse tout neuf de son père.

      Le papa avait passé toute la nuit à sa recherche, et il le ramenait prisonnier; le canon de fusil se dressait derrière le siège.

      Jim avait l'air d'aussi mauvaise humeur que son père, avec ses mains fourrées dans ses poches de côté, ses sourcils joints, et sa lèvre inférieure avancée.

      – Tout ça, c'est un mensonge, cria le docteur en passant. Il n'y a pas eu de débarquement, et tous les sots d'Écosse sont allés arpenter pour rien les routes.

      Son fils Jim poussa un grognement indistinct en entendant ces mots, ce qui lui valut de la part de son père un coup sur le côté du crâne avec le poing fermé.

      À ce coup, le jeune garçon laissa tomber sa tête sur sa poitrine comme s'il avait été étourdi.

      Mon père hocha la tête, car il avait de l'affection pour Jim, et nous rentrâmes tous à la maison, en dodelinant du chef, et les yeux papillotants, pouvant à peine tenir les yeux ouverts, maintenant que nous savions tout danger passé.

      Mais nous éprouvions en même temps au coeur un frisson de joie comme je n'en ai ressenti le pareil qu'une ou deux autres fois en ma vie.

      Sans doute, tout cela n'a pas beaucoup de rapport avec ce que j'ai entrepris de raconter, mais quand on a une bonne mémoire et peu dhabileté, on n'arrive pas à tirer une pensée de son esprit sans qu'une douzaine d'autres s'y cramponnent pour sortir en même temps.

      Et pourtant, maintenant que je me suis mis à y songer, cet incident n'était pas entièrement étranger à mon récit, car Jim Horscroft eut une discussion si violente avec son père, qu'il fut expédié au collège de Berwick et comme mon père avait depuis longtemps formé le projet de m'y placer aussi, il profita de l'occasion que lui offrait le hasard pour m'y envoyer.

      Mais avant de dire un mot au sujet de cette école, il me faut revenir à l'endroit où j'aurais dû commencer, et vous mettre en état de savoir qui je suis, car il pourrait se faire que ces pages écrites par moi tombent sous les yeux de gens qui habitent bien loin au-delà du border, et n'ont jamais entendu parler des Calder de West Inch.

      Cela vous a un certain air, West Inch, mais ce n'est point un beau domaine, autour d'une bonne habitation.

      C'est simplement une grande terre à pâturages de moutons, ou la bise souffle avec âpreté et que le vent balaie.

      Elle s'étend en formant une bande fragmentée le long de la mer.

      Un homme frugal, et qui travaille dur, y arrive tout juste à gagner son loyer et à avoir du beurre le dimanche au lieu de mélasse.

      Au milieu, s'élève une maison d'habitation en pierre, recouverte en ardoise, avec un appentis derrière.

      La date de 1703 est gravée grossièrement dans le bloc qui forme le linteau de la porte.

      Il y a plus de cent ans que ma famille est établie là, et malgré sa pauvreté, elle est arrivée à tenir un bon rang dans le pays, car à la campagne le vieux fermier est souvent plus estimé que le nouveau laird.

      La maison de West Inch présentait une particularité singulière.

      Il avait été établi par des ingénieurs et autres personnes compétentes, que la ligne de délimitation entre les deux pays passait exactement par le milieu de la maison, de façon

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