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il avait peine à achever.

      »Quatre-vingts têtes restèrent sur le pavé. Nous incendiâmes le bourg.

      »Je partis pour Paris. Arrivé, je me présente à la Convention, je monte à la tribune, et je déroule aux yeux des membres de cette formidable assemblée une carte de la France où cette localité était à jamais effacée.

      »Que ce bourg soit sans nom! fit Robespierre.

      »J'avais bien mérité de la patrie!»

      M. Clavier s'affaissa dans son fauteuil. S'il eût reçu un coup de lance dans le foie, il n'eût pas été plus décoloré; ses bras pendaient, ses lèvres étaient noires.

      Derrière la porte du cabinet, Victor seul eut la force de rester. Au fond de l'appartement, Léonide respirait des sels sans parvenir à se ranimer.

      D'une voix agonisante M. Clavier reprit:

      «Et maintenant, mon ami, que j'ai fini mon temps d'homme de parti, ma mission de colère et parfois de justice, je me retire à tâtons de la vie. Ni moi ni mes pareils n'avons été jugés. Trop vieux pour attendre la sentence que les générations prononceront sur nous, il faut que je me contente de la voix isolée de ma conscience. Elle m'impose l'obligation non de revenir sur mes principes, mais sur beaucoup de mes actes, toutefois sans les condamner honteusement. L'homme politique n'a jamais transigé en face de l'échafaud, le vieillard s'amende un pied dans la tombe. Si je n'ai ni à me blâmer ni à me repentir d'avoir versé du sang sur le champ de bataille des luttes civiles, je dois à ma propre estime de restituer ce qui m'est resté de dépouilles comme vainqueur. La révolution m'avait enrichi de toutes les confiscations exercées sur le seigneur dont je vous ai raconté la déplorable fin, ainsi que celle de sa famille; j'ai gardé les propriétés expropriées, je les ai fait valoir, j'en ai triplé les revenus, enfin je les ai possédées avec l'autorité d'un légitime maître. Ces propriétés étaient une arme; je m'en suis emparé, quand l'ennemi, en se retournant, pouvait les ramasser. Mais depuis qu'il a été exterminé jusque dans ses souvenirs, ces propriétés me pèsent comme si je les avais sur la poitrine. La vérité est que je n'en ai jamais joui. J'aurais peur de passer à l'ombre de ces forêts dont je suis possesseur. Jamais je ne les ai visitées; jamais aucun gibier de mes parcs, aucun fruit de mes jardins, aucun poisson de mes étangs n'a été servi sur ma table. Ce qui est cueilli sur l'arbre est vendu, converti en or; ce qui est cueilli dessous est partagé entre les pauvres. L'or, le voici; il a été changé par moi en nouveaux titres de propriétés. J'y ai joint mes comptes; tout y est réglé, mis à jour, facile à vérifier. Vous restituerez donc à leur légitime maîtresse, mademoiselle Caroline de Meilhan, le jour de ses noces, que je sois vivant ou mort, ses domaines, parcs, bois, étangs, forêts, enfin l'héritage de ses pères. Elle rentrera dans ses biens, comme si elle n'en était jamais sortie. En voilà les titres.

      – Monsieur! s'écria Maurice tout palpitant de terreur et de respect, monsieur, voilà une action qui honorerait dix existences moins tourmentées que la vôtre!

      – Avez-vous entendu, ma sœur? dit tout bas Victor Reynier à Léonide, et ne pensez-vous pas que celui qui épouserait mademoiselle de Meilhan ferait un riche mariage?

      – Qui le sait, mon frère? Avons-nous la moindre idée du contenu de ces papiers? Le vieillard est un peu emphatique.

      – Mais, ma sœur, vous l'avez bien entendu, ce sont des titres de propriétés: il a parlé de domaines…

      – Richesses vagues.

      – De parcs…

      – Sans arbres, peut-être.

      – D'étangs.

      – Sans eau, je gage.

      – Pourquoi supposeriez-vous cela?

      – Et vous le contraire?

      – Maurice nous le dira, ma sœur.

      – Maurice ne dit rien. Pourquoi sommes-nous ici?

      – Cependant, en tout ceci, il serait important de connaître le vrai.

      – Important pour qui donc, mon frère?

      – Mais… pour tout le monde, particulièrement pour celui qui aurait des vues de mariage sur mademoiselle de Meilhan. Les grandes fortunes sont si rares…

      – Que les riches héritières s'acceptent, n'est-ce pas, mon frère?

      – Ne m'approuveriez-vous pas, ma sœur? Vous êtes d'une ironie…

      – Et vous, d'une témérité, Victor!

      – Ne seriez-vous pas fière de me savoir riche et d'avoir contribué à mon bonheur?

      – Sans doute; mais comment?

      – N'entrez-vous pas tant qu'il vous plaît dans le cabinet de Maurice lorsqu'il est absent? Un coup d'œil est si vite jeté…

      – Je l'accorde; mais me croyez-vous aussi habile, Victor, pour profiter d'une telle hardiesse? J'ai si peu l'habitude des affaires, que je craindrais de ne jamais me tirer avec honneur de la lecture de ces pièces, et que la tentative ne vous fût complétement inutile.

      – Et si l'on vous accompagnait, voyons! si je vous aidais, ma sœur?

      – Plutôt cela, mon frère.

      – Ce soir nous partons pour Paris, Maurice et moi.

      – Vous serez de retour demain tous les deux.

      – Moi seulement. Votre mari, sous un prétexte quelconque, sera retenu à Paris, tandis que je retournerai à Chantilly. C'est dimanche: les clercs seront absents.

      – Mais si c'était mal, mon frère, ce que nous allons faire là… N'avez-vous aucun scrupule, vous?

      – Excellente Léonide!.. Savez-vous qu'il y a mon bonheur peut-être dans cette démarche.

      – Et le mien aussi, pensa Léonide en voyant, avec une joie qui éclata dans son cœur, son mari déposer sous la même poignée de bronze les papiers de M. Clavier et le plan de campagne du colonel Debray.

      Maurice reconduisit M. Clavier jusqu'au bas de l'escalier, et il ne cessa de lui prodiguer, en lui prêtant son bras pour le soutenir, les plus affectueuses marques d'amitié. Le vieillard et le jeune homme se quittèrent parfaitement heureux: l'un, d'avoir déchargé son âme dans le sein chaleureux et impénétrable d'un ami, l'autre, d'être devenu le dépositaire de la plus vertueuse action dont il eût été témoin depuis qu'il exerçait sa charge.

      VIII

      La journée avait été fatigante pour Maurice. Ce ne fut pas sans exhaler un long soupir de délassement qu'il se mit à table, et qu'il vit servir le dîner.

      Selon un usage singulier, mais établi depuis longtemps dans la maison, les domestiques déposèrent en un seul service tous les mets sur la table et se retirèrent. Les portes furent ensuite fermées pour toute la durée du repas.

      Après avoir replié les persiennes, tiré les rideaux, adouci l'éclat des lumières, Léonide ouvrit la porte qui communiquait avec la chambre à coucher.

      Cette porte était double.

      Léonide souleva ensuite entre l'une et l'autre porte la planche de chêne qui formait la cloison intermédiaire du tambour; elle la fit glisser de bas en haut dans une rainure très-douce, et un passage oblong, de la longueur de deux pieds, se fit et laissa voir un escalier de plusieurs marches.

      Un jeune homme sortit par cette ouverture.

      Le panneau resta suspendu.

      Ce jeune homme s'assit familièrement entre Léonide et Maurice. Sa présence au milieu d'eux n'étant pas un événement, elle ne fut marquée par aucune parole de surprise; le silence d'usage couvrit les premiers instants du dîner.

      – A-t-on des nouvelles de l'ouest? demanda-t-il ensuite avec beaucoup d'indifférence, et en se versant à boire.

      – De mauvaises, lui répondit Maurice.

      – Ah! – Il

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