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roi lut, sourit, et passa l'écrit à sa mère.

      – Monsieur de Belle-Isle, dit le roi, je vous remercie, au nom du dauphin, si le ciel doit nous en envoyer un, du don que vous lui faites du château de Vaux et de ses dépendances. Il sera temps de le lui offrir quand il sera en mesure d’accepter lui-même. Jusque là gardez ce château, que vous avez rendu si beau par vos soins, et dont vous faites si bien les honneurs. Nous tiendrons compte de l’offre, mais c’est tout ce que nous retenons.

      Fouquet se précipita aux genoux du roi et lui baisa la main.

      Dans les yeux d’Anne d’Autriche son fils put lire: «Tu seras un grand roi.»

      Tempérant les paroles graves qu’il avait prononcées, Louis XIV ajouta: Les nymphes, mademoiselle de La Vallière, font aussi partie du château.

      – Sire, répondit naïvement la demoiselle d’honneur, je vous appartiens.

      Le roi se leva, le dîner était fini.

      D’une santé délicate et maladive, Madame Henriette obtint du roi de retourner à Fontainebleau. Elle partit.

      Dangeau écrivit dans un coin sur les tablettes qu’il destinait à ses mémoires, où il recueillait jour par jour les faits et gestes importans du règne:

      «Au dîner du sieur Fouquet, le 17 août 1661, il y avait une superbe montagne de confitures.»

VII

      Plusieurs seigneurs avaient été mis dans le secret de la surprise ménagée au roi après le repas.

      Au milieu de la confusion qui suit le dessert, un cor se fit entendre; il sonnait le départ pour la chasse, la fanfare matinale. – N’est-ce pas le bruit du cor? s’informa le roi. Des chiens s'élancèrent en aboyant dans les salons. – Sire, pardonnez la surprise, c’est la chasse. – Êtes-vous gais, messieurs? la chasse! – Oui, sire, la chasse aux flambeaux. – Y songez-vous? il est nuit, et certes nous n’allons pas, que je pense, en habits de soie et en jabots, courre le cerf? Vous êtes jeunes, messieurs, et nous sortons de table.

      Les chiens aboyaient toujours, les fouets claquaient et faisaient vaciller les lumières; les cors ne cessaient de retentir; les domestiques couraient en désordre d’appartement en appartement, armés de torches. On offrit au roi un fusil. Trente chasseurs se présentèrent en même temps, piqueur en tête. Les dames se réfugièrent dans la salle des Gardes, où elles s’enfermèrent, et d’où elles purent voir à travers les carreaux ce qui allait se passer.

      – M’apprendra-t-on à la fin ce que c’est? s'écria le roi impatienté, tenant son fusil dans l’attitude la plus embarrassée.

      Un cerf bondit devant lui et renverse deux flambeaux de la table.

      – A vous, sire!

      Le roi comprit alors qu’on avait lâché du gibier dans le château, et que c'était sérieusement une chasse au salon.

      Il s’exécuta de bonne grâce.

      Jeune comme les autres, fou de la chasse, il poursuivit le cerf de pièce en pièce, s’embusqua aux portes, se perdit dans les corridors, entraîné par la fuite de la bête. D’autres cerfs descendaient les marches: des nuées d’oiseaux volaient partout, tourbillonnaient dans la rampe; les faisans sortaient de dessous les fauteuils; des lièvres se cognaient aux portes.

      Le carnage commence.

      Des cerfs tombent sur des tapis, et des renards expirent dans des bergères. Ne trouvant aucune issue, traqués de toutes parts, des chevreuils en démence se précipitent par les croisées ouvertes et illuminées. Du dehors on applaudit, du dedans on tire au vol sur le chevreuil, qui roule souvent dans les fossés. On ne craignait pas de briser les glaces; à cette époque il n’y avait pas de glaces dans les salons. On ne courait que le risque de souiller des tapis de cinquante mille livres, ou de mutiler des corniches dorées.

      A travers leur cage transparente, les dames étaient témoins de ce spectacle, qui n'était pas sans effroi pour elles. On riait, on tremblait. Souvent les vitres brisées, les bourres enflammées, l’oiseau atteint, volaient au loin dans la cour.

      Pour mieux voir, les laquais étaient montés sur leurs siéges et sur le dôme des chaises à porteur.

      Les rideaux eurent beaucoup à souffrir: les cerfs cherchaient un refuge dans les vastes plis de leur colonne soyeuse, et, dans ce fourreau qui les étouffait, ils se livraient bondissans à leurs ennemis. Plus heureux, beaucoup de lièvres et de faisans s’en allèrent par la cheminée.

      Cette chasse dura vingt minutes. Les cors sonnèrent la fin du combat. On exposa devant les dames le résultat de la victoire: quelques cerfs étourdis, quelques oiseaux revenus déjà de leur frayeur. Bien des reproches d’imprudence furent effacés. Les armes n’avaient été chargées qu’avec des balles de liége; ainsi pas une goutte de sang n’avait coulé.

      Après quelques minutes de repos, en hôte délicat, qui comprend qu’un plaisir plus calme doit succéder à une émotion fatigante, Fouquet proposa de se rendre à la comédie. – On s’y rendit.

      La Fontaine était exact lorsqu’il écrivait à son ami, M. de Maucroix, dans la Relation de la fête donnée à Vaux, que «le souper fini, la comédie eut son tour; qu’on avait dressé le théâtre au bas de l’allée des Sapins.»

      L’allée des Sapins existe encore. Elle est noire et répand une forte odeur de résine. Découpées par tranches horizontales et s'évasant en pyramides, les branches panachées se pressent et se rapprochent. Il faut près d’une demi-heure à parcourir l’allée des Sapins de son point de départ du château, où elle prend, pour le perdre plus loin, le nom d’allée des Portiques: à son extrémité occidentale, est le spacieux hémicycle où les Fâcheux de Molière furent représentés pour la première fois.

      Aujourd’hui couvert de jeunes arbres plantés en quinconce, seule altération qu’il ait subie, cet emplacement contiendrait deux mille personnes, en les supposant placées avec toute la liberté des spectateurs de cour. Je me suis assuré, mademoiselle Scudéry d’une main et La Fontaine de l’autre, que c'était rigoureusement là, et non ailleurs, que les Fâcheux avaient été joués.

      Quoique l’allée des Sapins ait deux versans, il est impossible de placer la scène à celui qui touche au château. Là elle n’est pas encore allée des Sapins, mais des Portiques. Ce point reconnu, les Fâcheux n’auraient pu être joués ni plus près ni plus loin. Plus près, ce serait l’allée même, et non le bout; plus loin le terrain manque. Au-dessous sont les eaux.

      C’est donc là que Molière, il y a près de deux siècles, pauvre comédien courant la province, vint peut-être à pied pour jouer devant son roi. Qu’il serait curieux de savoir s’il passa par Melun! de connaître le cabaret où il s’arrêta pour corriger quatre vers au crayon, boire un verre de vin et se remettre en route! Mais, à coup sûr, il a foulé cette allée des Sapins; là son coude a effleuré; là son pied a posé; là sa bouche a parlé. Molière a parlé ici, dans cet air, dans cet espace! Ce soleil qui se couche éclaira sa face sublime le 17 août 1661!

      La pièce fut jouée aux flambeaux et devant des spectateurs échelonnés sur trois rangs.

      Le roi occupait le centre, assis dans un fauteuil; à sa droite était la reine-mère; un peu au-dessous de lui, Monsieur et le prince de Condé avaient deux siéges. Le rang qui se prolongeait à la droite et à la gauche du roi n'était composé que de dames. Madame Fouquet venait après la reine. Derrière les dames étaient les ambassadeurs. Beaucoup de seigneurs qui n’avaient pas trouvé à se placer se pressaient au bout des allées, disputaient un courant d’air entre deux épaules pour voir ou pour entendre; d’autres avaient grimpé aux arbres, et planaient de là sur ce cercle, au milieu duquel un seul homme était debout:

      Molière!

      «D’abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi (Molière, les Fâcheux, Avertissement), parut sur le théâtre en habit de ville, et, s’adressant au roi avec le visage d’un

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