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      Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II

      VAUX

I

      Nicolas Fouquet, dernier surintendant des finances, voulut donner dans son château de Vaux une fête à Louis XIV.

      Le projet eut l’agrément du roi.

      La fête fut fixée au 17 août 1661.

      Six mille invitations furent envoyées. Il y en eut pour l’Italie, pour l’Espagne et pour l’Angleterre. On vit à Vaux des représentans de ces trois contrées et les ambassadeurs de tous les peuples. Un roi et une reine s’y trouvèrent.

      Au nombre des invités étaient Gourville et le maréchal de Clairembault.

      La route de Paris à Vaux était longue, chaude par le mois d’août où l’on était; ils s’arrangèrent pour la faire de compagnie. Ils partirent de grand matin dans une calèche massive, qui rachetait ce défaut d'élégance par une solidité dont le premier avantage était d’asseoir le corps dans un repos parfait. Gourville n'était pas pressé d’arriver; le maréchal, qui était un peu gros, n’avait garde de se plaindre de la lenteur de l'équipage. En ce temps-là, l’activité de feu qui nous fait aujourd’hui dévorer l’espace était inconnue. A quoi eût-elle servi? on ne devenait pas noble en courant. D’ailleurs bien empêché eût été celui qui aurait prétendu aller vite et sans accident sur les grands chemins, même sans exception de ceux qui ont encore conservé le nom de routes royales.

      Arrivés à la barrière de Fontainebleau, les deux amis, malgré l'équilibre de leur ame, n’envisagèrent pas sans effroi le long ruban de chemin qu’ils avaient à parcourir, et qui s'étendait devant eux, blanc de soleil et de poussière, jusqu'à Villejuif.

      – Où donc nous rafraîchirons-nous, Gourville?

      – J’allais vous le demander, maréchal.

      – Parbleu, à Ris, Gourville, à votre ferme.

      – Merci de la grâce, maréchal; mais d’ici là?

      – D’ici là?.. Vous avez donc bien bon appétit? Il est si matin!

      – Ce n’est pas l’appétit…

      – Si c’est encore la soif, Gourville, nous boirons le coup de l'étrier à chaque relais, me proposant, mon hôte, de vous faire servir du meilleur à Beauvoir, à ma ferme aussi.

      Gourville, qui n’avait pas été compris, se tut.

      Une heure après, par le travers de Bicêtre, Clairembault abaissa les stores et conseilla à Gourville d’en faire autant de son côté. Un balancement doux, presque nul, le petit cri du sable broyé sous les roues, l’odeur de la campagne, le bourdonnement des moucherons d'été autour de la peinture de la calèche, le jour vert et rose filtré par la soie des rideaux, invitaient les voyageurs au sommeil.

      – Allez-vous dormir, Gourville?

      – Si vous ne causez pas, maréchal…

      – Vous auriez tort, Gourville. Plus tard vous trouveriez le vin amer. Par cette chaleur, le sommeil épaissit la langue: n’y aurait-il pas mieux?

      Et le maréchal fit le geste d’arrondir son bras vers les basques de son habit. A peine le ramenait-t-il avec une certaine circonspection à son attitude naturelle, que Gourville, par instinct, plus que par imitation, achevait d’accomplir le même mouvement. Quatre mains se rencontrèrent, cachant par paire un objet de mince volume.

      C'étaient deux jeux de cartes.

      – Vive vous! Gourville, vous êtes homme de fine prévoyance.

      – A merveille, maréchal, et voyons si vous me battrez comme vous avez battu les Allemands.

      Enlevé à la banquette, un coussin de velours s’appuya sur nos voyageurs, qui, illuminés de cette joie discrète et communicative qu’auraient deux amans à se rencontrer dans un même aveu et à se presser les genoux, joignirent les leurs et se regardèrent comme sauvés des ennuis de Paris à Vaux.

      – Un instant! Gourville, pardon. Battez les cartes en attendant.

      – Faites, maréchal.

      Clairembault souleva le store et cria: – Cocher! aussi lentement que vous pourrez.

      – Monseigneur, plus lentement, c’est impossible. Les chevaux dorment, s’ils ne sont morts.

      – C’est bien, La Brie, toujours ainsi.

      Le chemin ne fut plus troublé par aucun bruit de roues, les voyageurs par aucune secousse. Le sifflement des cartes qui effleuraient le velours du coussin fut seul sensible. En entrant dans Villejuif, Gourville avait déjà perdu cinq cents belles pistoles.

      Tandis qu’on relayait, lui et son adversaire eurent le temps d’aller saluer une dame d’Humières retirée dans un château des environs. Ils étaient de retour que les chevaux étaient à peine attelés.

      De nouveau en route, le maréchal, trop homme du monde, ou plutôt de cour, pour profiter brutalement de la victoire, proposa la revanche à Gourville. Gourville accepte. Les cartes sont étalées. Il est inutile de constater l’imperturbable lenteur des chevaux, bien qu’ils fussent tout frais sortis des écuries, et que la route de Villejuif à la Cour-de-France soit unie comme l’eau.

      Gourville n’est pas en veine: il perd cinq cents autres pistoles, puis mille, puis deux mille, enfin tout ce que Gourville a sur lui en or et en billets. La perte passe cinq mille.

      – Vous êtes un galant homme, Gourville, et qui valez mieux que le sort. Je vous joue sur parole ce qu’il vous plaira. Parlez.

      – Non pas sur parole, maréchal; le surintendant a toujours vent des enjeux, et il a la magnifique générosité de les tenir quand nous sommes décavés; ce qui est d’une grande ame, je l’avoue. Mais je serais désolé, cette fois, d’avoir recours à lui pour garantir ma dette. Va, si vous le voulez, pour ma ferme de Ris, située près du village de ce nom, et où j’ai déjà eu l’honneur de vous inviter à rafraîchir notre second relais. Je vous joue, maréchal, ma ferme de Ris.

      – Gourville, ce sera contre vingt mille pistoles, qu’elle vaille plus ou moins. Mais en trois coups.

      – Soit, maréchal. A vous les cartes.

      Après quelques avantages insignifians, Gourville vit sa jolie terre de Ris, moulins, eaux, pâturages, fours, métairies, passer à Clairembault. Ce revers de fortune écrasait Gourville au moment même où la calèche s’arrêtait à la grille de sa propriété perdue. Jamais elle ne lui avait paru si belle. Il fit pourtant bonne mine. Sans mauvaise humeur, sans colère, il sonna son intendant, ses gardes-chasse et ses métayers, et leur dit à tous: «Désormais, monseigneur le maréchal de Clairembault, que voilà, sera votre maître. D’aujourd’hui il a tous droits sur vous et sur cette ferme; saluez-le, et prêtez serment en ses mains!» La cérémonie fut courte et arrosée d’une bouteille du plus vieux. Habitué à ces émotions du jeu, à ces fortunes gagnées ou perdues en un instant, sur une carte ou sur un dé, Gourville n'était pas plus affecté que Clairembault n'était orgueilleux.

      Les voilà à la Cour-de-France et se dirigeant vers le village de Ris, descendant cette montagne que Louis XIV n’eut pas le temps d’aplanir, gloire pacifique qu’il laissa à son arrière-petit-fils. Le voyageur fatigué boit dans le creux de la main une eau pure, et bénit Louis XV. Le précipice n’est plus qu’un berceau.

      – Foin de ces cartes qui vous ont trahi, mon bon Gourville! Imitez-moi, plongeons-les dans cet abîme.

      Et tous deux, d’un commun enthousiasme, lancèrent les cartes du haut de la montagne dans les cavités béantes à leur côté; héroïsme de joueur! Il est probable qu’ils en avaient chacun un jeu de rechange dans la poche.

      Pour ne pas trop attrister son ami, Clairembault s’efforça de changer la conversation. Il lui parla de la fête que le surintendant allait donner à Louis XIV, de la grandeur de celui-ci, de la magnificence de celui-là, de la beauté des dames qui figureraient dans les quadrilles; puis il le ramena, de peur de toucher au jeu, dans cette énumération de plaisirs, à ses souvenirs de famille, à son beau-père, gouverneur en province, à ses enfans.

      –Par Dieu! et votre femme, où est-elle en ce moment, Gourville?

      – En Beauce, maréchal,

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