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s’appelle le Salon. Au lieu d’y rencontrer quelque objet qui choquât son goût afin d’apaiser sa jalousie, il arrêta ses regards sur des tapisseries d’Aubusson du plus rare travail pour l'époque: peintures à l’aiguille dont le dessin est de Lebrun. Il voulut détourner la vue de ces chefs-d'œuvre disproportionnés, même pour la fortune d’un souverain; mais elle glissa sur des meubles de laque, fantastiques frivolités vendues littéralement au poids de l’or. Le sofa où il s’agitait surpassait tout ce que Fontainebleau avait à comparer en ce genre d’ameublement. Il est tel quel aujourd’hui: de satin blanc brodé en bosse de chenille verte. C’est, pour le temps, la miniature et le burin appliqués à la broderie.

      Le roi leva des yeux pleins d’ironie au plafond. – Qu’est-ce donc, demanda-t-il, que cet écureuil que je vois partout à la poursuite d’une couleuvre? Cet emblème me fatigue: en sauriez-vous le sens?

      – L'écureuil…

      – Je le sais, ma mère; c’est l’arme parlante de M. Fouquet; mais la couleuvre?

      – La couleuvre, monsieur mon fils, on prétend que c’est l’arme parlante de M. Colbert.

      – Ah! vraiment. L'écureuil et la couleuvre, M. Fouquet et M. Colbert. Gentil écureuil à tête folle: c’est ingénieux, mais c’est peu naturel. Au fond, les allégories sont comme les songes: souvent le contre-pied les explique. Avez-vous les yeux bons, ma sœur Henriette?

      – Pour vous servir, sire.

      – Lisez-moi donc ces lettres noires et brisées dans cette bande que je crois une devise, autour d’Apollon chassant les monstres de la terre.

      – C’est du latin, sire.

      – Eh bien! voyons si vous savez le traduire, ainsi qu’on l’assure.

      – Quò non ascendam? où ne monterai-je pas?

      – Parfaitement, docte Henriette. L'écureuil dit cela à la couleuvre, mais c’est une fable. Et ici, à cet autre angle, que lit-on?

      – Une modification légère de la même devise: Quò non ascendet? où ne montera-t-il pas? Le futur est à la troisième personne au lieu d'être à la première.

      – Et si nous cherchions bien encore, ma sœur, ne croyez-vous pas que nous trouverions une seconde personne qui dirait: Tu ne monteras pas!

      Le duc de Saint-Aignan entra sur ces propos, et fut vivement poussé par le roi dans une petite pièce à côté. La reine-mère et madame Henriette restèrent seules et ne se parlèrent pas.

      Ces deux princesses s’observaient depuis quelques mois. Anne d’Autriche avait remarqué, ce qui du reste n'était échappé à aucune pénétration de courtisan, que Madame et le roi se partageaient une affection où Monsieur avait beaucoup à souffrir pour sa dignité de mari. Quoique vive, sa tendresse maternelle n’allait pas jusqu'à sacrifier un frère à l’autre, et à tolérer un scandale dont la cour d’Espagne, si bien servie en rapports, eût demandé réparation. Malheureusement ses appréhensions semblaient fondées. A tous les carrousels, le roi était le cavalier d’honneur de Madame; à toutes les comédies à ballet ils dansaient un pas ensemble; dans tous les couplets de Benserade, allusions transparentes où nul ne se méprenait, le roi était le lis, elle la rose. Quand le roi s'égarait à la chasse, on avait toutes les peines du monde à retrouver Madame. Anne d’Autriche avait jugé qu’il était temps de mettre un terme à une inconvenance ou d’arrêter une faute. Sachant que les rois ne guérissent d’une passion que par une autre, elle avait cherché et trouvé parmi les demoiselles d’honneur de Madame même une jeune personne peu remarquée, mais propre à frapper par une beauté modeste, qualité jusqu’ici rarement offerte à l’inconstance de son fils.

      Ceci était parfaitement vu, bien combiné, le roi tomberait au piége. Seulement Anne d’Autriche n’avait pas prévu qu’elle réussirait, non parce que son fils cesserait d’aimer Madame pour aimer une de ses demoiselles d’honneur, mais simplement parce que Louis XIV n’avait montré de l’amour pour sa belle-sœur qu’afin de cacher une passion vive et réelle pour la rivale dont sa mère lui ménageait la présence.

      Le roi avait poussé le duc de Saint-Aignan dans une encoignure, et lui répétait: «D’Artagnan est un maladroit, un fou; il entre ici comme dans une place conquise. Est-ce là la prudence que j’ai tant recommandée? Veillez sur lui, que ses mousquetaires ne quittent pas la selle un seul instant. M. de Colbert est-il venu, duc?

      – Oui, sire.

      – Tant mieux. Dites-lui de ne pas m’approcher de toute la journée, d'éviter de se promener en compagnie de Harlai, de Séguier et de d’Albret; de causer beaucoup au contraire avec Gourville, avec Lauzun, avec Pélisson, avec les dames, s’il en est capable, et de ne partir d’ici que toutes les bougies éteintes. Et Elle, est-elle ici? reprit bien bas Louis XIV, sans nommer qui.

      – Pas encore, sire. La suite de Madame n’est pas arrivée.

      – Qu’il me tarde de la voir! – Duc, rompons cet entretien sur-le-champ par un grand éclat de rire, afin de n’inspirer aucun soupçon à ma mère ni à Madame. Sachez leur dire pourquoi nous aurons ri.

      Le duc et le roi rirent aux éclats.

      – Mais venez donc, mesdames, s'écria le roi en paraissant à la porte du cabinet; monsieur le duc va vous expliquer la cause de notre gaieté.

      – Qu’est-ce donc, monsieur de Saint-Aignan? s’informa la reine-mère.

      – C’est… mon Dieu, cela vaut-il bien la peine?

      – Parlez toujours, duc.

      Saint-Aignan, qui n’avait rien à dire, balbutia, rougit, regarda le plafond, et répondit tout-à-coup avec la pétulance d’une réflexion subite:

      – Vos majestés ont dû remarquer que dans les nombreuses pièces de ce château l'écureuil de monsieur le vicomte poursuit avec acharnement la couleuvre de M. Colbert. Certes, s’il est quelqu’un en France capable de connaître les intentions héraldiques de M. de Belle-Isle, c’est le peintre qui a répété au moins deux ou trois mille fois cet emblème. Eh bien! ne faut-il pas que ce peintre soit singulièrement distrait ou coupable? Dans ce château, ici, sur notre tête (que vos majestés daignent regarder ce plafond pour m’en croire), ce peintre fait étrangler l'écureuil par la couleuvre.

      – Pas possible, duc!

      – Qu’il plaise à vos majestés de suivre la direction de mon doigt. En tirant une ligne du coude de cette femme qui représente le Sommeil, n’aperçoivent-elles pas, vos majestés, dans la guirlande du plafond, un écureuil?..

      – Et la couleuvre qui le darde! crièrent tous trois le roi, sa mère et Madame.

      – Si cela me regardait, ajouta le roi, je me croirais perdu.

      Il pâlit.

      Saint-Aignan pâlit.

      – Sortons au plus vite de ce cabinet de la prédiction.

      Ils rentrèrent, tout effrayés, dans le salon.

      Le nom du cabinet de la Prédiction est resté à cette pièce. A plus d’un siècle de distance, on éprouve un effroi historique, lorsqu’on regarde cette erreur de peintre qui fut une si terrible prophétie. On n’a presque plus d’attention pour la suave allégorie de Lebrun: le Sommeil, sous les traits d’une femme endormie, qui, comme l’a dit Lafontaine dans le Songe de Vaux, «laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas.»

      Quand les brigands du Nord, je veux dire les Bavarois, entrèrent en 1815 dans le château de Vaux, ils le saccagèrent. Ce délicieux boudoir ne fut pas épargné, et pourtant ils n’arrachèrent pas du plafond le Sommeil de Lebrun. Avaient-ils lu les vers de Lafontaine? S’il en fut ainsi, pourquoi le bonhomme n’en a-t-il pas écrit sur les fauteuils et les tapisseries? A la pointe du sabre, les Bavarois ont détaché du fond des fauteuils et du cadre des murs les étoffes brodées qui les garnissaient. Ils ont laissé les murs et les fauteuils dans l'état où ils se trouvaient avant

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