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c’est le prolongement du canal, qui, cinquante pas au-dessous, s'équarrit en miroir, et en prend le nom. Au-dessus du miroir est la Grotte de Neptune, qui fait face aux cascades de l’autre côté du canal. Sept arcades où s’incrustent sept rochers, et que terminent deux cavernes où se cachent, sous un rideau de pierre dentelée, deux statues de fleuves, forment la Grotte. Tantôt appelée la grotte de Vaux, et tantôt de Neptune, elle déploie soixante-dix marches de chaque côté, conduisant à une spacieuse terrasse au-dessus des arcades. C’est là qu'était la Gerbe-d’Eau, vaste réservoir qui alimentait la Grotte de Neptune, et du centre duquel jaillissait un jet d’eau de toute hauteur.

      Placé sur la terrasse de la Grotte, Louis XIV put voir toute la fête et en être vu. C’est le point le plus élevé de la ligne des travaux hydrauliques. Tournez-vous: un monument l’atteste. Hercule, les bras croisés, est derrière la terrasse, au-delà de la Gerbe-d’Eau; il semble dire: Ici finissent mes travaux, allez plus loin.

      Ce fut de là aussi que le roi, jaloux de tant de pompe, se dit: J'étendrai ma main sur ce château orgueilleux, et il tombera comme celui qui l’habite; j'épancherai ces eaux, et elles disparaîtront comme celui qui les a ramassées; elles et lui ne se retrouveront plus. Celles-ci seront le désespoir du voyageur, celui-là de l’histoire. J’en donne ma parole de roi.

      Qui n’eût pas été roi eût éprouvé une délicieuse rêverie à l’aspect de ces femmes saisies de respect, d’amour et de silence, au bord des bassins limpides et agités comme elles, blanches comme leurs parures, fraîches comme des naïades, presque endormies à la pluie monotone des cascades, à la fraîcheur assoupissante de la nuit.

      Chaque minute a sa surprise.

      Les eaux changent de couleur, elles en seront plus visibles. Elles s'élancent maintenant rouges, jaunes, vertes, mélangées. Un instant elles défient la nuit.

      D’autres eaux deviennent harmonieuses. Un Apollon de marbre renvoie de sa harpe des vibrations sonores: l’eau a effleuré les cordes de cristal de l’instrument, il chante.

      Puis tout cesse, – tout retombe. Les bassins reprennent leur niveau, des barques dorées sont lancées, des femmes s’y penchent, et, nautiles armées d'éventails, elles se croisent en tous sens avant de débarquer à l’extrémité du canal.

      Une étoile luit, la cloche sonne: c’est l’heure du dîner, on remonte au château.

      Et cela ne s’est plus revu.

      La malédiction du roi a été puissante. L’eau a séché comme la pluie sur une tôle brûlante; les jets d’eau sont rentrés dans la terre; pas plus de trace que du déluge.

      Les pierres des bassins ont été arrachées; elles sont éparses partout. Le canal est resté, la poêle et le miroir aussi. Mais la poêle est un pré, le miroir ne réfléchirait pas le soleil. Dérision! Je ne sais quel ciseau a creusé dans le flanc des sept rochers de la grotte des lignes qui simulent la chute de l’eau. Eau sculptée, fraîcheur en peinture. Deux monstrueux lions de marbre, caressant deux écureuils, – toujours Fouquet et Louis XIV, – gardaient et gardent encore les marches de la terrasse dont j’ai parlé. Un cerisier voisin a passé l’une de ses branches sous le ventre du terrible animal et le porte. Dans quelques années, le cerisier, devenu fort, aura renversé le lion de son socle. Ces marches, modèles du grand escalier de Versailles, tremblent aujourd’hui et chancellent sur l’herbe qui les déchausse. Savez-vous qui les gravit depuis que Louis XIV et Fouquet, Henriette d’Angleterre et mademoiselle de La Vallière y ont laissé leur empreinte? savez-vous qui? des milliers de couleuvres. Les couleuvres, armes vivantes de Colbert!

      Voyageur fatigué et mourant de soif, j’ai inutilement cherché un peu d’eau pour me désaltérer dans ce château, qui dépensa huit millions pour avoir de l’eau.

VI

      Mignard a décoré le salon d'été, où le dîner allait être servi. Parfaitement conservé, il est tel quel aujourd’hui. La pièce qui le précède est voûtée, et porte pour ornemens des rosaces d’or épanouies au fond d’encadremens en saillie.

      Jamais allégorie ne justifia mieux sa destination que celle qui se multiplie à l’infini sous les lambris du salon d'été. Père et mère naturels de tout ce qu’on mange et boit, le Commerce et l’Abondance, toujours fort beaux en peinture, flottent au plafond, au centre des incalculables subdivisions gastronomiques qu’ils engendrent. Ce sont les incarnations de Brama en matière de comestibles. L’effet n’en est pas heureux, et, malgré la poésie des emblèmes, qui voile un peu le matérialisme des choses représentées, on dirait la galerie de peinture d’un maître-d’hôtel retiré dans son château.

      Disposé pour recevoir les personnes que le roi voulait bien honorer de sa table, un cercle de chaises était le seul indice des approches du dîner. La symétrie des places traçait le vide de la table, mais il n’y en avait pas. Où donc poseraient les mets?

      Le roi s’assit, invitant son frère, sa mère et sa belle-sœur, Dangeau et quelques favoris, à prendre place à ses côtés.

      Fouquet obtint de Louis XIV la faveur de le servir, debout, derrière le fauteuil.

      Dès que les convives furent assis, sur un signe de Fouquet, le plafond descendit lentement et au son d’une musique douce. A hauteur voulue, la table aérienne, chargée de flambeaux, fumante des mets qu’elle portait, s’arrêta. Un autre plafond avait remplacé celui qui s'était détaché. On attendit que le roi applaudit à ce coup de baguette féerique du surintendant.

      Le roi applaudit, ce fut un murmure d'éloges.

      Pour n'être pas descendues du plafond, les autres tables n'étaient pas moins fastueusement couvertes. On en avait dressé dans la salle des Gardes, sous les marroniers, dans les parterres, dans la cour d’Honneur et dans la cour des Bornes.

      Vatel et ses aides avaient pourvu à la confection de ce prodigieux dîner, le même Vatel qui se tua quelques années après à Chantilly, désespéré de ne voir pas arriver la marée à temps.

      A Vaux, la marée fut fidèle à Vatel. D’ailleurs les précautions étaient si bien prises que, si les poissons de la rivière venaient à manquer, ceux de l’Océan du moins répareraient l'échec. Fouquet avait enfermé vivans, dans un bassin d’eau de mer, des saumons, des esturgeons et plusieurs dorades. On lit dans La Fontaine une épître à l’un de ces saumons.

      Quand l’officier de la bouche se présenta pour faire, selon l’usage, l’essai des viandes et des boissons, le roi l'écarta, et, d’un sourire qui alla au cœur du surintendant, il sembla lui dire: Chez vous, mon hôte, j’ai pleine confiance, je vous le prouve.

      La sensualité du temps n'était pas montée au degré d’aujourd’hui; l’art de fondre en une saveur indéfinissable mille saveurs était dans l’enfance, quoique les cuisines souterraines de Vaux soient des monumens. L’eau des fossés les entoure, des voûtes de pierre les couvrent. Un cavalier et son cheval auraient assez d’espace pour se promener sous le manteau des cheminées. Un bœuf y rôtissait à l’aise. Des broches géantes, vieilles armures de cuisine, rouillées au râtelier, attestent ce qu’on mangeait au château et ce qu’on n’y mange plus.

      Sur un plat d’argent qui couvrit la table, on servit un sanglier tout entier dont on avait doré les défenses.

      A mesure qu’on enlevait les porcelaines et les cristaux, des domestiques les jetaient dans les fossés, comme trop dignes, après l’usage qu’on en avait fait, pour servir à d’autres banquets.

      Au dessert, le roi ne manqua pas de parler de la chasse, son entretien de prédilection:

      – Monsieur de Belle-Isle, vos parcs sont-ils giboyeux?

      – Sire, ils le sont peu. Votre majesté n’ignore pas que, plantés depuis à peine quatre ans, ils n’offrent encore ni assez d’ombre ni assez d’abri aux cerfs et aux sangliers.

      – C’est dommage, l’emplacement est bon.

      – Sire, je le croyais comme vous.

      – Et qui donc n’est pas

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