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un mot, ce discours fut comme la lecture du grand-livre en partie double de la paternité, avec ses chagrins, ses pertes d’une part, ses joies, ses bénéfices de l’autre. Jusqu’alors, M. Divorne le constatait, la balance était en faveur de son fils, et lui, le père, se reconnaissait débiteur.

      – Et maintenant, ajouta-t-il en manière de conclusion, j’espère, Pascal, que tu ne voudras pas changer cet état de choses. Tu as dû réfléchir depuis que tu es ici, tu dois regretter d’avoir si follement brisé ta carrière. Reviens sur ta décision, adresse-toi au ministre, il ne te refusera pas ta réintégration, et je suis prêt à te pardonner le vif chagrin que tu m’as causé.

      L’effet produit fut loin d’être celui qu’attendait M. Divorne. Pascal garda quelques instants le silence, comme s’il eût rassemblé toutes ses forces. On eût pu croire qu’il hésitait à répondre. Enfin, d’une voix ferme:

      – Mon père, dit-il, ce que vous désirez est impossible. Ma demande, croyez-le, serait repoussée; d’ailleurs, je ne saurais me décider à la faire.

      – Fort bien, reprit l’avoué de l’air le plus mécontent; il est si facile aujourd’hui de se faire une position. Sans doute, vous avez trouvé mieux?

      – Sinon mieux, au moins plus à mon goût. Vous devez penser que j’ai réfléchi avant d’agir. Quant à mes intentions, je suis venu ici précisément pour vous en faire part. C’était d’autant plus nécessaire, que j’aurai besoin de vous.

      – C’est vraiment fort heureux. Je comprends alors que tu aies songé à moi. Et en quoi pourrai-je t’être utile?

      – Avant de rien entreprendre, il est nécessaire que je me procure des fonds, et j’ai compté…

      – Ah! nous y voici donc, dit l’avoué d’un ton goguenard; il te faut des fonds… Mais il me semble qu’avant de quitter une position toute faite, tu devais t’assurer de ma bonne volonté. Si je te refusais… et certes, je refuserai…

      – Mais, mon père, reprit Pascal avec un peu d’impatience, il me semble qu’il y a dix ans à peu près une de mes tantes m’a laissé par son testament une quarantaine de mille francs.

      Une vieille plaideuse de soixante ans, à peu près certaine du gain d’un de ses procès, serait venue dire à l’avoué: « – J’y renonce,» elle l’eût certes moins surpris qu’il ne le fut aux paroles de son fils.

      – C’est-à-dire que tu me demandes des comptes, prononça-t-il avec amertume. Ah! c’est une surprise cruelle.

      Pascal eut beau se défendre, le coup était porté. Il essaya d’expliquer ses projets à venir, il voulut se justifier, faire connaître l’emploi de l’argent qu’il demandait, M. Divorne se refusa même à l’écouter.

      – Eh! que m’importe, disait-il, je ne veux rien savoir.

      En effet, il était bien loin de la discussion présente. Il avait oublié jusqu’à la démission; il ne songeait plus qu’au moyen de sauver cet argent que Pascal, il devait bien se le dire, était en droit de réclamer.

      Il cherchait quelque moyen pour donner le moins possible, convaincu qu’un si jeune homme ne pouvait faire qu’un détestable usage d’une somme aussi forte.

      – Voyons, Pascal, dit-il enfin, je comprends que tu aies besoin d’argent. Cependant, tu pouvais t’y prendre d’une autre façon pour m’en demander. Suis-je donc un père ridicule? T’en ai-je jamais refusé? Tu n’as pas abusé, je le reconnais. Mais voici cinq ans que tu travailles beaucoup, peut-être désires-tu te distraire, faire un voyage…

      – Mais non, mon père, si vous me laissiez parler, je vous…

      – Tais-toi, écoute: tu as sans doute des dettes. Eh! mon Dieu! tous les jeunes gens en ont…

      – Je ne dois pas un sou.

      – Mais écoute-moi donc, je ne te demande rien. Sois franc, tu as besoin de cinq mille francs?

      – Mon cher père…

      – Il te faut davantage… soit, tu auras dix mille francs.

      Et l’avoué, se levant, comme pour annoncer que la discussion était close, se dirigea vers la porte. Pascal comprit qu’il fallait en finir.

      – Mon père, dit-il, j’ai besoin de tout ou de rien.

      – Rien alors, répondit M. Divorne d’un ton menaçant, en revenant sur ses pas; rien. Crois-tu que je vais, jeune insensé, te laisser dissiper ta petite fortune?

      – Cet argent m’est nécessaire, pourtant, indispensable.

      – Ah! c’est indispensable; soit. Ta tante t’a laissé une ferme, une ferme que je te rendrai en bon état, avec un bail avantageux. Soit, reprends tes biens et arrange-toi. Qu’en feras-tu?

      – Je les vendrai.

      – Et tu crois que cela te donnera de l’argent du jour au lendemain? Il faut attendre une occasion, chercher un acquéreur, poser des affiches…

      – Je chercherai, je poserai des affiches.

      – Mais tu n’y penses pas, malheureux! et que dirait-on à Lannion, si on te voyait vendre seulement un franc de terre! Sais-tu ce qu’on dirait?

      – Eh! que m’importe! s’écria Pascal avec vivacité. Je vais commander les affiches de ce pas.

      M. Divorne connaissait son fils. Il comprit que sa détermination était prise.

      – Arrêtez, dit-il, je veux vous éviter cette honte. Je trouverai l’argent, dussé-je faire un sacrifice.

      Pascal, qui regrettait de s’être un instant laissé emporter, voulut prendre les mains de son père; mais il le repoussa.

      – Epargnez-vous d’inutiles protestations, fit-il; et il ajouta d’un air d’ironie: Vous voudrez bien, je l’espère, m’accorder huit jours.

      Et il sortit en fermant la porte avec violence.

      Pendant cette discussion, madame Divorne n’avait pas prononcé une parole; elle pleurait. Pascal, que la colère paternelle avait affermi dans sa résolution, se sentit faible devant les larmes de sa mère.

      Il s’agenouilla près d’elle, et lui prenant les mains:

      – Mère, dit-il, chère mère, un mot, dis un mot, et je renonce à mes projets, et j’essaie de retirer ma démission.

      Un éclair de joie brilla dans les yeux de madame Divorne, éclair de triomphe aussi. Comme son fils l’aimait! que ne lui sacrifiait-il pas, lui si ferme tout à l’heure!

      – Non, mon Pascal, non, suis tes inspirations, j’ai confiance, moi.

      – Chère mère, au moins faut-il que tu saches…

      – Rien, je ne veux rien savoir. Je te le répète, j’ai confiance; comprendrais-je, d’ailleurs?

      Et comme il s’obstinait, elle lui ferma la bouche de ses deux mains.

      La maison fut bien triste pendant les jours qui suivirent. L’avoué était sombre et ne disait mot. On ne le voyait qu’aux heures des repas; le reste du temps il s’enfermait dans son cabinet. Madame Divorne se cachait pour pleurer.

      Pascal n’avait pas idée d’un tel supplice. Il aurait donné deux ans de sa vie pour pouvoir partir. Si encore il avait pu causer de ses projets, étaler ses plans. Mais non, il fit près de son père deux ou trois tentatives inutiles, et sa mère lui répondait toujours: « – J’ai confiance,» sans vouloir lui laisser dire une parole.

      Enfin, le jour indiqué, M. Divorne conduisit son fils dans son cabinet.

      – Voici, dit-il, en lui montrant une liasse d’actes, vos comptes de tutelle. Voyez si j’ai administré vos biens en bon père de famille. Lisez, et donnez-moi quittance.

      Pascal prit une plume.

      – Non, lisez, insista l’avoué.

      Et

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