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Espagnols». Le 25 mai 1555, le roi de Navarre, âgé de cinquante-trois ans, mourut à Hagetmau, pendant une absence de Jeanne, qui était allée rejoindre Antoine de Bourbon en Picardie, et au moment où les complications de la politique ravivaient, dans le cœur de cet irréconciliable ennemi de l'Espagne, l'espoir si souvent déçu de recouvrer ses Etats. Henri d'Albret est un des plus dignes ancêtres de Henri IV: rien qu'à ce titre, l'histoire lui devrait un pieux souvenir.

      Il était né en 1503. Dans son enfance, attristée par le démembrement du royaume de Navarre, que ne sut pas défendre son père, Jean d'Albret, il se lia d'une étroite amitié avec le futur vainqueur de Marignan: les archives du château de Pau contiennent de nombreux témoignages de l'affection qui unissait les deux princes avant le désastre de Pavie. On sait de quelle vaillance fit preuve Henri d'Albret dans cette bataille, et tous les historiens ont raconté son évasion hardie, lorsque Charles-Quint voulut abuser de sa captivité pour lui imposer des conditions déshonorantes. L'héroïsme et le malheur communs firent des deux amis deux frères. Marguerite de Valois-Angoulême, veuve du duc d'Alençon, émue et charmée de la magnanimité du chevalier béarnais, lui donna sa main, qu'il avait ardemment désirée quelques années auparavant. Ce fut un grand bonheur pour le Béarn et les autres Etats de la couronne de Navarre, que cette illustre union. Henri et Marguerite se partagèrent la mission d'enrichir et d'embellir ces contrées. La reine, dit l'auteur du Château de Pau, appela des artistes italiens pour décorer les vastes appartements qu'elle fit construire au midi, le grand escalier que l'on admire encore, la cour intérieure et tout le dehors de l'édifice, remanié dans le style de la Renaissance. Le palais des rois de Navarre dut paraître magnifique: le vieux Louvre des rois de France, les Tuileries et le Luxembourg ne devaient resplendir que plus tard. Ce fut alors, sans doute, que les Béarnais ravis répandirent le fameux distique:

      Qui n'a vist lo casteig de Paü,

      Jamais n'a vist arey de taü.

      Henri d'Albret s'associa aux nobles goûts de sa femme; mais, de son côté, il accomplissait une œuvre encore plus méritoire. En Béarn, de vastes étendues de terrain étaient incultes, les populations de ce pays s'adonnant surtout à la vie pastorale. Rien ne coûta au roi pour développer, on peut dire pour créer l'agriculture dans ses Etats: en quelques années, le territoire béarnais avait changé de face. En même temps, Henri, précurseur des progrès industriels, fondait à Nay une fabrique de draps et établissait à Pau une imprimerie. Partout, enfin, il favorisait la naissance ou le développement des entreprises qui avaient pour but l'amélioration de la fortune publique. Il ne s'en tint pas à ces actes de sollicitude éclairée. Les antiques Fors de Béarn morcelaient, en quelque sorte, la constitution du pays: il les fit reviser avec un soin minutieux, et les transforma en un For général qui répondait aux nécessités de l'époque. Rien n'échappait à son activité de gouvernant: il réorganisa la plupart des services publics, divisa son conseil en deux chambres, l'une civile, l'autre criminelle; créa des chambres des comptes, de nouvelles administrations, de nouveaux emplois d'une haute utilité; et législateur aussi ferme que fécond, il fit en sorte que ses lois fussent fidèlement appliquées.

      L'enthousiasme d'un écrivain béarnais prête à Charles-Quint ce mot invraisemblable: «Je n'ai trouvé qu'un homme en France: c'est le roi de Navarre». L'exagération castillane n'est pas nécessaire pour peindre Henri d'Albret et honorer sa mémoire: le grand-père maternel de Henri IV fut un prince vaillant, sage, ami de son peuple, qui le pleura comme un bienfaiteur. Toutes ses royales vertus devaient revivre avec éclat dans son petit-fils. Il fut inhumé, comme Marguerite, dans le cathédrale de Lescar, en attendant, disaient ses dernières volontés, qu'il pût reposer à Pampelune, à côté des anciens rois de Navarre, ses prédécesseurs.

      En vertu des lois fondamentales du royaume de Navarre, Jeanne d'Albret succédait à son père et partageait la couronne avec son mari. Ils furent bien près de ne la porter ni l'un ni l'autre. Au moment où ils se préparaient à partir pour le Béarn, Henri II eut la pensée de réunir leurs Etats à la couronne de France, en échange de quelques domaines du centre et du nord. Il faut citer ici une page du vieil historien de la Navarre.

      «Antoine de Bourbon se prépare, avec la reine Jeanne d'Albret, sa femme, pour aller prendre possession de leurs nouveaux Etats, où ils étaient attendus avec un grand désir de leurs sujets. Le roi Henri II, conseillé de quelques grands seigneurs de sa cour qui avaient son oreille, le persuadèrent de retenir ce prince auprès de lui, et que tout ainsi qu'il n'y avait qu'un soleil au monde, sans qu'aucune autre planète eût la lumière à part, de même la France ne pouvait souffrir qu'un roi; qu'il fallait récompenser le duc Antoine en France selon la valeur des terres et souverainetés qu'il avait en la Basse-Navarre, Béarn et Gascogne. Cette proposition trouvée bonne, il en avertit le roi de Navarre, lequel remet cette affaire si importante au consentement de la reine sa femme, à laquelle, disait-il, il appartenait d'agréer cet échange, d'autant que les dits royaumes et seigneuries étaient de son propre. Cette avisée princesse, résolue de conserver les biens que ses pères et aïeux lui avaient délaissés, pour apaiser le roi, lui promit de s'y résoudre, avec ses sujets, et lui donner en ceci et en toutes autres choses tout le contentement qu'il pouvait désirer. Sur ces promesses, le roi de Navarre ayant remis son gouvernement de Picardie entre les mains du roi, il lui fit le serment de celui de Guienne, arrêté pour lors être tenu à l'avenir par celui qui serait jugé et déclaré premier prince du sang, comme le fut le roi Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, reçu en cette qualité au parlement de Paris, au mois de juin dudit an mil cinq cent cinquante-cinq, et depuis confirmé aux Etats d'Orléans. Et se dispose avec sa femme à faire son voyage.

      «Le roi de Navarre et sa femme furent magnifiquement reçus par toutes les terres de leur obéissance, et nommément en Foix et en Béarn, où ayant été parlé de l'échange que le roi de France voulait faire à leurs princes, ce ne fut qu'assemblées pour en empêcher l'effet… Incontinent, la noblesse et le peuple en alarme pour la défense de leurs princes naturels, voilà tout aussitôt Navarrenx fortifié, et le même à Pau, où est établi le parlement, et la chambre des comptes du pays; et ensuite le même se fait par toutes les autres villes, pour résister au roi de France, s'il en venait à la force, ce qu'il ne fit, ayant entendu la réponse des Etats du pays. Ainsi cette affaire rompue, le roi en fut fâché, et en montra les effets, en ce que il retrancha le gouvernement de Guienne de la moitié, en ayant éclipsé et tiré le Languedoc, fit un gouvernement à part, dont la ville de Toulouse était le chef. Messire Anne de Montmorency en fut le premier gouverneur, auquel en cette charge, et à la dignité de connétable, la première de France, a succédé son fils Messire Henri de Montmorency. L'autre trait de l'indignation du roi parut, en ce que le roi de Navarre ayant remis entre ses mains le gouvernement de Picardie, et supplié Sa Majesté d'en investir Louis de Bourbon, prince de Condé, son frère, il le donna à l'amiral de France Gaspard de Coligny, seigneur de Châtillon, neveu dudit connétable. Ainsi furent assurés le roi de Navarre et sa femme en la jouissance de leurs souverainetés, sans plus parler d'échange.»

      Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret furent couronnés, en cette même année, au château de Pau. Selon les traditions du pays, ils prêtèrent serment entre les mains des évêques, en présence du clergé et de la noblesse. Ils passèrent dans leurs Etats deux années de paix, durant lesquelles la grande affaire de la reine fut l'éducation de son fils, si bien commencée du vivant de Henri d'Albret. Mais Antoine et Jeanne avaient été blessés au cœur par la conduite de Henri II à leur égard et par la disgrâce où il tenait les Maisons d'Albret et de Bourbon, tout en favorisant la Maison de Lorraine, depuis le refus des Etats de Navarre et de Béarn de passer sous la domination française. De là, des ressentiments qui s'aigrissaient chaque jour et dont l'expression, par suite des circonstances, prit des formes provoquantes et scandaleuses.

      Les imprudences de la reine Marguerite avaient donné pied, en Béarn, à la Réforme. Elle subsistait sans bruit et gagnait peu à peu du terrain. Antoine se mit en tête de la protéger ouvertement, ce qu'il fit bien plutôt pour mortifier Henri II que pour obéir à de nouvelles convictions religieuses. On le vit accueillir les ministres et les orateurs calvinistes; il donna même à David, l'un d'entre eux, le titre de prédicateur du roi et de la reine de Navarre, et ce moine apostat eut, un jour, licence de prêcher sa doctrine

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