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la reine de Navarre hésitaient, depuis longtemps, entre plusieurs projets d'union, et leur plein agrément n'était pas acquis à Antoine de Bourbon, que présentait le successeur de François Ier; mais la préférence de Jeanne s'étant manifestée, le duc de Vendôme épousa, le 20 octobre 1548, l'héritière du royaume de Navarre.

      De l'aveu de tous les historiens, Jeanne, surnommée la «mignonne des rois», était une princesse accomplie. Elle tenait de son père et aussi de François Ier, son oncle, un cœur chevaleresque, un caractère noblement altier; sa mère, la savante et poétique Marguerite, l'avait dotée d'un esprit cultivé, peut-être un peu trop libre, en même temps que d'un reflet de cette beauté et de cette grâce qui charmèrent un demi-siècle et dont trois siècles écoulés n'ont pu ternir l'éclat. La reine de Navarre avait transporté avec elle, à Pau et à Nérac, quelques-unes des splendeurs de la Renaissance et des élégances raffinées de la cour des Valois. On a prétendu qu'elle y avait fait éclore la Réforme, dont elle aurait même embrassé les doctrines. La vérité est que, d'un esprit curieux et hardi, elle voulut connaître la rhétorique du calvinisme, lui donna accès auprès d'elle, dans la personne de ses docteurs et de ses poètes, l'étudia, la discuta, la loua sur plus d'un point, et, sans s'en apercevoir, favorisa dangereusement l'œuvre d'une secte. Mais, sectaire ou même néophyte, elle ne le fut point, tous les témoignages le proclament: Marguerite vécut et mourut en catholique. Il n'en est pas moins certain que l'espèce de «libertinage» intellectuel dont Jeanne eut le spectacle à la cour de sa mère devait avoir sur son avenir une influence décisive, pour peu que les circonstances vinssent réveiller de vifs souvenirs et seconder de vagues penchants. Mais, à l'heure où se négociait son mariage, rien ne faisait pressentir en elle la princesse politique et la zélatrice de la Réforme qui, plus tard, méritèrent tantôt les admirations, tantôt les sévérités de l'histoire2.

      Antoine de Bourbon, qu'elle allait épouser, était le chef de la Maison de Vendôme, issue de saint Louis. La terre de Vendôme était passée dans la famille de Bourbon en 1364, par le mariage de Catherine de Vendôme avec Jean de Bourbon, comte de la Marche. Ce domaine avait été érigé en duché par François Ier, l'année de son avènement, et Henri II tenait en réserve, pour l'apanage de son cousin, de nouveaux accroissements, tels que le duché-pairie d'Albret, formé de l'ancienne vicomté de ce nom et d'une importante fraction de la Gascogne. Né en 1518, Antoine de Bourbon avait la réputation d'un prince vaillant, «car de cette race de Bourbon», dit Brantôme, «il n'y en a point d'autres.» De grand air et de belle humeur, il eût joué un rôle prépondérant dans les luttes de cette époque, si la versatilité de son caractère et ses galanteries sans frein ne l'eussent jeté en proie aux intrigues de cour.

      Le mariage d'Antoine et de Jeanne fut célébré à Moulins. Le roi et la reine de France, le roi et la reine de Navarre y assistèrent, avec la plupart des princes et des grands seigneurs, empressement qui s'explique aisément quand on songe que, la loi salique n'existant pas en Navarre, Jeanne d'Albret apportait en dot au duc de Vendôme, déjà prince du sang de France, non seulement la couronne de Navarre et la principauté de Béarn, mais encore de riches domaines. Par cette union, les Maisons de Bourbon et d'Albret semblaient prendre possession d'un avenir que plus d'une famille princière devait envier ou redouter.

      A peine mariée, la duchesse de Vendôme dut se familiariser avec l'existence guerrière et nomade qui était celle d'Antoine de Bourbon. Ses deux premiers enfants vinrent au monde au milieu du bruit des combats. Le duc de Beaumont, né en 1551, mourut l'année suivante, à La Flèche, étouffé, pour ainsi dire, par sa gouvernante, la baillive d'Orléans, qui, dans son horreur maniaque du froid, mesurait parcimonieusement l'air aux poumons de l'enfant. Le second, nommé en naissant comte de Marle, donnait les plus belles espérances, et faisait à la fois la consolation et l'orgueil de Henri d'Albret, lorsqu'il périt à Mont-de-Marsan, de la façon la plus inopinée: sa nourrice le laissa choir par une fenêtre.

      Ce fut un deuil inexprimable pour la cour de Navarre, surtout pour le roi, toujours profondément attristé de son veuvage. Marguerite était morte en 1549. Depuis la perte de son frère, ce magnifique François Ier qu'elle avait aimé jusqu'à l'idolâtrie, la reine de Navarre ne faisait plus que languir. Une pleurésie précipita sa fin. Elle séjournait au château d'Odos, près de Tarbes. Pendant une nuit de décembre, l'apparition d'une comète ayant excité sa curiosité, elle commit l'imprudence d'observer ce phénomène. Huit jours après, elle expirait, bénie par l'Eglise et dans des sentiments qui, malgré ses hardiesses d'esprit, avaient été ceux de toute sa vie. Elle fut inhumée dans la cathédrale de Lescar.

      Heureusement pour la vieillesse de Henri d'Albret, l'heure des grandes consolations était proche. Au milieu de son deuil, la nouvelle lui parvint d'une troisième grossesse de la duchesse de Vendôme, en ce moment auprès d'Antoine de Bourbon, dans son gouvernement de Picardie. Le roi de Navarre exigea que sa fille revînt en Béarn; on raconte même qu'une députation fut envoyée de Pau à la duchesse, pour hâter son retour. Jeanne, malgré les premières rigueurs de l'hiver, se mit en devoir de traverser la France, entreprise presque téméraire, mais qui n'était pas faite pour effrayer cette princesse: «amazone hardie et courageuse», dit le vieux Favyn, «elle suivait son mari en guerre et en paix, à la cour et au camp.» Partie de Compiègne vers la fin de novembre, elle arriva, le 4 décembre, à Pau, après s'être reposée quelques heures à Mont-de-Marsan, où Henri d'Albret était venu à sa rencontre.

      Des bruits inquiétants avaient couru sur les vues d'avenir du roi de Navarre. On disait que, craignant de ne pas se voir revivre dans un petit-fils, il songeait à se remarier, et que l'Espagne, de bonne foi ou par feinte, lui avait offert Catherine de Castille, sœur de Charles-Quint, avec une promesse de restitution de la Haute-Navarre. D'un autre côté, il passait pour être gouverné par une dame de sa cour, à qui son testament assurait de grands avantages. La duchesse de Vendôme, instruite de ces rumeurs, n'avait pu s'empêcher d'en montrer quelque émotion. Le roi s'en expliqua ouvertement avec elle. Dès qu'elle fut installée au château, où la sollicitude paternelle l'entoura de soins presque tyranniques, Henri d'Albret mit sous les yeux de sa fille «une grosse boîte d'or fermée à clef, et par-dessus, pour pendre icelle, une chaîne d'or qui eût pu faire vingt-cinq ou trente tours à l'entour du col; ouvrit cette boîte, lui montra son testament seulement par-dessus, et l'ayant refermée», il lui dit que, testament et bijoux, tout serait à elle, si, afin de ne pas mettre au monde un enfant pleureur ou rechigné, elle avait le courage de chanter un air béarnais, au moment de la naissance3.

      Cette naissance eut lieu, dix jours après l'arrivée de Jeanne, le 14 décembre 1553, vers une heure du matin. Averti aussitôt, Henri d'Albret entra dans l'appartement de sa fille. En l'apercevant, elle eut la force et la présence d'esprit de commencer un motet religieux et populaire:

      Nousté Dame deü cap deü poun,

      Adjudat-me a d'aqueste hore!

      Henri, unissant sa voix à celle de la duchesse, n'avait pas achevé la première strophe, que son petit-fils entrait dans la vie: le nouveau-né devait être Henri IV. Le roi de Navarre était loin de pressentir pour sa race les destinées qui attendaient cet enfant; mais il avait pourtant ses rêves d'ambition dans la vie et outre-tombe: son premier vœu était exaucé, il pouvait bien augurer de l'accomplissement des autres. Transporté de joie, l'heureux aïeul tire de son sein la précieuse boîte qui contenait le testament royal, et la déposant entre les mains de la duchesse: « – Voilà qui est à vous, ma fille, dit-il; mais ceci est à moi!» Puis, faisant envelopper son petit-fils dans les pans de sa robe, il emporta, tout triomphant, cette chère et fragile proie jusque dans sa chambre. Là, les premiers soins furent donnés à l'enfant. D'autres traits de mœurs naïfs et touchants signalèrent cette naissance. Les historiens du temps racontent que Henri d'Albret, pour donner une sorte de baptême viril à son petit-fils, lui frotta les lèvres d'une gousse d'ail et lui fit sucer, dans une coupe d'or, quelques gouttes du célèbre vin de Jurançon, récolté sur les collines situées de l'autre côté du Gave, en face du château de Pau: scène pittoresque passée à l'état de tradition, et dont Louis XVIII se souvint, lors de la naissance du duc de Bordeaux. « – Tu seras un vrai Béarnais!» dit le roi de Navarre.

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<p>2</p>

Appendice: II.

<p>3</p>

Appendice: IV.