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d'une revanche royale. La réalité dépassa le rêve: Henri IV fit plus que venger ses ancêtres maternels, il les glorifia par ses actes, en même temps que par son œuvre il replaçait la France, la grande patrie, à la tête des nations.

      Les débuts dans la vie du prince de Navarre furent difficiles. L'histoire a fait le compte de ses nourrices: il en eut huit; sept échouèrent dans leur tâche, pour diverses causes; la huitième enfin réussit. C'était une humble paysanne, Jeanne Lafourcade, femme de Lassansa, laboureur qui demeurait à Bilhères, village encore existant de nos jours et, à cette époque, limitrophe de la commune de Pau. Au commencement de notre siècle, la maison de Lassansa avait conservé à peu près sa physionomie d'autrefois: une habitation toute rustique, avec un jardin d'un demi-arpent, clos d'un mur à hauteur d'appui; une porte ouvrant sur la cour, avec cette inscription au fronton: «Saoubegarde deü Rey, – Sauvegarde du Roi». Le parc du château s'étendait jusqu'au seuil de la maisonnette, si bien que Jeanne pouvait aller voir son fils sans sortir du domaine royal.

      Le baptême du prince de Navarre ou du prince de Béarn, comme disaient de préférence les Béarnais, fut célébré le 6 mars 15544, dans la chapelle du palais, avec toute la solennité et toute la magnificence dont pouvait disposer la cour élégante de Henri d'Albret. Le roi présenta lui-même son petit-fils sur une écaille de tortue de mer, qui est restée une des reliques du château, et «Henri de Bourbon, comte de Viane, duc de Beaumont», fut baptisé dans des fonts de vermeil, par le cardinal d'Armagnac. Henri II de France et Henri II de Navarre étaient parrains, le premier représenté par le cardinal de Vendôme, frère d'Antoine de Bourbon. Le prince eut pour marraines la reine de France et Isabeau d'Albret, sa tante, veuve du comte de Rohan. Il peut sembler oiseux de commenter ce fait, que le baptême du fils de Jeanne d'Albret fut essentiellement catholique, et que tout l'était autour du berceau de Henri de Bourbon. Nous ne jugeons pourtant pas inutile de marquer d'une réflexion cette entrée dans la vie religieuse, en un temps où les contre-vérités historiques et les préjugés de secte sont parvenus à dénaturer tant d'événements, à travestir tant de figures, à rejeter dans l'ombre ou dans la pénombre ce que le bon sens doit juger clair comme la lumière du soleil. Beaucoup d'historiens passent légèrement sur le baptême du prince de Navarre, n'insistent pas sur la nouvelle foi que lui imposa plus tard Jeanne d'Albret, et parlent avec émotion, sinon avec amertume, de l'abjuration ou même de l'apostasie du roi de France! Henri était né catholique comme son père, comme sa mère, comme tous ses ancêtres; on abjura pour lui dans son enfance, et il abjura lui-même sous les poignards de la Saint-Barthélemy; chef de parti, dans la suite, il ne laissa jamais désespérer de son retour à la religion traditionnelle; homme et roi, enfin, il y tendit de toutes ses forces, avec une sincérité et une grandeur d'âme qui, plus que son épée peut-être, vainquirent et pacifièrent la France.

      L'heure où il naquit n'était ni pour notre pays, ni pour l'Europe, celle de la paix et de la justice. Depuis trente ans déjà, la Réforme agitait le vieux monde, qu'elle avait bouleversé en partie et qu'elle était à la veille de faire trembler sur ses bases. Luther, couché dans la tombe, avait fait son œuvre, qui fructifiait en Allemagne, dans les pays scandinaves, en Hollande et, par contre-coup, en Angleterre. Calvin vivait encore, d'un esprit plus ardent et plus niveleur que son devancier; le «Pape de Genève» avait prêché et surtout suscité des prédicateurs en France. Politique autant que religieuse, la Réforme s'était heurtée aux impatiences de François Ier, qui sévit contre elle; mais, dès le début du règne de Henri II, elle avait reçu de ce prince des encouragements indirects par son alliance avec les princes luthériens d'Allemagne, soulevés contre Charles-Quint. La politique devrait être, ce semble, l'art de tout prévoir, et c'est presque toujours l'imprévu qui déconcerte ses desseins, paralyse ses actes et la met en péril. En donnant la main aux princes du Saint-Empire, Henri II avait oublié que la Réforme croissait et multipliait, par tolérance, dans ses propres Etats, parmi ses grands vassaux et ses capitaines, et jusque sur les marches du trône. Lorsque, plus tard, elle leva la tête au point qu'il fallut compter avec elle sur les champs de bataille, on doit avouer qu'elle avait, de son côté, tout au moins l'apparence du droit et de la logique. Les coquetteries d'esprit dont Marguerite de Valois l'avait honorée, l'intronisation de ses idées dans plusieurs pays, la contagion de l'exemple, la séduction des triomphes voisins, et enfin l'alliance aventureuse, quoique momentanée, de Henri II avec les luthériens couronnés, c'était plus qu'il n'en fallait pour lui révéler sa force d'expansion et lui dicter de hautes entreprises. Tout l'appelait au combat, et elle en cherchait vaguement le chemin, au moment où Jeanne d'Albret, qui devait être une de ses héroïnes, marquait du sceau catholique le front de son fils.

      CHAPITRE II

      La gouvernante du prince de Navarre. – Le château de Coarraze. – L'éducation à la «béarnaise». – Les premières leçons. – Mort de Henri d'Albret. – Résumé de son règne. – L'aïeul et le petit-fils. – Avènement de Jeanne et d'Antoine. – Les desseins de Henri II sur la Navarre et le Béarn. – Antoine protège la Réforme. – Menaces du roi de France. – Le prince de Navarre à la cour de Henri II. – Naissance de Catherine de Bourbon. – La paix de Cateau-Cambrésis. – Mort de Henri II et avènement de François II. – La politique de Catherine de Médicis. – Les Bourbons évincés par les Guises. – La revanche du roi et de la reine de Navarre. – La conjuration d'Amboise. – Mort de François II et avènement de Charles IX. – Catherine de Médicis régente. – Le triumvirat. – Le chancelier Michel de l'Hospital et l'édit de Janvier. – Les troubles. – La prise d'armes de Condé et de Coligny.

      A la mort du comte de Marle, son second petit-fils, Henri d'Albret s'était fort courroucé contre la duchesse de Vendôme, «l'appelant marâtre», dit Favyn, «et indigne d'avoir des enfants, puisqu'elle en avait si peu de soin». Tout injuste qu'était ce reproche, il toucha au cœur la mère, qui, prenant pour guide l'affectueuse sévérité de l'aïeul, se voua, avec un redoublement de sollicitude, à l'éducation du jeune prince. Le roi de Navarre avait fait le plan de cette éducation; il fut exécuté de point en point. L'allaitement dans une chaumière, en plein air, pour ainsi dire, fit de Henri un nourrisson robuste; même avant le sevrage, il ravissait son grand-père par un agréable mélange de force et de gentillesse. Au sortir des bras de Jeanne Lafourcade, il eut pour gouvernante Susanne de Bourbon-Busset, baronne de Miossens, à qui fut donné l'ordre de l'élever, non dans le palais natal, mais dans un site agreste, aux environs de Pau. Elle s'établit avec Henri au château de Coarraze, chef-lieu d'une des treize baronnies du Béarn, et là commença, pour l'héritier des Maisons d'Albret et de Bourbon, cette éducation à la «béarnaise» qui devait préparer, comme dit d'Aubigné, «un ferme coin d'acier aux nœuds endurcis de nos calamités».

      Trois siècles de vicissitudes sociales et politiques n'ont laissé de l'antique manoir qu'une tour et quelques pans de muraille, mais trois siècles de civilisation n'ont eu que peu de prise sur la nature. C'est toujours la même riante vallée du Gave, le même ciel radieux, le même air salubre; ce sont encore les collines boisées, les rocs stériles, les profonds ravins, tout ce cadre magnifiquement sauvage que la volonté de Henri d'Albret imposait à l'enfance de son petit-fils. Et ce ne fut pas en prince, mais en paysan, qu'il y passa ses premières années. Nourri de pain bis et de laitage, de bœuf et d'ail, vêtu sans élégance, souvent pieds nus et nu-tête, bravant le soleil et la pluie, courant les buissons, les bois et les rochers, ignorant toutes les superfluités et tous les luxes de la vie, s'ignorant lui-même, il fraternisait avec les fils de pâtres, parlait leur langue, se mêlait à leurs jeux et s'intéressait à leurs travaux. Il apprit à Coarraze trois choses qui résument presque toute sa vie: l'activité, la hardiesse et la cordialité. Il vit de près le peuple, le vrai peuple, celui qui travaille, et il l'aima, sûr moyen d'être aimé de lui. C'est le rustique châtelain de Coarraze qu'on retrouvera toujours en lui, lorsque, à la tête des armées, il prendra constamment la défense des «pauvres gens», même contre ses plus fidèles serviteurs, entraînés parfois à faire trop bon marché de la faiblesse et de la misère. C'est le coureur de bois et de montagnes, à la fois intrépide et insoucieux, qui, plus tard, saura railler la fortune inconstante, rire au danger, relever, par un mot d'héroïque gaîté,

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Appendice: IV.