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paroles, et lui fit avouer que c'étoit là ce qui avoit donné sujet à l'entretien précédent. Il la consola et lui promit de n'avoir dorénavant aucun égard à tous les rapports qu'on pourroit lui faire; que jamais on n'effaceroit de son âme, par des craintes ridicules et mal fondées, l'affection qu'il lui avoit jurée, et qu'elle pouvoit entièrement se reposer de cela sur sa parole. – «Ah! Sire, lui dit-elle en pleurant, si Votre Majesté souffre que la médisance aille si proche du trône, il est à craindre qu'elle n'épargne pas même dans la suite votre personne, quoique sacrée, et qu'elle ne viole ce qu'il y aura de plus saint. – Vivez en repos, dit le Roi, j'y mettrai ordre.»

      On eut bien de la peine à découvrir qui étoit l'auteur de la tragédie; la lettre étoit venue entre les mains du Roi par une personne hors de soupçon, et qui, en effet, n'étoit point coupable. Les sentimens étoient entièrement divisés: les uns attribuoient ce coup à La Vallière4, disant qu'au milieu de son cloître elle ne laissoit pas d'être sensible, et que, comme elle avoit toujours éperdument aimé le Roi, la jalousie avoit pu lui suggérer ce dessein; d'autres, plus avisés, rejetoient toute l'intrigue sur une des dames de la Reine, qui, étant la confidente de sa maîtresse, avoit cru sans doute lui rendre un bon service que de procurer, par cet artifice, l'éloignement de sa rivale. Quoi qu'il en soit, le Roi, apparemment, en jugea mieux que tous les autres en disant que Lauzun avoit part dans cette affaire; non pas qu'il crût qu'en effet ce fût lui, cela étoit moralement impossible, puisqu'il étoit déjà prisonnier, mais il donnoit à connoître qu'il croyoit que les personnes qui se sont toujours intéressées pour lui y avoient trempé. Tout le monde ne comprit pas la conséquence de ces paroles; mais ceux qui savoient que la disgrâce du comte n'étoit venue que pour avoir mal parlé d'Astérie la conçurent aussitôt5.

Il sembloit qu'après les protestations qui suivirent l'éclaircissement de nos amans, jamais on ne devoit plus parler de changement; mais la suite des temps nous a bien fait connoître qu'il n'y a rien d'assuré dans ce monde, et qu'à la Cour les places les plus hautes y sont toujours les plus glissantes. L'indifférence a insensiblement succédé à l'amour, et cette passion, qui étoit si grande dans le Roi à l'égard d'Astérie, peu à peu est devenue languissante, et enfin a expiré. On peut dire que jamais maîtresse n'a su si bien donner la vie à un amour mourant comme celle-là; elle l'a accompagné jusqu'au tombeau, et on peut dire que ce fut entre ses bras qu'il poussa son dernier soupir. Aussitôt qu'elle s'aperçut qu'il falloit céder la place, elle médita sa retraite, mais une retraite glorieuse, et telle qu'on pouvoit se l'imaginer d'une personne aussi sage et aussi prudente qu'elle. Ceux qui ne jugent des choses que par elles-mêmes, sans en faire une juste application, crurent d'abord qu'elle iroit augmenter le nombre des religieuses de Fontevrault6: il sembloit que les fréquents voyages qu'elle y avoit faits n'avoient été que pour marquer sa place; mais on s'abusoit, et le dessein qu'elle avoit étoit bien plus conforme à la raison et au sens commun. Elle ne vit donc pas plus tôt le jeu fini et la partie perdue qu'elle se retira, mais d'une manière à ne rien perdre que ce qu'elle n'avoit pas pu conserver. Bien loin de se retirer de la Cour, à l'exemple de celle qui l'avoit précédée, elle y est restée; elle voit le monde et a encore part à toutes les intrigues du cabinet. Tous les sages ont trouvé cet adieu bien plus prudent que celui de La Vallière, et font fondement de croire que, comme cette fille aimoit éperdument le Roi, la retraite qu'elle fit fut plutôt un coup de désespoir qu'un véritable mouvement de dévotion. Quoi qu'il en soit, sa démarche a été un peu précipitée; peut-être que, sans l'honneur qu'on se fait de tenir ferme dans ce qu'on a entrepris, elle auroit corrigé la faute qu'elle fit dans le temps qu'elle la confirma par son engagement7.

      Voici donc le Roi sans maîtresse, c'est-à-dire dans un état qui n'a guère de rapport avec son humeur; mais ne croyez pas qu'il y reste longtemps, puis qu'un homme fait comme lui, quand il n'auroit ni sceptre ni couronne, ne laisseroit pas de faire des conquêtes. L'amour, qui se seroit fait un crime de laisser dans l'oisiveté un héros dont les moindres actions sont éclatantes, lui marqua bientôt celle qu'il lui destinoit8. Ce fut mademoiselle de Fontange, fille jeune, belle et aimable autant qu'il se peut, et dont les manières sont si engageantes que, quelque indifférente chose qu'elle puisse dire, il semble toujours qu'elle demande le cœur. La première nouvelle qu'elle apprit du commencement de sa bonne fortune lui fut portée par madame D. L. M.9 C'est une personne qui a l'esprit bien tourné et qui sait qu'il n'y a que de la gloire à se rendre commode aux amours de son prince. Le préjugé qu'elle eut des affections du Roi étoit fondé sur ce que, dans un cercle des personnes du premier rang où elle faisoit figure, il s'enquit avec une curiosité extraordinaire du mérite particulier de mademoiselle de Fontange; il prit un plaisir extrême d'en entendre dire du bien, et le cœur, qui porte quelquefois les sentimens les plus cachés jusque sur les lèvres, lui fit lâcher une parole qui fit connoître aux plus éclairés ce qu'il sentoit pour cette fille: «Assurément, dit le Roi, une personne si belle et si spirituelle est digne d'un attachement considérable, et je ne suis point surpris qu'elle ait fait soupirer tant de monde. – Ah! reprit M. D. L. M., elle a un défaut: elle est fière et cruelle au dernier point; on peut dire que tous ses amans ont perdu leur temps auprès d'elle, et qu'ils tenoient plus à sa personne par leur passion que par ses soins. – Il est du devoir, dit le Roi, d'une fille aussi parfaite comme vous la dépeignez, de ne se rendre qu'à bonnes enseignes.» La conversation finit, et le Roi se retira dans le dessein de voir et de parler au plus tôt à celle qui commençoit à faire son inquiétude.

Jamais nouvelle n'a causé tant de transports de joie comme celle qui apprit à mademoiselle de Fontange les sentimens que le Roi avoit pour sa personne; elle demeura près d'un quart d'heure sans pouvoir répondre à madame D. L. M., qui lui en portoit la parole; tellement que celle-ci, surprise de son silence, et le prenant pour une marque d'indifférence ou d'insensibilité, lui dit: «Hé quoi! mademoiselle, le Roi vous aime, et vous n'y êtes pas sensible! – Ah! reprit mademoiselle de Fontange, en poussant un soupir du fond du cœur, je la suis, et plus que vous ne pouvez vous l'imaginer.» En effet, la suite en fit bien connoître la vérité: car, l'excès de sa joie étant extraordinaire, elle tomba dans une foiblesse où, perdant l'usage de la parole, elle ne répondoit plus que par des regards languissans et par des soupirs que l'amour le plus tendre tiroit de son cœur. Aussitôt qu'elle fut revenue de cette syncope, elle se fit instruire particulièrement de la manière que le Roi avoit parlé. Madame D. L. M. lui apprit jusqu'aux moindres circonstances, et lui dit comment il s'y falloit prendre pour bien ménager ce commencement de bonne fortune. «Sachez, continua-t-elle, que tout dépend des premières démarches que vous ferez, et qu'il n'y a qu'elles seules qui puissent vous assurer d'une réussite avantageuse. L'expérience m'a donné un peu de connoissance dans ces sortes d'affaires; c'est pourquoi, si vous me croyez, quand vous serez avec le Roi, qui étudiera bien toutes vos manières devant que de s'engager, accompagnez toutes vos paroles d'un air sage et modeste, qui ne tienne rien de la liberté des coquettes; un peu de fierté mêlée avec de la douceur, si vous la ménagez bien, ne pourra produire qu'un bon effet: car il faut que vous sachiez qu'il y en a qui, pour s'être rendues avec trop de facilité, ont perdu leur fortune. Mademoiselle de Ludre10, poursuivit-elle, peut vous servir d'exemple: son bonheur fut si court qu'un jour le commença et le suivant le finit; sa complaisance, un peu trop prompte, gâta tout, et, pour vouloir être trop tôt heureuse, elle devint malheureuse en un moment. – Il est néanmoins bien difficile, dit madame de Fontange, d'aimer avec ardeur sans pouvoir le dire, lorsque l'objet que nous chérissons le requiert de nous avec empressement, et je me suis toujours laissé dire que le Roi, en matière d'amour, est ennemi du retardement; qu'il est impatient au dernier point, et que si, dès la première ouverture qu'il fait, on ne lui donne pas à connoître ce qu'on ressent pour lui, il se lasse, il se rebute, et porte son inclination d'un autre côté. Ce seroit beaucoup que de s'exposer à ce malheur par sa conduite. – Vous avez raison, reprit madame D. L. M., et, pour s'assurer du succès d'une affaire, il faut toujours éviter les deux extrémités; il y a un certain milieu entre toutes choses, dont on ne peut s'éloigner sans prendre un mauvais chemin. C'est là

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<p>4</p>

Voici un passage de madame de Sévigné qui est bien de nature à détruire ce soupçon: «La Reine a été deux fois aux Carmélites avec Quanto (madame de Montespan). Cette dernière causa fort avec sœur Louise de la Miséricorde; elle lui demanda si tout de bon elle étoit aussi aise qu'on le disoit. – «Non, répondit-elle; je ne suis point aise, mais je suis contente.» Quanto lui parla fort du frère de Monsieur, et si elle vouloit lui mander quelque chose, et ce qu'elle diroit pour elle. L'autre, d'un ton et d'un air tout aimables, et peut-être piquée de ce style: «Tout ce que vous voudrez, Madame, tout ce que vous voudrez.» Mettez dans tout cela toute la grâce, tout l'esprit et toute la modestie que vous pourrez imaginer.» (Lettre du 29 avril 1676.)

<p>5</p>

Voyez t. II, p. 390 et suivantes.

<p>6</p>

Madame de Montespan auroit trouvé à la célèbre abbaye de Fontevrault sa sœur, la pieuse et savante Marie-Madeleine-Gabrielle de Rochechouart, qui, après avoir été religieuse à l'Abbaye-au-Bois, avoit été nommée abbesse de Fontevrault, et chef et générale de l'ordre le 16 août 1670.

<p>7</p>

Si le parti qu'avoit pris mademoiselle de La Vallière de quitter la cour lui eût été si pénible, les instances du Roi l'auroient sans doute décidée à quitter le couvent la seconde fois comme la première.

<p>8</p>

Ici se place, dans certaines éditions, un long passage détaché, on ne sait pourquoi, de la France galante, et qui ne figure dans les premières éditions ni de la France galante ni de l'histoire de mademoiselle de Fontanges. Nous l'avons indiqué en son lieu. Voy. ci-dessus, t. 2, p. 454, 464, etc. – En revanche, le passage que nous donnons, et où, entre autres particularités, il est question de mademoiselle de Ludre, a été entièrement supprimé.

<p>9</p>

Nous n'osons interpréter ces initiales, qui ne sont pas les mêmes dans tous les textes. Certains manuscrits portent Mlle D. L.

<p>10</p>

Marie-Elisabeth de Ludres, chanoinesse de Poussay, tour à tour fille d'honneur de Madame Henriette, de la Reine et de la seconde Madame.