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mais non pas plus loin.

ARBACES

      Tu as saisi précisément la vérité. Le royaume lui-même et sa vaste étendue entr'ouvrent devant chacun de nos pas des cachots pour toi et pour moi.

BELÈSES

      Des tombeaux.

ARBACES

      Si je le croyais, cette bonne épée en creuserait un de plus que le mien.

BELÈSES

      Elle aurait beaucoup à faire; mais j'espère bien mieux que tu n'augures. Essayons, pour le moment, de sortir d'ici comme nous pourrons. Tu t'accordes à croire avec moi que cet ordre est une sentence de condamnation?

ARBACES

      Et quelle autre interprétation pourrait-on lui donner? c'est l'usage ordinaire des rois de l'Orient: pardon et poison; – des faveurs et un glaive; – un lointain voyage, un repos éternel. Combien de satrapes, sous le règne de son père: – car pour lui, je l'avoue, il n'est, ou du moins il n'était pas sanguinaire-

BELÈSES

      Mais ne veut-il, ne peut-il à présent le devenir?

ARBACES

      Je le crains. Combien de satrapes ai-je vus, au tems de son père, renvoyés dans leurs puissans gouvernemens, et qui trouvèrent des tombes sous leurs pas! Je ne sais pas comment; mais tels étaient les ennuis et la longueur du voyage, qu'ils ne manquaient pas de tomber malades en route.

BELÈSES

      Ne songeons qu'à regagner l'air libre de la ville, nous abrégerons le chemin.

ARBACES

      Peut-être saura-t-on bien l'abréger à la porte.

BELÈSES

      Non; ils risqueraient trop. Ils entendent nous faire mourir isolément, non pas dans le palais ou dans les murs de la ville; nous y sommes trop connus, nous y aurions des partisans: s'ils avaient voulu se défaire ici de nous, nous ne serions déjà plus. Sortons.

ARBACES

      Si je pensais qu'il ne voulût pas ma vie-

BELÈSES

      Folie! Sortons. Quel serait autrement le projet du despote? Hâtons-nous de rejoindre nos troupes, et de marcher.

ARBACES

      Où? vers nos provinces?

BELÈSES

      Non; vers votre royaume. Nous avons du tems, du courage, de l'espoir, des forces, et des moyens que ne pourront vaincre leurs demi-mesures. – Partons.

ARBACES

      Quoi! au milieu de mon repentir, vais-je retomber dans le crime!

BELÈSES

      C'est une vertu de savoir se défendre soi-même: c'est la seule garantie de tous les droits. Partons, dis-je! sortons de ces lieux, l'air y devient épais et redoutable: ces murs exhalent une odeur de renfermé. – Ne leur laissons pas le tems d'un nouveau conseil: notre prompt départ prouvera notre dévouement; il empêchera notre brave escorte, l'honnête Pania, d'être, à quelques lieues de là, l'exécuteur de nouveaux ordres. Il n'y a donc pas d'autre choix. – Partons, dis-je.

(Il sort avec Arbaces, qui le suit avec résistance. – Entrent Sardanapale et Salemènes.)SARDANAPALE

      Eh bien, nous avons remédié à tout, et sans une goutte de sang, le pire des ingrédiens des prétendus remèdes; nous voilà préservés par l'exil de ces hommes.

SALEMÈNES

      Oui; comme celui qui marche sur des fleurs l'est de la vipère réfugiée sous leurs tiges.

SARDANAPALE

      Comment? que voudrais-tu de moi?

SALEMÈNES

      Vous voir défaire ce que vous avez fait.

SARDANAPALE

      Révoquer mon pardon?

SALEMÈNES

      Raffermir la couronne qui chancelle sur vos tempes.

SARDANAPALE

      Cela serait tyrannique.

SALEMÈNES

      Cela serait prudent.

SARDANAPALE

      Mais ne le sommes-nous pas assez; et quel danger peuvent-ils préparer sur les frontières?

SALEMÈNES

      Ils n'y sont pas encore; – et si j'en étais cru, ils n'y seraient jamais.

SARDANAPALE

      Mais, enfin, je t'ai prêté une oreille impartiale: – pourquoi ne les écouterais-je pas à leur tour?

SALEMÈNES

      Vous pourrez le concevoir plus tard; en ce moment, je sors pour disposer la garde.

SARDANAPALE

      Mais nous rejoindrez-vous pendant le banquet?

SALEMÈNES

      Dispensez-moi, sire; – je ne suis pas un homme de table: je suis prêt à remplir tous les emplois, sauf celui de Bacchante.

SARDANAPALE

      Néanmoins, il est bon de se réjouir de tems en tems.

SALEMÈNES

      Et bon aussi que quelques-uns veillent pour ceux qui trop souvent se réjouissent. Permettez-vous que je m'éloigne?

SARDANAPALE

      Oui: – encore un instant, mon généreux Salemènes, mon frère, mon excellent sujet, prince meilleur que je ne suis roi. Vous devriez être le monarque, et moi, – je ne sais quoi, et je ne m'en soucie; mais ne va pas croire que je sois insensible à ta prudente sollicitude, et aux chagrins rudes, mais affectueux, que te causent mes folies. Si j'épargnai, contre ton avis, l'existence de ces hommes; – ce n'est pas que je crusse tes avis erronés; mais laissons-les respirer; ne les chicanons pas sur leur vie: – donnons-leur le loisir de l'amender. Leur exil me permet de dormir tranquille, et leur mort m'en eût empêché.

SALEMÈNES

      Ainsi, pour sauver des traîtres, vous courez le risque de tomber dans l'éternel sommeil: – vous leur évitez un moment d'angoisse, pour des années de crime. Permettez-moi de les forcer à demeurer tranquilles.

SARDANAPALE

      Ne me tente pas: ma parole est donnée.

SALEMÈNES

      Elle peut être reprise.

SARDANAPALE

      C'est celle d'un roi.

SALEMÈNES

      Elle devrait donc être vigoureuse. Cette demi-indulgence, qui se contente de l'exil, ne fait qu'ajouter à l'irritation. – Il faut qu'un pardon soit entier, ou qu'il ne soit pas prononcé.

SARDANAPALE

      Et qui m'a persuadé, lorsque je m'étais contenté de les éloigner de ma présence, qui m'a pressé de les renvoyer dans leurs satrapies?

SALEMÈNES

      En effet, je l'avais oublié: et si jamais ils gagnent leurs provinces, – vous devez, sire, me reprocher encore davantage ce conseil.

SARDANAPALE

      Et s'ils ne les gagnent pas, songez-y, – sains et saufs; entendez-vous, sains et saufs, et en toute sécurité, songez à la vôtre.

SALEMÈNES

      Permettez-moi de partir; on veillera à leur salut.

SARDANAPALE

      Pars donc; et, je te prie, pense de ton frère avec plus de faveur.

SALEMÈNES

      Sire, je servirai toujours, comme je le dois, mon souverain.

(Salemènes sort.)SARDANAPALE, seul

      Cet homme est d'un caractère trop sévère: il est rude et fier comme le roc, libre de toutes les entraves vulgaires de la terre. Moi, je suis d'une argile plus tendre et mélangée de fleurs. Mais, comme notre enveloppe, les produits doivent différer entre eux. Si je me trompe, c'est sur des points qui affectent bien légèrement ce sens que je ne puis désigner, mais qui m'inspire souvent de la tristesse et quelquefois de la satisfaction; génie qui semble placé sur mon cœur pour régler plutôt que pour rendre plus vifs ses mouvemens, et pour me faire des questions que jamais aucun mortel ne m'a faites, ni Baal lui-même, avec tous ses divins oracles: – lui dont, ici, le marbre n'empêche pas la majestueuse figure de se rider, comme les ombres du soir, et de sembler mobile, au point de me laisser croire que la statue va parler. Éloignons ces vaines pensées: je veux être tout à l'allégresse; – et puis, voici le plus fidèle héraut du plaisir.

(Entre Mirrha.)MIRRHA

      Roi!

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