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Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855. Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux
Читать онлайн.Название Mémoires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/38734
Автор произведения Baron de Pierre-Marie-Joseph Bonnefoux
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
L'aîné s'était marié, et avait eu deux enfants, Mme de Castillon, femme fort agréable domiciliée à Mézin, qui a un fils nommé Albert: et Casimir de Bonnefoux dont la fin tragique13 a sans doute hâté la mort de son malheureux père; la mère de ces deux enfants, née Mlle de Goyon, n'existe plus depuis longtemps.
Il reste à te parler de celui des quatre frères qui n'émigra pas14; mais je dois aujourd'hui me borner à te dire que c'est celui qui est devenu préfet maritime et sur le compte duquel je t'ai promis plus de quelques lignes15.
Je t'ai dit que mon aïeul avait trois fils; je viens de t'entretenir de l'aîné et de ses descendants; je n'ai donc plus qu'à te parler des deux autres, et je commencerai par le plus jeune, car j'ai seulement à t'apprendre qu'il mourut à l'île de Bourbon où il était officier dans un régiment, et sans avoir été marié. L'autre était mon père, plus particulièrement connu sous le nom de Chevalier de Beauregard, qui était celui d'une portion de la propriété de mon aïeul, dans les environs de la ville de Marmande, berceau de la famille16.
C'était, alors, l'usage de distinguer ainsi les branches; c'est même ainsi que les enfants du frère de mon aïeul reçurent dans l'Agenais le surnom de Bonneval. Quatre officiers de ce nom, dont trois émigrèrent aussi, et sur lesquels deux vivent encore, fixèrent longtemps l'attention de la province par la hauteur de leur taille, la beauté de leur personne, l'élégance de leurs manières et surtout par leur bonté.
Mon père naquit en 1735. Son éducation première se fit à la campagne où il se forma une santé robuste; sa taille s'y développa avec avantage; il y devint chasseur adroit, infatigable; il prit part aux travaux des champs; et, lorsque l'on pensa à le faire décorer d'une épaulette, on le prépara à paraître dans son régiment par quelques mois de séjour à Marmande, où de tout temps on a remarqué une société de bon ton, vive, spirituelle, et d'excellente école pour un jeune homme17.
Mon père savait lire, écrire, compter, quand il lui fut permis de résider à Marmande; son instruction ne fut pas ce qui l'occupa le plus; aussi n'y gagna-t-elle pas beaucoup; d'ailleurs les moyens manquaient dans cette petite ville; mais il y acquit un vernis suffisant de bonne compagnie, une manière agréable de se présenter, de s'énoncer, et, quand il parut dans son corps, le chevalier de Beauregard, doué de la plus noble expression de figure qui fût jamais, ayant des traits fort beaux, une tournure élégante, une taille remarquable, un esprit aimable, fut accueilli avec enthousiasme.
La bataille de Fontenoy avait eu lieu en 1745; la paix l'avait suivie d'assez près; c'est donc quelque temps avant la guerre de 1756 à 1763, appelée la guerre de Sept Ans, que mon père entra au service. Il fallait alors au régiment se faire remarquer par quelque duel, hélas! le nouvel officier ne s'en acquitta que trop bien; par suite d'une querelle frivole, il tua le chevalier d'Espagnac d'un coup d'épée, se sauva en Espagne; mais ayant su qu'il était grâcié (car il y avait de très sévères lois sur le duel), il revint en France, se promit de ne se battre dorénavant, en combat singulier, qu'à la dernière extrémité, alla faire un plus digne usage de son bras contre les ennemis de la patrie, et s'attira, sur le champ de bataille, l'estime, l'amitié, la confiance de ses compagnons d'armes et de ses chefs.
Mon père avait vingt-huit ans quand il fut rendu aux plaisirs de la paix et des garnisons; vingt-huit ans et un beau physique, une épaulette et des succès à la guerre, un esprit enjoué et un courage éprouvé contre les mauvais plaisants; un nom connu, et qu'il retrouvait dans beaucoup de régiments. Que d'avantages! quelle perspective de plaisirs!
Après avoir parcouru l'Allemagne en militaire, il eut l'occasion de voir l'Afrique et la cour du roi de Maroc, où il fut envoyé comme gentilhomme d'ambassade. Le fils du roi trouvait fort agréables la compagnie et les vins de ces Messieurs; il se grisait devant eux, et mettait, par voie d'amusement ou peut-être par une curieuse instigation, le feu au sérail de son père. Un jour, courant au grand galop avec ces étourdis, il leur annonça un bon tour d'équitation, et, se précipitant vers un Turc qu'il apercevait à une grande distance, il lui fit voler la tête à dix pas d'un coup de cimeterre. On ne voit pas trop comment auraient fini ces extravagances, si l'ambassade n'avait repris le chemin de la France; il en resta, à mon père, un fonds inépuisable d'histoires qui, avec les merveilles de mécanique de M. de Vaujuas, un de ses camarades, et les essais malencontreux dans l'art de voler dans les airs d'un autre officier, M. Regnier de Goué, oncle de M. Calluaud18, ont longtemps charmé les veillées du foyer domestique, et nous rendaient tous aussi curieux qu'attentifs. Il est pourtant juste de ne pas aller plus loin sans dire que la décollation du Turc fut sévèrement blâmée par les jeunes officiers français, et qu'ils ne consentirent à lier de nouvelles parties avec leur barbare compagnon de plaisir que sous promesse qu'il respecterait la vie des hommes.
Dans les garnisons où mon père se trouva après son voyage d'Afrique, la chasse occupa une partie de ses loisirs; mais on ne peut pas toujours chasser, et ce fut ce malheureux jeu qui vint en combler l'autre partie. Il gagna, il perdit, il fit des dettes, il se libéra; il ruina son colonel dans une nuit; à son tour il fut ruiné, il emprunta, il rendit; il acheta des bijoux, des chevaux, il les vendit… Cependant il faut observer que jamais il ne quittait une ville, sans être obligé d'avoir recours à son père qui, d'abord, paya, en l'avertissant toutefois que ces sommes seraient portées en décompte de ses droits à sa légitime ou portion de succession19, et qui bientôt déclara qu'il ne paierait plus.
Cette détermination sévère mais juste fit naître quelques moments de repentir, pendant lesquels, pour chercher à couper le mal dans sa racine, le chevalier de Beauregard résolut de passer dans les colonies, croyant fuir ainsi les occasions que la société d'alors ne lui présentait que trop souvent en France.
Il s'était fait des connaissances distinguées; il obtint donc d'y être promptement envoyé avec le régiment de Vermandois20, et profitant, en même temps, du crédit de ses amis, il pensa qu'il se rendrait agréable à sa famille, en allant prendre congé d'elle avec un brevet d'admission gratuite du jeune chevalier de Bonnefoux21, second fils de son frère aîné, dans une école d'où il sortirait pour entrer dans la Marine. Ce plan réussit à merveille; le joueur fut oublié; on ne vit plus que le fils revenu de ses erreurs, que le parent affectueux, que l'officier qui s'expatriait! la visite fut douce pour tous, et mon père quitta la maison paternelle, éprouvant et laissant les plus vives émotions.
Suivant son usage cependant de mêler l'extraordinaire ou l'éclat à toutes ses actions, il ne voulut partir que soixante heures précises avant l'instant où on lui avait mandé que son régiment, alors à Brest, se rendrait à bord22. En conséquence, un cheval de poste se trouva à sa porte; et, la montre à la main, il exécuta son projet et partit de Marmande en courrier. Un petit retard, qu'on lui fit éprouver à un relais où les chevaux étaient tous employés au dehors, fut sur le point de lui faire manquer son bâtiment; toutefois il arriva à temps; heureusement que ses camarades avaient pourvu, pour lui, à ces mille petits détails que nécessite un embarquement.
C'est aux Antilles que le régiment de Vermandois allait tenir garnison. La traversée ne présenta aucun incident remarquable; on fit bonne chère à bord; on y trouva des officiers de marine, qui sympathisèrent de jeunesse, de gaieté, avec les passagers; on y joua même un peu; mais tout se passa très bien. Une naïveté d'un camarade de mon père amusa surtout beaucoup ces Messieurs: ce pauvre jeune homme était horriblement malade du mal de mer; il
11
M. de Bonnefoux de Saint-Laurent est mort en 1847.
12
Marmande.
13
Casimir de Bonnefoux se noya en se baignant dans la Garonne.
14
Casimir-François de Bonnefoux, né à Marmande en 1761.
15
Cette promesse a été tenue. Voyez, à la fin de ce volume, la notice consacrée à la vie du baron Casimir de Bonnefoux.
16
Voyez Philippe Tamizey de Larroque,
17
M. Ph. de Tamizey de Larroque, dans la brochure citée, s'exprime de la façon suivante (p. 115): «Le
18
M. Calluaud, receveur général des Finances à Angoulême, puis à Arras, était un ami de l'auteur. Son fils, M. Henri Calluaud, fut, en 1871, élu membre de l'Assemblée nationale par le département de la Somme. Il mourut à Bordeaux peu de temps après son élection.
19
Légitime: portion de sa succession, dont le père ne pouvait pas disposer par testament au détriment de son enfant.
20
Le régiment de Vermandois (aujourd'hui le 61e régiment d'Infanterie) avait été affecté au service de la Marine et des Colonies, à la suite de la nouvelle organisation de l'infanterie, en date de décembre 1762. Voyez Louis Susane,
21
Il s'agit ici de Casimir de Bonnefoux, plus tard préfet maritime et baron, dont il sera question presque à chaque page de ce récit.
22
Le régiment de Vermandois quitta Brest en octobre 1767.