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la joie en embrassant une sœur que j'ai toujours tendrement aimée; livré, ensuite, à celui de mes cousins, qui, depuis, mourut pendant l'émigration, et qui passait par Tours pour rejoindre son régiment, j'achevais ma route avec cet affectueux parent.

      Je ne crois pas qu'il ait jamais existé de collège où l'esprit des élèves fût meilleur, sous tous les rapports, que celui de Pont-le-Voy35, lorsque j'y arrivai. Pas de mauvais traitements aux nouveaux-venus, nulle jalousie entre camarades, aucun souvenir fâcheux des torts passés, dévouement complet en toute circonstance, enjouement naïf de la jeunesse; mais rien au delà; confraternité parfaite, enfin; voilà ce que j'y trouvai.

      Trop jeune, disait-on, à la fin de l'année scolaire, pour passer au second bataillon que nous appelions la Cour des Moyens, on voulait me faire doubler ma sixième; toutefois mes compositions de prix furent si bonnes qu'il fallut renoncer à cette idée, et j'entrai en cinquième, qui se faisait dans cette cour. J'étais le plus jeune et le plus petit du bataillon; mais mon rang dans la classe m'y valut beaucoup d'amis; et comme, d'ailleurs, j'excellai au jeu de cercle, que nulle part je n'ai vu jouer avec plus de combinaisons ni avec tant de perfection, comme je sautais assez bien à la corde, et que j'étais très fort à la paume, ainsi qu'au jet de pierres ou ardoises, je fus bientôt recherché par les élèves des autres classes, et je devins un petit personnage.

      Le jeu des pierres est un exercice que nous pratiquions dans nos sorties avec une espèce de passion; il y faut de la souplesse, du coup d'œil, et il peut avoir des résultats fort utiles. Je me suis, depuis lors, souvent saisi d'un gros caillou pour me défendre, et je crois encore qu'avec une telle arme je ne craindrais pas, à l'improviste, l'attaque d'un homme que j'aurais le temps de voir venir, eût-il le sabre à la main. Nous tuions des rats, des grenouilles, des mulots, des oiseaux, nous cassions des branches d'arbres assez fortes, et cela à de grandes distances.

      J'achevai ma cinquième, ma quatrième, et je commençais ma troisième, lorsque des événements qui bouleversèrent l'Europe ne manquèrent pas d'avoir leur contre-coup à Pont-le-Voy36. La Révolution avait éclaté; Louis XVI avait porté sa tête sur l'échafaud; nos chefs et nos professeurs avaient été changés. Les nouveaux nous arrivèrent avec le costume, les discours, les chansons de l'époque; ils crurent faire merveille en nous organisant en clubs, en nous abonnant aux journaux, en nous initiant aux folies du moment. Nous en prîmes bientôt la licence. «Qui sème du vent, récolte des tempêtes.» L'axiome ne tarda pas à se vérifier. En parodie burlesque des héros de la Bastille, nous nous portâmes en masse sur nos prisons que nous démolîmes; pour célébrer dignement les fêtes républicaines, nous exigions des semaines entières de congé qu'on n'osait refuser; à la moindre punition d'un élève, nous cassions les vitres; lorsqu'on voulait nous empêcher d'aller nous promener, nous enfoncions, nous brisions les portes, et nous dévastions la campagne; une fois même, nous allâmes attaquer le village voisin de Montrichard, accusé d'être peu républicain, et profitant de l'isolement où il était momentanément, attendu que les hommes étaient occupés aux travaux des champs, nous en rapportâmes force marteaux, haches, broches et autres armes ou instruments, sans compter une ample provision de pommes… Enfin ce séjour d'étude, d'émulation, de paix et de bonheur, n'était plus qu'un repaire d'animaux malfaisants.

      Telle était devenue cette admirable école, lorsque le Gouvernement, réfléchissant, dans sa prétendue sagesse, qu'on ne devait plus rien à d'anciens militaires, puisqu'ils avaient servi, jusque-là, autre chose qu'une soi-disant république de quatre jours, ordonna que, dans tous les collèges, on renverrait les fils de ces militaires. En conséquence, à la fin de 179337, sans aucun avis préalable à nos familles, on expédia du collège deux cents d'entre nous, qui furent déposés à Blois et à Tours, avec un petit paquet de linge plié dans un mouchoir bleu, un assignat de trois cents francs, qui, alors, en valait à peine la moitié, un passeport, un certificat de civisme, et la liberté de nous orienter, de nous diriger, de voyager à notre fantaisie. J'avais onze ans et demi; destiné pour le Midi, c'est à Tours que je fus déposé et abandonné, seul, sans connaissances ni ressources.

      J'avoue que je fus un peu bien embarrassé d'être si libre. Ma première pensée fut de voir la ville. J'en parcourus tous les recoins, et je sortais d'une ménagerie ambulante, stationnée près du pont, pour aller prendre langue au bureau des diligences, lorsque je me sentis frapper sur l'épaule. J'avais lu, récemment, Don Gusman d'Alfarache; aussi étais-je bien en garde contre les voleurs, et je portais mon paquet avec moi dans mes courses; mon premier mouvement fut de le serrer vivement contre ma poitrine, et de me baisser pour ramasser un caillou! me retournant bientôt, je reconnus un de mes camarades, nommé Mayaud, fils d'un négociant de Tours et que son père, voyant la tournure que prenaient les affaires, avait prudemment retiré de l'École depuis trois mois; il allait à la campagne. Il me proposa de l'y accompagner; je n'eus garde de refuser. J'y fus parfaitement accueilli, et, comme, chez lui ou dans le voisinage, il avait beaucoup de frères, de cousins, d'amis, de parents, de parentes, d'amies, de cousines et de sœurs, je m'y trouvai complètement heureux, quoique, une fois, on m'y joua le tour de cacher mon paquet, que je fus deux heures à retrouver; je crus que j'en deviendrais malade; mais à mon tour, je le cachai si bien que la plaisanterie ne put pas se renouveler.

      Quinze jours si bien employés s'écoulèrent comme un songe; j'avais, en arrivant, écrit à ma mère, et je serais resté bien plus longtemps dans ce séjour enchanté, si l'on ne m'avait demandé si je ne craignais pas que ma famille fût inquiète sur mon compte. À ces mots, je pris mon chapeau, et je m'acheminai pour aller dénicher mon paquet chéri; on crut m'avoir blessé; mais il n'en était rien, car je n'agissais que par l'impulsion de mon cœur; on s'en justifia, cependant; mais il fut convenu qu'on irait arrêter ma place et que je partirais trois jours après; ce furent donc trois jours où la politique fut mise de côté et remplacée par mille amusements de mon âge; je fus accompagné à Tours par le cortège entier de mes camarades et nouvelles connaissances. Tant d'amitiés de leur part, tant de cordialité de celle de leurs parents, me touchèrent aux larmes, et j'en serai éternellement reconnaissant.

      À la première dînée sur la route de Bordeaux, je vis que j'étais l'objet de la curiosité générale, et, dans le fait, j'étais passablement remarquable, pour ne pas dire grotesque. Je portais un chapeau à trois cornes et un habit du modèle de ceux des Invalides actuels. J'avais, en outre, des culottes courtes avec boucles d'argent et des bas bleus; il ne faut pas oublier que mon paquet entrait dans la voiture avec moi, qu'il en sortait avec moi, et qu'alors je l'avais sous le bras. Néanmoins je me chauffais assez gravement, lorsqu'un voyageur de près de 6 pieds de haut vient à moi et me demande pourquoi il y avait trois trous sur chacun de mes boutons. «Parce que, répondis-je, il y avait trois fleurs de lys, et qu'un républicain ne porte plus de ça depuis la mort du tyran!» C'en fut assez pour gagner les bonnes grâces de mon interlocuteur. Alors il me demanda mon nom; je lui dis que je m'appelais Cincinnatus Bonnefoux; je n'avais pas achevé qu'il m'avait embrassé; ensuite il me fit raconter mon histoire, et, lorsqu'il apprit notre attaque de la Bastille, la prise de Montrichard, et que je lui eus dit que je savais toutes les chansons républicaines, il me pressa dans ses bras à m'étouffer; il me dit qu'il était le capitaine Desmarets, qu'il venait du siège de Thionville, qu'il se rendait à l'armée des Pyrénées occidentales, qu'il serait, un jour, général, qu'alors il m'écrirait de venir auprès de lui comme aide de camp, et il se déclara mon protecteur. Dès ce moment, à table, en voiture, à l'hôtel, il me fit toujours placer à côté de lui, et vraiment il me soigna avec intérêt. C'est encore un service que jamais, non plus, je n'oublierai, malgré le caractère féroce de ce citoyen, dont j'aurai l'occasion de parler encore une fois.

      Depuis mon entrée à l'École militaire, la famille avait éprouvé de grands revers, dont je parlerai bientôt avec plus de détails. On me les avait laissé ignorer; je m'en aperçus pourtant d'une manière assez concluante par la privation de l'argent alloué par semaines aux menus plaisirs et par celle de toute espèce de vacances. Trois années passées ainsi, et de huit à onze ans, furent bien dures pour celui qui était accoutumé à toutes les douceurs de la maison paternelle; et mon expulsion avec 300 francs et un petit paquet à

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<p>35</p>

Pont-le-Voy, ou Pontlevoy, est une commune du département de Loir-et-Cher, arrondissement de Blois, canton de Montrichard. Le collège subsiste encore aujourd'hui; des prêtres séculiers le dirigent. Sous l'ancien régime, la congrégation de Saint-Maur y avait un collège, qui depuis 1764, jouissait du titre d'École royale militaire.

<p>36</p>

D'après un certificat délivré, le 29 octobre 1814, par le directeur du collège de Pont-le-Voy, Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux est entré, le 6 décembre 1790 à l'École royale et militaire de Pont-le-Voy, en exécution des ordres de M. de la Tour du Pin, ministre de la Guerre, en date du 24 octobre de la même année.

<p>37</p>

Le 30 octobre 1793.