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lestement il partit à la fontaine. Il revint bientôt, portant avec précaution la précieuse cruche, qui, bien sûr, était plus vieille que lui; car la mère Gertrude était si soigneuse qu'elle ne cassait jamais rien: aussi son antique mobilier avait-il l'air presque aussi respectable qu'elle-même. La machine à coudre était le seul objet moderne qui tranchât au milieu du reste.

      Julien n'avait pas empli la cruche jusqu'aux bords, crainte de mouiller ses vêtements; en arrivant, il la posa bien doucement pour ne pas répandre d'eau sur le plancher reluisant. La mère Gertrude l'observait du coin de l'œil avec plaisir.

      – Bon! dit-elle, vous êtes soigneux et de plus serviable: vous aimez à épargner de la peine aux vieilles gens; c'est bien, mon enfant.

      Et la petite vieille sourit si amicalement à Julien qu'il se sentit tout réconforté.

      XIX. – Les deux pièces de cinq francs. – Un bienfait délicat

«Que votre main gauche ignore ce qu'a donné votre main droite.»

      Lorsque André rentra une heure plus tard, il trouva Julien bien affairé. Assis en face de la mère Gertrude, il lui aidait à écosser sa récolte de haricots; car la bonne dame avait un bout de jardin, derrière sa maison, et, l'été ayant été favorable, elle avait fait une belle récolte de haricots, pois, fèves, lentilles et autres plantes légumineuses.

      André fut émerveillé de voir l'enfant et la vieille dame causer tous deux comme d'anciennes connaissances. La défiance de Mme Gertrude n'avait pu tenir devant le gentil caractère de Julien; André acheva de rompre la glace en annonçant qu'il avait de l'ouvrage pour le lendemain même, et que son nouveau patron lui avait promis de faire entrer Julien à l'école.

      Mme Gertrude parut alors aussi satisfaite que les enfants eux-mêmes. Elle trempa la soupe, qui était cuite à point, et les trois nouveaux amis soupèrent ensemble avec plus d'entrain qu'on n'eût pu le croire une heure auparavant.

      Après le dîner, André rangea ses vêtements de travail tout prêts pour le lendemain. Il mit bien en ordre, dans le placard de leur chambre, le linge de son frère et le sien. De son côté, Julien rangeait aussi ses affaires, c'est-à-dire son carton d'écolier, ses plumes, son papier et ses livres, qu'il avait eu bien soin d'emporter dans son paquet de voyage.

      Quand tout fut en ordre, André prit dans la poche de son gilet le petit paquet qui renfermait leurs économies, pour le porter à Mme Gertrude et la prier de le leur garder.

      En le dépliant, il fut tout étonné d'y trouver deux belles pièces de cinq francs qu'il n'y avait point mises.

      – Comment cela peut-il se faire? pensa-t-il.

      Puis il se rappela qu'au départ la mère Étienne avait remis en ordre leurs habits et leurs paquets. – C'est elle, se dit-il, qui, sans que nous le sachions, a voulu augmenter ainsi notre petit avoir. Bonne mère Étienne! elle n'est pas riche pourtant, et ces deux pièces ont dû lui coûter bien de la peine à gagner. Comme elle a su nous venir en aide sans même nous le dire, de peur sans doute de nous humilier!

      Tout en pensant cela, André fut si touché qu'il faillit se mettre à pleurer.

      XX. – La reconnaissance. – La lettre d'André et de Julien à la mère Étienne

On n'est jamais si heureux de savoir écrire que quand on peut, par une lettre, montrer à un absent son affection ou sa reconnaissance

      André ne fut pas longtemps à songer au bienfait délicat de la mère Étienne sans chercher comment il pourrait lui en témoigner sa reconnaissance.

      – Oh! dit-il, je ne puis faire qu'une seule chose en ce moment, c'est de lui écrire tout de suite pour la remercier, et je n'y manquerai pas; toi aussi, Julien, tu vas lui écrire quelques lignes.

      – Oui, certes, dit l'enfant tout joyeux de penser qu'il savait écrire et qu'il pourrait, lui aussi, remercier la mère Étienne. Mais, André, ajouta-t-il, nous n'avons point de papier à lettre.

      – Nous en achèterons tout de suite, reprit André. Il ne faut jamais être paresseux à écrire quand on doit le faire, et c'est pour nous un devoir d'écrire à Mme Étienne, de lui dire combien nous lui sommes reconnaissants.

      – Attends, s'écria Julien avec vivacité, nous allons prendre une feuille de mon cahier.

      – C'est cela, dit André en prenant le cahier que lui tendait l'enfant et en déchirant proprement une feuille. La mère Étienne sait bien que nous ne sommes pas riches, elle ne regardera pas au papier, mais aux pensées qui seront dessus.

      – Et de l'encre?.. et un timbre-poste? dit Julien; nous n'en avons pas.

      – Eh bien, nous allons en acheter.

      André prit une de ses pièces de cinq francs pour aller la changer; mais Mme Gertrude, bien qu'elle fût occupée à laver sa vaisselle et à ranger son ménage, avait néanmoins à peu près tout entendu et tout compris; elle s'y opposa.

      – Non, non, dit-elle, toute pièce changée est vite dépensée. Économisons, mes enfants; cela vaut mieux. J'ai là un vieil encrier où il reste encore quelque peu d'encre; on va mettre une goutte d'eau, on remuera… Voyez, cela va à merveille. Quant au timbre, j'en ai un de réserve dans mon armoire, je vais vous le donner; nous arrangerons cela plus tard.

      Les enfants obéirent, et ils firent gentiment leur lettre tous les deux. Ensuite, ils prièrent MmeGertrude de la lire, lui demandant si elle était bien comme cela.

      La bonne dame était plus instruite qu'elle n'en avait l'air. Dans son jeune temps, avant de se marier, elle avait été institutrice, et elle était fort savante. Elle mit donc ses lunettes et lut attentivement les deux lettres. Quand elle eut fini, elle essuya ses yeux qui étaient humides, et ouvrant ses bras aux deux orphelins:

      – Venez m'embrasser, dit-elle. Je vois à la façon dont vos lettres sont tournées que vous êtes deux bons cœurs, deux enfants bien élevés et qui savent reconnaître un bienfait. J'ai l'air méfiante parce que je suis bien vieille et que j'ai été souvent trompée; mais j'aime la jeunesse, et à présent que je vois ce que vous valez tous les deux, je sens que je m'attache à vous. Chers enfants, quand on fait son devoir, on est toujours sûr de gagner l'estime des honnêtes gens.

      On se coucha après cette expansion. Nos jeunes orphelins, en s'endormant dans l'ancien lit du fils de la vieille dame, étaient plus heureux peut-être d'avoir conquis de vive force la sympathie de leur hôtesse que si elle la leur eût accordée du premier coup; car il y a plus de plaisir à mériter la confiance par ses efforts qu'à l'obtenir sans peine.

      XXI. – André ouvrier. Les cours d'adultes. – Julien écolier. Les bibliothèques scolaires et les lectures du soir. – Ce que fait la France pour l'instruction de ses enfants

Après qu'on a travaillé, le plus utile des délassements est une lecture qui vous instruit. L'âge de s'instruire n'est jamais passé

      Deux jours après leur arrivée à Épinal, grâce à l'activité d'André, grâce à celle de Mme Gertrude, nos enfants étaient complètement installés. André travaillait toute la journée à l'atelier de son patron, faisant rougir au feu de la forge le fer qu'il façonnait ensuite sur l'enclume, et qui devenait entre ses mains tantôt une clef, tantôt un ressort de serrure, un verrou, un bec de cane. A ses moments perdus le jeune serrurier, voulant se rendre utile à la mère Gertrude, fit la revue de toutes les serrures et ferrures de la maison: il joua si bien du marteau et de la lime qu'il remit tout à neuf, au grand étonnement de la bonne vieille.

      Mais tout cela ne fut pas long à faire, car la maison de la mère Gertrude n'était pas grande; aussi il ne tarda pas à se trouver inoccupé le soir, au retour de l'atelier.

      – André, lui dit Mme Gertrude, vous n'allez plus à l'école vous voilà maintenant un jeune ouvrier; mais ce n'est point une raison, n'est-ce pas, pour cesser de vous instruire? Tous les soirs M. l'instituteur fait un cours gratuit pour les adultes; bien des ouvriers de la ville se réunissent auprès de lui, et il leur enseigne ce qu'ils n'ont pu apprendre à l'école. Il faut y aller,

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