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sa tasse, et quand elle fut remplie, il la vida sans se faire prier. – Que cela est bon, le lait tout chaud et frais tiré! dit-il. Voilà la première fois que j'en goûte.

      – Puisque vous êtes content du lait de Bretonne, cherchez dans la poche de mon tablier, dit la veuve sans s'interrompre de sa besogne; ne trouvez-vous pas une poignée de sel, Julien?

      – Oui, que faut-il donc en faire?

      – Prenez-le dans votre main, et présentez-le à Bretonne, vous lui ferez grand plaisir.

      – Quoi! fît l'enfant en voyant la vache passer sa langue avec gourmandise sur le sel qu'il lui présentait dans la main, elle aime le sel comme du sucre!

      – Oui, mon enfant, tous les animaux l'aiment, et le sel les entretient en bonne santé; nous aussi nous avons besoin de sel pour vivre, et si nous en étions privés, nous tomberions malades. Vous admiriez tout à l'heure le poil lustré de Bretonne et ses yeux brillants. Eh bien, si elle a cette bonne mine, c'est qu'elle est bien nourrie, bien soignée, et qu'on lui donne tout ce qu'il lui faut.

      – Alors vous lui donnez du sel tous les jours?

      – Pas à la main, ce serait trop long. Nous faisons fondre le sel dans l'eau, et nous arrosons le fourrage avec cette eau salée au moment de le lui présenter.

      – Qu'est-ce qu'on lui fait encore après cela pour qu'elle ait cette jolie mine?

      – On la tient proprement, Julien. Voyez-vous comme sa litière est sèche et propre. Pour qu'une vache donne beaucoup de lait et qu'elle se porte bien, il lui faut une litière souvent renouvelée. Si je la laissais sur un fumier humide comme font bien des fermières, son lait diminuerait vite et serait plus clair. Voyez aussi comme l'étable est haute d'étage: elle a trois mètres du sol au plafond. Les fenêtres sont placées tout en haut et donnent de l'air aux bêtes sans les exposer au froid. Certes, Bretonne est bien logée.

      – Pourquoi l'appelle-t-on Bretonne? dit Julien, qui s'intéressait de plus en plus à la bonne vache.

      – C'est qu'elle est de race bretonne en effet, dit la fermière en se levant, car elle avait fini de la traire. La Bretagne est bien loin, mais cette bonne petite race est répandue par toute la France. Voyez, Bretonne n'est pas grande; aussi elle n'est pas coûteuse à nourrir, et nous, qui ne sommes pas riches, nous avons besoin de ne pas trop dépenser. Son lait contient aussi plus de beurre que celui des autres races, et j'ai des pratiques qui me prennent tout le beurre que je fais. Et puis, la race bretonne est robuste, très utile dans les pays montagneux; au besoin je puis faire travailler ma petite vache sans qu'elle en souffre. Elle sait labourer ou traîner un char avec courage.

      – Bonne Bretonne! dit Julien en caressant une dernière fois la vache.

      L'enfant prit le petit banc, et tandis que la laitière emportait le lourd chaudron de lait, on se dirigea vers la laiterie.

      XV. – Une visite à la laiterie. – La crème. – Le beurre. – Ce qu'une vache fournit de beurre par jour

Un bon agriculteur doit se rendre compte de ce que chaque chose lui coûte et lui rapporte

      – Quel joli plancher, propre et bien carrelé! dit Julien en entrant dans la laiterie. Tiens, les fenêtres et toutes les ouvertures sont garnies d'un treillis de fer, comme une prison; pourquoi donc, madame?

      – C'est pour que les mouches, les rats et les souris ne puissent entrer. Avant les malheurs de la guerre nous étions plus à l'aise: j'avais six vaches au lieu d'une, je faisais beaucoup de beurre; aussi ma laiterie comme mon étable est soigneusement installée. Voyez, ce carrelage dont elle est recouverte permet de la laver à grande eau, et cette eau s'écoule par les rigoles que voici. Il faut au lait une grande propreté, et tout doit reluire chez une fermière qui sait son métier.

      – Comme il fait frais ici! reprit Julien en s'avançant dans la salle un peu sombre, autour de laquelle étaient rangées des jattes de lait.

      – Mon enfant, il faut qu'il fasse frais dans une laiterie. S'il faisait chaud, le lait aigrirait, et la crème n'aurait pas le temps de monter à la surface. Regardez ces grands pots: ils sont tout couverts d'une épaisse croûte blanche que je vais enlever avec ma cuiller pour la mettre dans la baratte: c'est la crème. Passez le doigt sur ma cuiller, et goûtez.

      Julien goûta.

      – C'est meilleur encore que le lait, cette bonne crème.

      – Je le crois bien, dit la fermière. Maintenant, avec cette crème, nous allons faire le beurre.

      Et versant dans la baratte toute la crème qu'elle avait recueillie, elle se mit à battre avec courage.

      Au bout de quelque temps, elle s'arrêta, et levant le couvercle: – Voyez, Julien, dit-elle. L'enfant regarda et vit flotter dans la baratte de légers flocons jaune paille, qui étaient déjà nombreux. – Oh! dit-il enchanté, voilà le beurre qui se fait.

      Pendant qu'on causait, le beurre s'acheva. La fermière l'égoutta et le lava avec soin, car le beurre bien égoutté et lavé se conserve mieux. Puis elle le mit en boules et chargea Julien de dessiner avec la pointe du couteau de petits losanges sur le dessus.

      Il s'appliqua consciencieusement à cette besogne, et le beurre avait bonne mine quand Julien eut achevé son dessin.

      – Mais, s'écria-t-il, toute la crème n'est pas devenue du beurre; qu'est-ce que tout cela qui reste?

      – C'est le petit-lait. On le donnera aux porcs délayé avec de la farine pour les engraisser. Au besoin, j'en fais aussi de la soupe quand nous n'avons pas grand'chose à manger.

      – Il faut donc bien du lait pour faire le beurre? demanda Julien tout surpris.

      – Eh oui, cher enfant. Quinze litres de lait de Bretonne ne font qu'un kilogramme de beurre, et pourtant Bretonne, comme les vaches de sa race, est une merveille. Il y a d'autres vaches dont il faut jusqu'à vingt-cinq litres pour faire un kilogramme de beurre. Mais, Julien, vous allez devenir savant dans les choses de la ferme comme si vous vouliez être un jour fermier, vous aussi.

      L'enfant rougit de plaisir. – Vrai, dit-il, c'est un métier que j'aimerais mieux que tous les autres. Mais, dites-moi encore, je vous prie, combien Bretonne vous donne-t-elle de lait par jour?

      – Sept litres au plus, l'un dans l'autre.

      – Alors il faut donc plus de deux jours à Bretonne pour vous donner un kilogramme de beurre?

      – Précisément. Mais comme vous comptez bien, mon enfant! Il y a plaisir à causer avec vous.

      Un instant après, la fermière sortit de la laiterie avec le jeune garçon, et tous deux portaient à la main de belles boules de beurre, enveloppées dans des feuilles de vigne que Julien était allé cueillir.

      XVI. – Les conseils de la fermière avant le départ. – Les rivières de la Lorraine. – Le souvenir de la terre natale

Que le souvenir de notre pays natal, uni à celui de nos parents, soit toujours vivant en nos cœurs

      Pendant que la fermière lorraine avait fait le beurre en compagnie de Julien, ses enfants avaient achevé leurs devoirs sous la direction d'André. La veuve les envoya tous jouer et se mit à préparer le souper.

      On fit une grande partie de barres, ce qui excita l'appétit de toute cette jeunesse: la friture et la salade parurent excellentes; mais André et Julien, qui se ressentaient de leur course de nuit, trouvèrent bien meilleur encore le bon lit que la fermière leur avait préparé; ils dormirent d'un seul somme jusqu'au lendemain.

      Ils auraient dormi plus longtemps sans doute si la fermière n'avait pris soin de les éveiller.

      – Levez-vous, enfants; je connais, à deux heures d'ici, un cultivateur qui va chaque semaine à Épinal; il vous prendra dans sa voiture si vous allez le trouver assez matin.

      Julien et André sortirent du lit: quoiqu'il leur semblât n'avoir pas dormi la moitié de leur content, ils ne se le firent pas dire deux fois et s'habillèrent à la hâte. Ils se lavèrent à grande eau le visage et les

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