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caciques est un bandeau de cuir dont ils se ceignent le front; il est découpé en forme de couronne et orné de plaques de cuivre. Leurs armes sont l’arc et la flèche: ils se servent aussi du lasso et de boules. Ces Indiens passent leur vie à cheval et n’ont pas de demeures fixes, du moins auprès des établissements espagnols. Ils y viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l’eau-de-vie et ils ne cessent d’en boire que quand l’ivresse les laisse absolument sans mouvement. Pour se procurer des liqueurs fortes, ils vendent armes, pelleteries, chevaux et quand ils ont épuisé leurs moyens, ils s’emparent des premiers chevaux qu’ils trouvent auprès des habitations et s’éloignent. Quelquefois ils se rassemblent en troupes de deux ou trois cents pour venir enlever les bestiaux sur les terres des Espagnols, ou pour attaquer les caravanes des voyageurs. Ils pillent, massacrent et emmènent en esclavage. C’est un mal sans remède: comment dompter une nation errante, dans un pays immense et inculte, où il serai même difficile de la rencontrer?

      D’ailleurs ces Indiens sont courageux, aguerris, et le temps n’est plus où un Espagnol faisait fuir mille Américains.

      Il s’est formé depuis quelques années dans le nord de la rivière une tribu de brigands qui pourra devenir plus dangereuse aux Espagnols s’ils ne prennent des mesures promptes pour la détruire. Quelques malfaiteurs échappés à la justice s’étaient retirés dans le nord des Maldonades; des déserteurs se sont joints à eux: insensiblement le nombre s’est accru; ils ont pris des femmes chez les Indiens et commencé une race qui ne vit que de pillage. Ils viennent enlever des bestiaux dans les possessions espagnoles pour les conduire sur les frontières du Brésil, où ils les échangent avec les Paulistes contre des armes et des vêtements. Malheur aux voyageurs qui tombent entre leurs mains. On assure qu’ils sont aujourd’hui plus de six cents. Ils ont abandonné leur première habitation et se sont retirés plus loin de beaucoup dans le nord-ouest.

      Le gouverneur général de la province de La Plata réside, comme nous l’avons dit, à Buenos Aires. Dans tout ce qui ne regarde pas la mer, il est censé dépendre du vice-roi du Pérou; mais l’éloignement rend cette dépendance presque nulle, et elle n’existe réellement que pour l’argent qu’il est obligé de tirer des mines du Potosi, argent qui ne viendra plus en pièces connues depuis qu’on a établi cette année même dans le Potosi un hôtel des monnaies. Les gouvernements particuliers du Tucuman et du Paraguay dépendent, ainsi que les fameuses missions des jésuites, du gouverneur général de Buenos Aires. Cette vaste province comprend en un mot toutes les possessions espagnoles à l’est des Cordillères, depuis la rivière des Amazones jusqu’au détroit de Magellan. Il est vrai qu’au sud de Buenos Aires il n’y a plus aucun établissement, la seule nécessité de se pourvoir en sel fait pénétrer les Espagnols dans ces contrées. Il part à cet effet tous les ans de Buenos Aires un convoi de deux cents charrettes, escorté par trois cents hommes; il va par quarante degrés environ se charger de sel dans les lacs voisins de la mer, où il se forme naturellement.

      Le commerce de la province de La Plata est le moins riche de l’Amérique espagnole; cette province ne produit ni or ni argent et ses habitants sont trop peu nombreux pour qu’ils puissent tirer du sol tant d’autres richesses qu’il renferme dans son sein; le commerce même de Buenos Aires n’est pas aujourd’hui ce qu’il était il y a dix ans: il est considérablement déchu depuis que ce qu’on y appelle l’internation des marchandises n’est plus permise, c’est-à-dire depuis qu’il est défendu de faire passer les marchandises d’Europe par terre de Buenos Aires dans le Pérou et le Chili; de sorte que les seuls objets de son commerce avec ces deux provinces sont aujourd’hui le coton, les mules et le maté ou l’herbe du Paraguay. L’argent et le crédit des négociants de Lima ont fait rendre cette ordonnance contre laquelle réclament ceux de Buenos Aires. Le procès est pendant à Madrid, où je ne sais quand ni comment on le jugera. Cependant Buenos Aires est riche, j’en ai vu sortir un vaisseau de registre avec un million de piastres; et si tous les habitants de ce pays avaient le débouché de leurs cuirs avec l’Europe, ce commerce seul suffirait pour les enrichir. Avant la dernière guerre il se faisait ici une contrebande énorme avec la colonie du Saint-Sacrement, place que les Portugais possèdent sur la rive gauche du fleuve, presque en face de Buenos Aires; mais cette place est aujourd’hui tellement resserrée par les nouveaux ouvrages dont les Espagnols l’ont enceinte que la contrebande avec elle est impossible s’il n’y a connivence; les Portugais même qui l’habitent sont obligés de tirer par mer leur subsistance du Brésil. Enfin ce poste est ici à l’Espagne, à l’égard des Portugais, ce que lui est en Europe Gibraltar à l’égard des Anglais.

      La ville de Montevideo, établie depuis quarante ans, est située à la rive septentrionale du fleuve, trente lieues au-dessus de son embouchure, et bâtie sur une presqu’île qui défend des vents d’est une baie d’environ deux lignes de profondeur sur une de largeur à son entrée. À la pointe occidentale de cette baie est un mont isolé, assez élevé, lequel sert de reconnaissance et a donné le nom à la ville; les autres terres qui l’environnent sont très basses. Le côté de la plaine est défendu par une citadelle: plusieurs batteries protègent le côté de la mer et le mouillage; il y en a même une au fond de la baie sur une île fort petite, appelée l’île aux Français. Le mouillage de Montevideo est sûr, quoiqu’on y essuie quelquefois des pamperos, qui sont des tourmentes de vent de sud-ouest, accompagnés d’orages affreux.

      Montevideo a un gouverneur particulier, lequel est immédiatement sous les ordres du gouverneur général de la province. Les environs de cette ville sont presque incultes et ne fournissent ni froment ni maïs; il faut faire venir de Buenos Aires la farine, le biscuit et les autres provisions nécessaires aux vaisseaux. Dans les jardins, soit de la ville, soit des maisons qui en sont voisines, on ne cultive presque aucun légume; on y trouve seulement des melons, des courges, des figues, des pêches, des pommes et des coings en grande quantité. Les bestiaux y sont dans la même abondance que dans le reste de ce pays; ce qui, joint à la salubrité de l’air, rend la relâche à Montevideo excellente pour les équipages; on doit seulement y prendre des mesures contre la désertion. Tout y invite le matelot, dans un pays où la première réflexion qui le trappe en mettant pied à terre c’est que l’on y vit presque sans travail. En effet, comment résister à la comparaison de couler dans le sein de l’oisiveté des jours tranquilles sous un climat heureux, ou de languir affaissé sous le poids d’une vie constamment laborieuse et d’accélérer dans les travaux de la mer les douleurs d’une vieillesse indigente?

      CHAPITRE IV

      Le 28 février 1767, nous appareillâmes de Montevideo avec les deux frégates espagnoles et une tartane chargée de bestiaux. Nous convînmes don Ruis et moi, qu’en rivière il prendrait la tête, et qu’une fois au large, je conduirais la marche. Toutefois, pour obvier au cas de séparation, j’avais donné à chacune des frégates un pilote des Malouines. L’après-midi il fallut mouiller, la brume ne permettant de voir ni la grande terre ni l’île de Flores. Le vent fut contraire le lendemain; je comptais néanmoins que nous appareillerions, les courants assez forts dans cette rivière favorisant les bordées; mais voyant le jour presque écoulé sans que le commandant espagnol fit aucun signal, j’envoyai un officier pour lui dire que, venant de reconnaître l’île de Flores dans une éclaircie, je me trouvais mouillé beaucoup trop près du banc aux Anglais, et que mon avis était d’appareiller le lendemain, vent contraire ou non. Don Ruis me fit répondre qu’il était entre les mains du pilote, pratique de la rivière, qui ne voulait lever l’ancre que d’un vent favorable et fait. L’officier alors le prévint de ma part que je mettrais à la voile dès la pointe du jour et que je l’attendrais en louvoyant, ou mouillé plus au nord, à moins que les marées ou la force du vent ne me séparassent de lui malgré moi.

      La tartane n’avait point mouillé la veille et nous la perdîmes de vue le soir pour ne plus la revoir. Elle revint à Montevideo trois semaines après, sans avoir rempli sa mission. La nuit fut orageuse, le pamperos souffla avec furie et nous fit chasser: une seconde ancre que nous mouillâmes nous étala. Le jour nous montra les vaisseaux espagnols, mâts de hune et basses vergues amenés, lesquels avaient beaucoup plus chassé que nous. Le vent était encore contraire et violent, la mer très grosse, ce ne fut qu’à neuf heures que nous pûmes appareiller sous les quatre

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