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la comtesse, oui, Saint-Père… en effet, vous n’êtes plus Rodrigue, et je ne suis plus Honorata… C’est donc au Saint-Père que je m’adresse… c’est au souverain pontife que va mon humble prière…

      – Parlez, ma fille, et s’il est en mon pouvoir de vous soula-ger, je le ferai…

      – Saint-Père, reprit la comtesse d’une voix qu’elle s’efforçait en vain d’affermir, s’il ne s’agissait que de moi, j’aurais tôt fait de renoncer à ce monde… Un cloître se refermerait comme une porte de tombeau sur ma honte…

      – C’est là une belle résolution, fit vivement le pape.

      – Mais je n’ai pas le droit de l’exécuter !… S’il ne s’agissait que du comte Alma, sa faiblesse morale s’accommoderait vite de ce que Votre Sainteté pourrait lui offrir en échange de la citadelle de Monteforte.

      – Le comte Alma, interrompit le pape avec la même vivaci-té, peut être sûr de trouver à Rome, au Vatican même, une splen-dide situation quand il lui plaira de quitter son nid d’aigle… Je vous autorise à le lui dire…

      – Je n’ai pas besoin de l’en informer, Saint-Père… le comte sait tout ce qu’il gagnerait à se soumettre… Et souvent il y songe !…

      – Eh bien ! Qui l’empêche ? Je lui ouvrirai mes bras !

      – Qui l’empêche de rendre Monteforte ? Qui m’empêche, moi, de m’enterrer vivante dans un cloître ? C’est ma fille… C’est Béatrix…

      – Une enfant ! Je la doterai magnifiquement. Je la créerai princesse. Je ferai plus encore pour elle… Je lui chercherai un parti qui peut prétendre dès maintenant à la main d’une fille de roi. Et l’homme que je lui destine montera peut-être lui-même sur un trône… Ainsi votre fille deviendra reine ! Reine, entendez-vous, Honorata !…

      – Votre Sainteté vient de m’appeler « Honorata ! »

      – Cela m’a échappé !

      – Et quel est, reprit la comtesse Alma, ce parti que vous of-fririez à Béatrix ?…

      Le pape se redressa et, avec une sorte de solennité :

      – Il s’appelle César Borgia, duc de Valentinois… en atten-dant mieux…

      – Votre fils ?…

      – Lui-même ! Ah ! comtesse, croyez que je vous donne en ce jour une preuve d’affection singulière entre toutes…

      – Vous ne connaissez pas Béatrix !… Le sang que je lui ai transmis, c’est du sang des Sforce. Mais alors que j’ai pu l’oublier, moi, ce sang coule dans ses veines avec une impétuosité qui m’effraie… Vous croyez sans doute, Saint-Père, que le comte Alma a défendu Monteforte, la seule forteresse qui ait résisté à César Borgia, vainqueur des Romagnes. Tout le monde le croit… Eh bien ! ce fut Béatrix qui enflamma la garnison, ce fut elle qui prépara l’échec de votre fils… Et aujourd’hui encore, elle est prête à se battre.

      Le pape garda longtemps le silence, tandis que la comtesse pleurait à ses pieds. Puis, par une manœuvre dont il avait l’habitude et l’habileté, il répondit par une question à la supplica-tion de l’infortunée.

      – Ainsi, dit-il, vous refusez ce mariage entre César et Béa-trix ?…

      La comtesse releva la tête, surprise :

      – Je ne le refuse pas… il est impossible… Béatrix a contre vous tous une haine qu’elle a héritée des Sforce…

      – Que la volonté du Seigneur s’accomplisse !

      – Saint-Père, j’attends votre décision. Quelle réponse vais-je porter à Monteforte ?

      – Hélas ! ma fille… Je ne puis rien sur César. Depuis long-temps il a échappé à mon influence. Ses guerres, il les a faites contre mon gré. Je crois que nulle puissance au monde ne l’empêchera de marcher sur Monteforte…

      La comtesse se releva lentement. Elle jeta un dernier regard désespéré sur le pape.

      – Adieu, Rodrigue ! dit-elle.

      – Dieu vous protège, ma fille ! répondit le pape.

      Honorata, comtesse Alma, sortit d’un pas chancelant. À peine se fut-elle éloignée, que le pape se redressa.

      – Per bacco ! murmura-t-il. Quel spectre ! Voilà une visite à laquelle je ne m’attendais guère…

      Le vieillard eut un sourire aigu. Alors, il poussa une portière et pénétra dans une pièce voisine. Là, dans la pénombre, un homme était assis.

      C’était César Borgia, César lui-même, que le pape avait amené avec lui au moment où on lui avait remis le crucifix d’or de la comtesse Alma.

      – Eh bien, tu as entendu ? demanda le vieux Borgia.

      – Tout !… Par l’enfer… je raserai Monteforte.

      – À moins que la guerrière Béatrix…

      – Primevère ! fit César en pâlissant.

      – Tu as entendu quels bons sentiments elle a pour toi !

      – Je l’en ferai changer ! dit César d’une voix sombre.

      – En attendant, après la déconvenue qu’elle est venue cher-cher ici, nous voici avec une ennemie de plus… Cette comtesse Alma… sur laquelle, au fond, je comptais un peu pour aplanir les difficultés et préparer ton mariage, maintenant, loin de nous être une alliée, elle va se tourner contre nous…

      – Si elle arrive à Monteforte… Quant à sa fille, elle ne la ver-ra peut-être pas tout de suite.

      – Que veux-tu dire ?

      – Qu’on a vu Béatrix aux environs de Rome.

      – Aux environs de Rome ?… s’écria le pape avec un frémis-sement. Ah ! ces Sforce sont de terribles jouteurs… Va, César, mon fils… Je vais prier. Fasse le ciel que la mère et la fille ne se rejoignent plus !…

      – Je m’en charge ! grommela César.

      Il allait s’élancer. Le pape le retint d’un geste.

      – À propos, dit-il, la comtesse a oublié ici un petit bijou… Tiens… ce crucifix d’or… Je crois que tu pourrais la rejoindre et lui rendre cet emblème sacré auquel, si je ne me trompe, elle doit tenir fort…

      César regarda son père attentivement.

      – Au surplus, reprit le pape, si ce n’est là son crucifix, c’en est un qui lui ressemble exactement. Il n’y a qu’une toute petite différence… Tiens, regarde, César… Le Christ n’a pas d’épines, sur le crucifix de la comtesse… tandis que, sur celui-ci, la tête est couronnée de piquants… Vois… Et voici une épine qui est bien pointue, per bacco… elle doit bien piquer…

      César arracha le crucifix d’or des mains du pape et s’élança au-dehors.

      La comtesse Alma, s’éloignant rapidement, avait rejoint la chaise de poste qui l’attendait sous le bouquet de chênes, non loin de la porte Florentine. La voiture s’ébranla.

      Elle n’avait pas fait cinq cents pas qu’un cavalier accourut à fond de train, la rejoignit et fit signe au postillon de s’arrêter. Ce-lui-ci obéit.

      Le cavalier se pencha à la portière et salua gravement. La comtesse releva la tête et reconnut cet homme.

      – César Borgia ! murmura-t-elle en pâlissant.

      – Moi-même, madame… Bien que nos deux maisons soient ennemies, j’ai tenu à vous présenter l’hommage de mon respect… Lorsque mon vénéré père a voulu envoyer un serviteur pour vous remettre un objet oublié par vous, je n’ai pas voulu que ce servi-teur fût un autre que moi !…

      – Un objet oublié ? interrogea la comtesse.

      – Ce

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