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si fort que le sang jaillit !… Glacée d’horreur et d’épouvante, je m’évanouis… Lorsque je me réveillai, j’étais ici, dans vos bras, mère Rosa… et vous sanglotiez… tenez… comme vous sanglotez maintenant !… Pourquoi pleurez-vous, mère ?… Ces choses sont passées…

      – Mais ce souvenir me brûle comme un fer chaud…

      – Bonne mère Rosa ! s’écria la jeune fille. Suis-je assez sotte d’augmenter ainsi vos chagrins, en vous parlant de choses que vous auriez ignorées… si je ne vous les avais racontées… Chassez ces souvenirs, mère… c’est fini…

      – Ce qui n’est pas fini, c’est le remords, dit la vieille.

      – Le remords ? s’exclama la Fornarina.

      – Pussé-je te faire horreur ! Ce serait une juste punition !

      – Mère ! balbutia la Fornarina, quel vertige vous saisit ? Re-venez à vous… vos paroles m’épouvantent…

      – Et pourtant, il faut que tu saches ! fit la Maga en se tor-dant les bras et s’agenouillant. Maudis-moi, Rosita !… Car ce fut moi ton bourreau…

      – Vous maudire alors que vous m’avez sauvée, alors que par vous j’ai connu la douceur de vivre, d’aimer et d’être aimée…

      – Écoute… c’est moi qui t’ai livrée à la Stryga !…

      – C’est un affreux rêve ! bégaya la Fornarina.

      – Non seulement je t’ai livrée à ce démon, mais je lui ai don-né de l’argent pour te haïr, pour te battre, pour te faire souffrir…

      – Oh ! mère Rosa ! Vous n’avez pas votre raison… Relevez-vous… je vous en supplie…

      – Pas avant que tu saches tout ! Tes douleurs, je les épiais, et je m’en repaissais. Tes larmes rafraîchissaient mon cœur ulcéré. Et cela dura jusqu’à cette nuit où je te vis palpitante, agonisante sous la dent de la Stryga. Alors, une incompréhensible révolution se fit en moi… Je te saisis… je t’emportai… Mais tu ne pouvais oublier… tu n’as pas oublié… Oh ! les heures effroyables que j’ai passées lorsque de ta voix si douce, tu me racontais ta misère passée… C’est que le remords m’étreignait à la gorge… Mainte-nant que tu sais… maudis-moi !

      La Fornarina jeta un cri. Elle se baissa, souleva presque la vieille femme, l’enlaça dans ses bras.

      – Mère ! fit-elle d’une voix tremblante, mère, je vous aime… et vous… vous n’aimez donc plus votre fille ?…

      – Seigneur ! Seigneur ! cria-t-elle. Elle me pardonne !… Elle ne me repousse pas… elle m’appelle encore sa mère !

      La vieille Rosa refoula ses larmes, comprima la violente émotion qui l’étouffait, et reprit :

      – Maintenant, ma fille, il faut que tu saches tout…

      – Mère, dit la Fornarina, il est temps que j’aille au four de Nuncia…

      – Aujourd’hui, tu n’iras pas, mon enfant.

      – Pourtant, mère, le prix de ma journée, vous fera défaut.

      – Rosita !… Je t’ai dit que tu saurais tout, répondit la Maga avec une volubilité fiévreuse. Ton pauvre salaire, enfant ! Tiens, regarde !

      Elle entraîna la jeune fille devant le bahut, ouvrit un tiroir. Ce tiroir était rempli de pièces d’or et d’argent. La Fornarina re-garda la vieille avec stupéfaction.

      – Ne comprends-tu pas ? s’écria la sorcière. Ne vois-tu pas que si je t’ai laissée te livrer à ces humbles travaux, c’est que je ne voulais pas… qu’on devine… qu’on soupçonne !… Aujourd’hui, ma fille, tu n’iras pas au four, ni demain, ni les jours suivants…

      La vieille s’arrêta.

      – Oh ! murmura-t-elle… Il est venu !… Il était là… là, sur ce fauteuil…

      Puis, revenant à la Fornarina toute frissonnante, elle ajouta :

      – Écoute, Rosita ! Tu vas savoir pourquoi tu es une fille sans nom et sans famille…

      XI. LE CRUCIFIX DU PAPE

      Il était environ dix heures du matin.

      Une chaise de poste s’arrêta près de la porte Florentine, non loin d’un bouquet de chênes où elle se mit à l’ombre. Une femme vêtue de noir en descendit et, pénétrant à pied dans Rome, se di-rigea rapidement vers le Vatican. Mais ce ne fut pas du côté de la façade qu’elle se présenta. En arrière, s’étendait un jardin d’une étendue considérable et clôturé de murs. Il n’y avait, pour péné-trer dans cette partie du Vatican, qu’une petite porte basse depuis longtemps hors d’usage.

      La femme en noir, le visage couvert d’un voile épais, longea ces murs, parvint à la petite porte, introduisit en tremblant une clef dans la serrure qui, rouillée par le temps, grinça sous l’effort, résista, et enfin céda.

      La visiteuse se trouva dans le jardin. Un instant elle s’arrêta, puis, à pas précipités, elle se dirigea vers un élégant pavillon qui disparaissait à moitié dans un massif de lauriers-roses géants.

      À l’entrée du pavillon, un vieux domestique revêtu d’une simple livrée noire, se promenait mélancoliquement. Tout à coup, il aperçut l’inconnue et jeta cette exclamation de colère.

      – Madame, par où êtes-vous entrée ici ? Dehors… vite !

      Sans répondre, la femme tira de son sein un petit crucifix d’or, et le tendit au domestique soudain courbé en deux.

      – Veuillez faire… parvenir ce crucifix… où vous savez… dit la dame d’une voix étouffée par l’émotion.

      Il prit le crucifix, s’effaça pour laisser entrer la visiteuse dans le pavillon et s’élança vers le palais.

      La dame entra dans une pièce retirée. Et, s’étant assise, elle attendit, l’oreille aux aguets, le cœur battant.

      Plus d’une heure s’écoula. Enfin, un bruit de pas fit crier le sable du jardin. Un homme apparut bientôt dans l’encadrement de la porte et jeta sur la visiteuse un regard de curiosité, de mé-fiance et d’inquiétude tout à la fois.

      La dame s’était vivement levée. D’un geste lent, elle décou-vrit son visage…

      – La comtesse Alma ! s’exclama l’homme sourdement.

      – Autrefois, Rodrigue, vous m’appeliez Honorata ! répondit faiblement la femme.

      – Madame, reprit l’homme, il n’y a ici ni Rodrigue, ni Hono-rata… je ne vois que la comtesse Alma… une femme ennemie de notre Église… et je ne suis moi-même qu’un pauvre pécheur qui passe les derniers jours de sa vie à demander pardon de ses er-reurs au Tout-Puissant miséricordieux… Mais asseyez-vous, ma-dame…

      La femme obéit, tremblante. Des larmes vinrent poindre à ses yeux. L’homme l’observait de son regard aigu, fouilleur.

      – Dix-sept ans ! murmura la dame en jetant les yeux autour d’elle. Voilà dix-sept ans que, pour la dernière fois, je pénétrai ici… Vous parlez de vos fautes… Mais qui me pardonnera la mienne !…

      – Dieu est grand, madame…

      Et, la tête baissée, les mains jointes, l’homme attendit, sans poser une question…

      – Oui ! reprit la dame, depuis ces temps éloignés, je souffre, je pleure ; femme parjure, infidèle, j’ai trahi mes devoirs… une minute d’orgueil et d’ambition m’a jetée dans vos bras… oh ! j’ai été cruellement punie ! L’enfant… cette enfant que, lâche jusqu’au bout, j’abandonnai au seuil d’une église… que de fois j’ai songé à la pauvre petite abandonnée !… que de fois aussi je me suis dit que les malheurs qui ont frappé notre maison n’étaient

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