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quoi cela sert-il? demanda le jeune homme en prenant la lunette.

      – A voir au loin, répondit le berger.

      – Plaisantez-vous, Frik?

      – je plaisante si peu, forestier, qu'il y a une heure à peine, j'ai pu vous reconnaître, tandis que vous descendiez la route de Werst, vous et aussi…»

      Il n'acheva pas sa phrase. Miriota avait rougi en baissant ses jolis yeux. Au fait, pourtant, il n'est pas défendu à une honnête fille d'aller au-devant de son fiancé.

      Elle et lui, l'un après l'autre, prirent la fameuse lunette et la dirigèrent vers le burg.

      Entre-temps, une demi-douzaine de voisins étaient arrivés sur la terrasse, et, s'étant enquis du fait, ils se servirent tour à tour de l'instrument.

      «Une fumée! une fumée au burg!… dit l'un.

      – Peut-être le tonnerre est-il tombé sur le donjon?… fit observer l'autre.

      – Est-ce qu'il a tonné?… demanda maître Koltz, en s'adressant à Frik.

      – Pas un coup depuis huit jours», répondit le berger.

      Et ces braves gens n'auraient pas été plus ahuris, si on leur eût dit qu'une bouche de cratère venait de s'ouvrir au sommet du Retyezat, pour livrer passage aux vapeurs souterraines.

      III. Le village de Werst a si peu d'importance que la plupart des cartes n'en indiquent point la situation…

      Le village de Werst a si peu d'importance que la plupart des cartes n'en indiquent point la situation. Dans le rang administratif, il est même au-dessous de son voisin, appelé Vulkan, du nom de la portion de ce massif de Plesa, sur lequel ils sont pittoresquement juchés tous les deux.

      A l'heure actuelle, l'exploitation du bassin minier a donné un mouvement considérable d'affaires aux bourgades de Petroseny, de Livadzel et autres, distantes de quelques milles. Ni Vulkan ni Werst n'ont recueilli le moindre avantage de cette proximité d'un grand centre industriel; ce que ces villages étaient, il y a cinquante ans, ce qu'ils seront sans doute dans un demi-siècle, ils le sont à présent; et, suivant Élisée Reclus, une bonne moitié de la population de Vulkan ne se compose «que d'employés chargés de surveiller la frontière, douaniers, gendarmes, commis du fisc et infirmiers de la quarantaine»– Supprimez les gendarmes et les commis du fisc, ajoutez une proportion un peu plus forte de cultivateurs, et vous aurez la population de Werst, soit quatre à cinq centaines d'habitants.

      C'est une rue, ce village, rien qu'une large rue, dont les pentes brusques rendent la montée et la descente assez pénibles. Elle sert de chemin naturel entre la frontière valaque et la frontière transylvaine. Par là passent les troupeaux de bœufs, de moutons et de porcs, les marchands de viande fraîche, de fruits et de céréales, les rares voyageurs qui s'aventurent par le défilé, au lieu de prendre les railways de Kolosvar et de la vallée du Maros:

      Certes, la nature a généreusement doté le bassin qui se creuse entre les monts de Bihar, le Retyezat et le Paring. Riche par la fertilité du sol, il l'est aussi de toute la fortune enfouie dans ses entrailles: mines de sel gemme à Thorda, avec un rendement annuel de plus de vingt mille tonnes; mont Parajd, mesurant sept kilomètres de circonférence à son dôme, et qui est uniquement formé de chlorure de sodium; mines de Torotzko, qui produisent le plomb, la galène, le mercure, et surtout le fer, dont les gisements étaient exploités dès le Xe siècle; mines de Vayda Hunyad, et leurs minerais qui se transforment en acier de qualité supérieure; mines de houille, facilement exploitables sur les premières strates de ces vallées lacustres, dans le district de Hatszeg, à Livadzel, à Petroseny, vaste poche d'une contenance estimée à deux cent cinquante millions de tonnes; enfin, mines d'or, au bourg d'Ottenbanya, à Topanfalva, la région des orpailleurs, où des myriades de moulins d'un outillage très simple travaillent les sables du Verès-Patak, «le Pactole transylvain», et exportent chaque année pour deux millions de francs du précieux métal.

      Voilà, semblera, un district très favorisé de la nature, et pourtant cette richesse ne profite guère au bien-être de sa population. Dans tous les cas, si les centres plus importants, Torotzko, Petroseny, Lonyai, possèdent quelques installations en rapport avec le confort de l'industrie moderne, si ces bourgades ont des constructions régulières, soumises à l'uniformité de l'équerre et du cordeau, des hangars, des magasins, de véritables cités ouvrières, si elles sont dotées d'un certain nombre d'habitations à balcons et à vérandas, voilà ce qu'il ne faudrait chercher ni au village de Vulkan, ni au village de Werst.

      Bien comptées, une soixantaine de maisons, irrégulièrement accroupies sur l'unique rue, coiffées d'un capricieux toit dont le faîtage déborde les murs de pisé, la façade vers le jardin, un grenier à lucarne pour étage, une grange délabrée pour annexe, une étable toute de guingois, couverte en paillis, çà et là un puits surmonté d'une potence à laquelle pend une seille, deux ou trois mares qui «fuient» pendant les orages, des ruisselets dont les ornières tortillées indiquent le cours, tel est ce village de Werst, bâti sur les deux côtés de la rue, entre les obliques talus du col. Mais tout cela est frais et attirant; il y a des fleurs aux portes et aux fenêtres, des rideaux de verdure qui tapissent les murailles, des herbes échevelées qui se mêlent au vieil or des chaumes, des peupliers, ormes, hêtres, sapins, érables, qui grimpent au-dessus des maisons «si haut qu'ils peuvent grimper». Par-delà, l'échelonnement des assises intermédiaires de la chaîne, et, au dernier plan, l'extrême cime des monts, bleuis par le lointain, se confondent avec l'azur du ciel.

      Ce n'est ni l'allemand ni le hongrois que l'on parle à Werst, non plus qu'en toute cette portion de la Transylvanie: c'est le roumain— même chez quelques familles tsiganes, établies plutôt que campées dans les divers villages du comitat. Ces étrangers prennent la langue du pays comme ils en prennent la religion. Ceux de Werst forment une sorte de petit clan, sous l'autorité d'un voïvode, avec leurs cabanes, leurs «barakas» à toit pointu, leurs légions d'enfants, bien différents par les mœurs et la régularité de leur existence de ceux de leurs congénères qui errent à travers l'Europe. Ils suivent même le rite grec, se conformant à la religion des chrétiens au milieu desquels ils se sont installés. En effet, Werst a pour chef religieux un pope, qui réside à Vulkan, et qui dessert les deux villages séparés seulement d'un demi-mille.

      La civilisation est comme l'air ou l'eau. Partout où un passage— ne fût-ce qu'une fissure-lui est ouvert, elle pénètre et modifie les conditions d'un pays. D'ailleurs, il faut le reconnaître, aucune fissure ne s'était encore produite à travers cette portion méridionale des Carpathes. Puisque Élisée Reclus a pu dire de Vulkan «qu'il est le dernier poste de la civilisation dans la vallée de la Sil valaque», on ne s'étonnera pas que Werst fût l'un des plus arriérés villages du comitat de Kolosvar. Comment en pourrait-il être autrement dans ces endroits où chacun naît, grandit, meurt, sans les avoir jamais quittés!

      Et pourtant, fera-t-on observer, il y a un maître d'école et un juge à Werst? Oui, sans doute. Mais le magister Hermod n'est capable d'enseigner que ce qu'il sait, c'est-à-dire un peu à lire, un peu à écrire, un peu à compter. Son instruction personnelle ne va pas au-delà. En fait de science, d'histoire, de géographie, de littérature, il ne connaît que les chants populaires et les légendes du pays environnant. Là-dessus, sa mémoire le sert avec une rare abondance. Il est très fort en matière de fantastique, et les quelques écoliers du village tirent grand profit de ses leçons.

      Quant au juge, il convient de s'entendre sur cette qualification donnée au premier magistrat de Werst.

      Le biró, maître Koltz, était un petit homme de cinquante-cinq à soixante ans, Roumain d'origine, les cheveux ras et grisonnants, la moustache noire encore, les yeux plus doux que vifs. Solidement bâti comme un montagnard, il portait le vaste feutre sur la tête, la haute ceinture à boucle historiée sur le ventre, la veste sans manches sur le torse, la culotte courte et demi-bouffante, engagée dans les hautes bottes de cuir. Plutôt maire que juge, bien que ses fonctions l'obligeassent à intervenir dans les multiples difficultés de voisin à voisin, il s'occupait surtout d'administrer son village autoritairement et non sans quelque agrément pour sa bourse. En effet,

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