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besoin, les gamins. +++ Elle a pris un peu d’argent du ménage et s’est mise en route, lorsqu’un homme à mobylette l’arrête. Il est bien rasé et porte une veste de cuir toute neuve. « Salut, petite. Hé, attends ! Tu peux me dépanner ? - Moi, monsieur, comment est-ce que je pourrais vous aider ? - Eh bien, tu vas à l’école, et si tu habites par ici, ce que je suppose fortement, tu vas à Claude Bernard ? - Oui, monsieur. - Bien, ma petite… comment tu t’appelles ? - Katy, monsieur. - Ecoute, Katy, ça fait plusieurs heures que je tourne, et je n’arrive pas à trouver cette école. » +++ Le chemin le plus court vers Claude Bernard. Pas évident. Quand elle va à l’école, Katy suit ses frères sans s’occuper du chemin. Katy fait un gros effort de mémoire, elle voudrait bien aider ce monsieur. Elle est comme ça depuis toute petite, Katy. Elle fait tout pour les autres. Jusqu’à l’épuisement. Elle a un cœur en or, cette petite Katy, mais elle s’en prend toujours plein la tronche. « Alors, monsieur, commence Katy, si vous prenez par… - Tu sais quoi, propose le monsieur, tu n’as qu’à monter derrière pour me montrer le chemin. Ok ? » « D’accord, monsieur. » « Dès que je sais où c’est, je te ramène. A moins que tu n’aimes pas faire de la mobylette, parce que tu es une fille ? Ce serait dommage. » « Non, non, monsieur, j’adore les mobylettes ! » « Alors monte. Et tiens-toi bien, hein, je ne voudrais pas que tu tombes. » +++ Ils démarrent, et un vent glacial se met à souffler dans le visage de Katy. D’une main, Katy serre contre elle la bouteille d’huile vide, de l’autre elle empêche sa robe légère de trop remonter, tout en criant contre le vent : « A droite, monsieur ! A gauche, monsieur… Dites, vous m’entendez ?! » Katy se rend rapidement compte que l’inconnu a d’autres plans. Putain de caisse ! Ça fait longtemps qu’ils ont laissé l’école derrière eux. Et le type appuie sur le champignon. Il va trop vite pour que Katy puisse sauter en marche. Les pensées fusent dans la tête de Katy : oh là, qu’est-ce qui va se passer ? Je vais arriver en retard à la maison. Comment est-ce que je vais me sortir de cette merde ? +++ Le type s’arrête enfin, au milieu de nulle part. Personne en vue, elle ne sait absolument pas où elle est. Des champs, des broussailles, des clôtures, les lumières de la ville sont loin derrière eux. L’homme ne quitte pas Katy des yeux. Il gare sa mobylette avec précaution, et Katy se prend à espérer que les choses ne tournent pas si mal que ça. Un homme avec une belle veste en cuir comme ça, ça ne peut pas être un criminel, si ? Mais soudain, l’homme l’empoigne brutalement et la jette par terre. Boum. La terre est humide et sombre, elle est froide. Le type se jette sur Katy, l’espèce de sale bête. Elle sent son corps dur sur elle. Froid comme la mort. Il va lui régler son compte. Katy essaie de crier, mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle voudrait le mordre et le griffer, mais ses membres ne lui obéissent pas. Lorsque l’homme presse un genou entre ses cuisses, elle pisse dans sa culotte tellement elle a peur. Ça le déstabilise. Katy échappe à son étreinte, elle part en courant, mais elle est rattrapée par la mobylette, se prend un coup dans le dos. Aïe, ça fait mal ! Ça fait vraiment mal. Cette fois, c’est la fin. L’homme l’écrase de son corps glacé, et elle sait ce qu’il va faire. Brasil, lalalalalalalala ! Ce type est super balèze, et aussi lourd que ses deux frères réunis. Tap. Tap. Tap. Tandis qu’il lui baisse la culotte, Katy tâtonne à côté d’elle dans la pénombre et finit par trouver une pierre. Une sacrée grosse pierre. Bam. Un bon gros coup dans la tronche. Pah, tu vas voir. Katy frappe jusqu’à ce que le sang jaillisse de son arcade sourcilière. « Sale bête ! Petite pute ! Vermine ! » Tandis qu’il s’essuie le sang qui lui coule dans les yeux, Katy lui échappe et remonte à toute blinde vers la route. Lorsqu’elle voit une voiture qui approche, elle se met au milieu de la route et lui fait de grands signes. « Au secours ! Au secours ! » La voiture ralentit, le conducteur baisse sa vitre, mais il ne s’arrête pas. « S’il vous plaît, emmenez-moi, s’il vous plaît, il y a un type qui me fait des misères… Mais le conducteur n’en a rien à faire. Katy essaie d’arrêter encore deux autres voitures, puis elle abandonne. Elle est obligée de rentrer à pied. Elle traverse les banlieues et leurs tours. En zigzag. Une fois à gauche, une fois à droite. La peur au ventre, en voyant déjà ce sale type la rattraper avec sa mobylette. Merde. Elle a oublié la bouteille d’huile et le châle de la mère. Elle cherche l’argent, et se rend compte qu’elle l’a perdu aussi. Merde. Elle va se prendre une raclée, pas de doute. Qu’elle ait tout perdu ou pas. Qu’est-ce que tu veux faire. +++++ A douze ans, Katy est déjà convaincue qu’une vie comme la sienne ne vaut rien du tout. Même si elle allait voir l’assistante sociale ou la police pour leur raconter les viols, ça ne changerait rien. Rien du tout. Il faut déjà trouver le courage de les raconter, ces horreurs. Et puis, trahir toute sa famille ? Jamais. On ne fait pas ça à sa meute. +++ Comme Katy est maigre à cette époque. Maigre et légère comme une plume. Lors d’une visite médicale à l’école, on lui demande même si elle mange à sa faim. Alors qu’elle fait la cuisine elle-même, pah ! Mais par la même occasion, on remarque les bleus qu’elle a dans le dos et sur les jambes, et sa bosse violette et noire à la tête. Katy sort une belle vérité aux bonnes femmes de la visite médicale : « Qu’est-ce qu’on s’amuse quand on est la seule fille et qu’on n’a que des frères ! Ça déménage, attention ! Ha, ha, ha ! » C’est le genre d’histoire qu’elles peuvent comprendre, qui rentre dans leur tête. D’autres questions ? La vérité qui se cache derrière cette histoire n’éclatera pas au grand jour. Parfois, Katy préfèrerait être morte. Rideau.

      Fuck, c’est pas facile

      Saint-Jean-Pied-de-Port, juin 1984 +++++ Ben Ali, le père de Katy, meurt près de la frontière espagnole, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Une petite ville bien connue alentour, très appréciée des touristes. Deux rivières enjambées de ponts romantiques. Des maisons médiévales dont les balcons de bois surplombent l’eau. Des remparts. Une citadelle. Une église Notre-Dame. Une vieille ville avec le mélange classique de grès rose et gris. Bref, c’est vraiment beau. Quel culot ! +++ « Putain de merde ! Ah non, j’y crois pas, là ! », grogne Katy en arrivant à Saint-Jean. La mère et les frères aînés sont déjà là. Le plus jeune n’a pas voulu venir à l’enterrement. Ce taré de Kabyle s’est fait un putain de cadeau sur la fin ! Enfin, on ne peut pas dire que le vieil ivrogne soit arrivé ici de son plein gré. Le vieil escroc ! Il est parti se reposer à l’ombre des grands palmiers, disaient les gamins quand il allait faire un petit tour en taule. Son séjour à Saint-Jean-Pied-de-Port fait écho à cette expression idiote. Des palmiers, il y en a plein, ici. Sauf que cette fois, ce n’est pas la prison, mais un asile. Delirium tremens. Il a tellement pété un câble qu’il ne pouvait plus rester à la maison. Il jouait tout le temps au fou, il se jetait par terre, et il montrait son cul, le porc. Il tartinait les murs de la baraque avec sa merde, le salaud, et il pissait partout. Il tremblait comme une feuille, la cuillère lui restait souvent coincée dans la gorge quand Katy lui donnait à manger. Le tout en pleine nuit, rythme biologique complètement inversé. Katy imaginait des méchants parasites dans le cerveau de son père, qui le rendaient dingue pour le punir de tous ses méfaits. Katy éprouve une étrange reconnaissance pour cette maladie. La détresse de son imbécile de père a remplacé les coups, ça lui fait des vacances. Epave, vieux fou, presque un signe positif du destin. Mais un salaud reste un salaud et une larve, une larve. La mère ne s’est pas montrée spécialement impressionnée par la déchéance de son mari. Quelle salope, quelle grosse larve, mais elle a toujours été comme ça. Elle ne s’est jamais intéressée à rien, oh non. Dans quelques heures, ce vieux salaud sera six pieds sous terre. Une bénédiction.

      Le Havre, octobre 1970 +++++ Les premières crises de delirium tremens du père sont l’enfer pour Katy. Il n’arrête pas de se débattre. Un jour, Katy en a tellement ras le bol qu’elle hurle à sa mère : « Ça t’arrive jamais de t’occuper de quelque chose ? T’appelles même pas quand cette espèce de taré fait une crise en pleine nuit ! « Non mais qu’est-ce que tu me veux, là ? », rétorque la mère, en boule elle aussi. « Arrête de faire ta dramaqueen ! C’est encore moi qui commande dans cette baraque, compris ? Maintenant, fais-moi à manger, j’ai faim ! » « Tu vas le laisser crever à petit feu, hein, c’est ça ?! » « Toi, fais plutôt ton boulot ! Non mais regarde-moi ce bordel ! » +++ Oh oui. Katy frotte, fait la cuisine, range, et

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