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que de la théorie; mais en passant à la pratique, c'est-à-dire au chant et à la mélodie, nous sommes dans une situation assez analogue à celle où seraient dans vingt siècles nos descendants, si tout à coup les œuvres musicales des maîtres disparaissaient, et s'il ne restait de nous que quelques traités théoriques, avec de rares exemples, plus une quarantaine de lignes de musique à peu près.

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      FIG. 15.—FRAGMENT DE L'HYMNE A LA MUSE CALLIOPE.

      (Ms. de la Bibliothèque nationale.)

      Ce que nous avons encore de musique antique consiste en trois chants hymniques, l'un à Calliope, l'autre à Apollon, le troisième à Némésis. Ces trois chants sont attribués à Mésomède, un musicien de décadence du IIe siècle après J.-C. Il nous faut citer aussi les trois premiers vers de la première pythique de Pindare, publiés par Kircher dans sa Musurgia, et dont la musique est attribuée au grand poète thébain; mais l'authenticité de cette ode est fort discutée. Nous devons ajouter les deux inscriptions musicales trouvées à Delphes en 1893 et 1894, sous la direction de M. Homolle.

      Le rythme et le mode constituaient ce que l'on appelait l'Éthos d'une mélodie, c'est-à-dire son caractère. Suivant l'emploi que l'on en faisait ou les sentiments qu'elle inspirait, la mélodie pouvait être tragique, comique, dithyrambique, érotique, encosmatique (élogieuse), systaltique (inspirant des sentiments de tristesse), hésychastique (tranquille), diastaltique (excitante et héroïque). Elle changeait de caractère, c'est-à-dire de rythme ou de mode, au moyen de la métabole. La métabole a pour analogue, dans la musique moderne, les modulations et les changements de rythme. C'est au poète Archiloque (vers 700 av. J.-C.) que l'on attribue son invention, mais elle paraît lui être antérieure.

      Chaque mode avait son caractère ou Éthos particulier; cependant il faut avouer que les distinctions esthétiques n'étaient pas toujours bien fixes et que des grands philosophes, tels que Platon et Aristote, s'entendaient quelquefois assez peu sur le sens expressif d'un même mode, et pourtant le caractère des modes n'était pas seulement une spéculation philosophique; les musiciens l'appliquaient aussi de leur mieux dans la pratique. Plutarque nous raconte qu'un jour Euripide, faisant répéter un morceau de sa composition, vit rire un des exécutants: «Si tu n'étais pas dénué de toute intelligence artistique, lui dit-il, et de toute instruction, tu ne rirais pas en entendant chanter du mixolydien.»

      Suivant nos idées modernes, la mélodie n'est pas seule à composer toute la musique; l'emploi des sons simultanés ou harmonie a aussi son importance, mais écrire ces mots: harmonie des Grecs, c'est réveiller les plus terribles controverses d'érudition. Le sens du mot lui-même a changé depuis l'antiquité; il désignait, ou l'ensemble de la musique, ou le mode dans lequel était chantée une mélodie, et non, comme aujourd'hui, l'accord des sons entendus simultanément. Les Grecs ont-ils, oui ou non, employé les sons simultanés? Voici quatre siècles que les historiens, musiciens et théoriciens discutent sans relâche; tous les vingt ans il paraît sur ce sujet un livre qui tranche la question sans la résoudre; il est oublié, un autre paraît qui la tranche d'une autre façon, mais sans la résoudre davantage.

      En somme, pas un texte, pas un document authentique ne constate avec évidence l'existence de l'harmonie chez les Grecs. Il semble à peu près reconnu qu'ils chantaient à l'unisson, ou bien à l'octave, lorsque les voix d'hommes, d'enfants et de femmes étaient mêlées, combinaison que la nature fournit d'elle-même. Si quelque instrument accompagnait la voix, c'était à l'unisson, ou bien il doublait le chant, à une octave au-dessus ou au-dessous, ce qui s'appelait magadiser.

      Aller plus loin dans les suppositions serait imprudent; disons donc simplement que si les Grecs ont eu la connaissance de l'harmonie, ils n'ont pu l'avoir que d'une façon tout à fait rudimentaire. En revanche, nous ne pouvons assez admirer avec quelle suprême délicatesse les Grecs, ces sublimes artistes, considéraient la philosophie et l'esthétique de l'art. Ils lui donnaient place dans leur religion comme dans leurs lois; ils entouraient la musique d'un rempart de lois divines et humaines qu'il était sacrilège d'enfreindre; ils faisaient d'elle la régulatrice de leur vie et de leurs plaisirs. «Jamais, dit Platon, le style musical ne change, sans que les principes de l'État ne se modifient.»

      Les instruments de musique chez les Grecs participaient de ce mélange de pratique théorique et de spéculation philosophique. Une lyre était non seulement un instrument dont on tirait des sons, mais le symbole de la musique entière; elle aussi était sacrée, elle aussi était associée aux lois des dieux et des hommes; en se servant de la lyre, on protestait en faveur d'Apollon contre la flûte de Bacchus et de Marsyas. Il est vrai de dire que le procès de ce dernier avait été depuis longtemps revisé par les Grecs eux-mêmes, car les Sicyoniens montraient avec orgueil dans leur temple la flûte de l'infortuné rival d'Apollon.

      Le nombre des instruments représentés sur les monuments laissés par les Grecs, vases, peintures, sculptures, etc., est immense; cependant on peut toujours le réduire à trois, les lyres, les cithares et les flûtes reproduites à l'infini; tels sont les trois genres d'instruments purement grecs; les autres sont asiatiques ou appartiennent aux époques de décadence.

      Le plus répandu de tous les instruments grecs est la lyre à quatre cordes, qui fut d'abord l'ancienne lyre d'Apollon, aux origines fabuleuses et divines. Ce ne fut qu'à une époque plus avancée qu'elle se confondit avec la cithare et de telle sorte qu'il est difficile de distinguer les deux instruments, dans les représentations figurées, et de les reconnaître sous les noms multiples que les auteurs leur ont donnés. La lyre était un instrument de moyenne ou même de petite dimension, armé de peu de cordes en général, sept au plus; la cithare, plus grande, mieux disposée pour la sonorité, était chargée d'un grand nombre de cordes, qui pouvait aller jusqu'à douze.

      Le grammairien Pollux a laissé, au IIe siècle de notre ère, une liste des instruments de musique de son temps; sur les vingt-huit instruments à cordes qui sont cités, la lyre et la cithare ont plus de dix synonymes; mais il ne faut pas donner plus d'importance qu'il ne convient à la multiplicité de ces noms; chaque pays, chaque ville presque, désignait d'une façon spéciale un instrument partout répandu qui, en somme, restait à peu près le même.

      La vieille lyre grecque dont parle Homère s'appelle la phorminx. Elle est d'une construction fort simple. Sur une écaille de tortue est tendue une peau qui sert de table d'harmonie, puis s'élèvent parallèlement deux bras, appelés cornes, reliés par une traverse; à cette traverse sont attachés des anneaux de cuir, et à ces anneaux de cuir des cordes qui, passant sur un chevalet, viennent se rejoindre au bas de l'instrument et s'attachent à un cordier; au moyen des doigts, ou d'un petit plectrum en os ou en ivoire, le musicien fait résonner les cordes (fig. 11).

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      FIG. 16.—CITHARE.

      Le nombre de ces cordes fut d'abord en général de quatre, mais successivement ce nombre fut porté à cinq, à sept, à neuf, à douze et même à quinze, lorsque la lyre en vint à se confondre avec la cithare. Chacune de ces additions annonçait une révolution dans l'art et soulevait une guerre musicale. 500 ans avant J.-C., on connaissait déjà des lyres à huit et à neuf cordes; vers 450, à onze et douze; cependant, dans les concours de chant, celle à quatre cordes était seule admise; Terpandre, se présentant au concours avec une lyre à sept cordes, dut retrancher celles qui étaient en trop. Vers 500 avant J.-C., Lasos d'Hermione se servait, dit-on, d'une lyre à neuf cordes, dont chacune portait le nom d'une muse. En somme, la lyre type, celle qui répond le mieux au système musical des Grecs, celle dont lord Elgin a rapporté un modèle curieux qui est au British Museum, est à sept cordes; l'instrument était en bois, en cuivre, et même en or.

      La

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