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Les ailes brûlées. Lucien Biart
Читать онлайн.Название Les ailes brûlées
Год выпуска 0
isbn 4064066323325
Автор произведения Lucien Biart
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
C’est chose grave qu’un duel, et l’alternative de tuer ou d’être tué est toujours poignante. Aucun motif de haine personnelle n’animait M. de Lansac contre M. de Lesrel, et peu à peu l’âme si droite de l’officier se révolta à l’idée de frapper un innocent. Puis, si la chance le favorisait, une barrière sanglante allait se dresser entre lui et celle qu’il aimait; tout était perdu cette fois, même l’espérance.
–Allons, pensa-t-il, mon adversaire sera bien assez habile pour me passer son épée à travers le corps; au besoin je l’y aiderai.
Cette sombre résolution prise, M. de Lansac se sentit plus calme; lasse de luttes énervantes, son âme aspirait au repos. La vie lui apparaissait noire, triste, misérable; la mort comme un asile de paix. Si la chair se révoltait et demandait à vivre encore, l’esprit répondait aussitôt: sans espérance, à quoi bon?
M. de Lansac mit ordre à ses affaires, écrivit à Mme de Lesrel, afin de lui expliquer son sacrifice. Puis, ayant réfléchi, et ne voulant lui laisser ni regrets ni remords, il déchira sa lettre.
Il sortit vers midi pour rejoindre ses témoins.
–Je rentrerai à cinq heures, dit-il à Louis, qui ne se doutait pas des événements, ne t’éloigne pas, j’aurai peut-être besoin de toi.
A quatre heures, une femme voilée se présenta; elle voulait parler à M. de Lansac. Le colonel ne recevait jamais de visites de ce genre; mais Louis, loin de s’en étonner, comprit pourquoi on lui avait ordonné de ne pas s’absenter. Il fit pénétrer la visiteuse dans le salon, l’assurant que M. de Lansac ne tarderait pas à rentrer. La porte refermée, il aspira l’air parfumé par le passage de la jeune femme et se frotta les mains avec vigueur.
–Ah! murmura-t-il, nous allons nous réconcilier. La princesse est jolie, si elle est capricieuse, et mon maître a bon goût.
Il était près de six heures lorsque le colonel descendit de voiture devant sa demeure. Louis, qui l’épiait et s’étonnait de ne pas le voir plus exact à un rendez-vous qu’il croyait convenu, se hâta de lui ouvrir.
–Elle est là, monsieur, dit-il d’un air à la fois malicieux et mystérieux.
–Qui? demanda le colonel.
–La dame, celle qui sent bon.
M. de Lansac était très pâle, ses traits se crispèrent. Il n’eut pas le temps d’empêcher Louis d’ouvrir la porte du salon, et il se trouva en face de Mme de Lesrel.
–Vous! vous! s’écria-t-il.
Elle s’avança vers lui, ne pouvant parler.
–Vous! répéta de nouveau le colonel, comme épouvanté.
–Moi, dit-elle enfin, qui viens vous demander une grâce.
M. de Lansac, droit, livide, ne répondit pas, ne s’inclina pas. Il s’appuya sur le dossier d’un fauteuil, respirant avec effort, regardant Mme de Lesrel avec dureté. Les tortures qu’il devait à cette femme, l’abîme au fond duquel ses coquetteries l’avaient plongé faisaient bouillonner dans son âme les sentiments les plus contradictoires; il ne savait plus s’il l’adorait ou la haïssait; s’il devait l’écouter, la fuir ou l’écraser.
–Monsieur, dit-elle enfin, vous allez vous battre avec M. de Lesrel, je l’ai appris. Mon mari est innocent de mes coquetteries, de votre amour; sa vie, j’en appelle à votre loyauté, doit-elle payer nos erreurs?
Le colonel ne bougea pas, ne répondit pas. La jeune femme étouffa un sanglot, et, les mains jointes, se rapprocha de lui. Ses regards bleus, navrés, plongeaient au fond des siens. Qu’elle était belle ainsi, suppliante!
–Monsieur, reprit-elle avec véhémence, je viens vous supplier de ne pas vous battre avec M. de Lesrel.
–Ainsi, dit le colonel d’une voix lente, après m’avoir pris ma vie, vous venez me demander mon honneur?
–Un jour, répondit-elle, vous m’avez demandé le mien, et comme je…
Elle s’arrêta et fondit en larmes.
La vue de cette femme tant aimée, qui pleurait chez lui, à cause de lui, bouleversa M. de Lansac; il fit un pas, mais recula aussitôt.
–Monsieur, dit avec énergie Mme de Lesrel, je vous ai blessé, cruellement blessé; vous avez cru… vous croyez…
Elle s’arrêta de nouveau, puis reprit d’une voix saccadée:
–J’ai voulu vous fuir… j’ai… aidez-moi donc, s’écria-t-elle; vous ne devez pas, vous ne pouvez pas vous battre avec M. de Lesrel, je vous aime!
Le colonel bondit, ses traits perdirent de leur rigidité, ses lèvres s’agitèrent. Il se pencha vers la jeune femme, étendit les bras pour la saisir et se rejeta soudain en arrière, tandis que Mme de Lesrel, rougissante, se rapprochait, au contraire, et le regardait comme à cette heure fatale qui lui avait arraché l’aveu de son amour. Elle s’écria:
–Non, je n’ai pas été l’indigne comédienne que vous avez cru, je vous le jure. J’ai déchiré votre cœur; mais c’était avec l’espoir de dégager le mien, je ne voulais pas, je ne veux pas faillir. Si j’ai précipité un dénouement qui se faisait attendre, c’était afin de recouvrer ma liberté perdue. Vos douleurs, vos angoisses, je les connais; je vous aime.
–Taisez-vous, taisez-vous, murmura le colonel avec désespoir.
Elle répéta bravement:
–Je vous aime.
La jeune femme, palpitante, s’attendait à voir M. de Lansac se précipiter vers elle, tomber à ses pieds; elle le vit avec stupeur se reculer, pétrissant de ses doigts crispés le fauteuil sur lequel il s’appuyait.
–Dieu m’est témoin, dit-il d’une voix rauque, que ce matin je voulais mourir, épargner le malheureux.
Sa voix s’éteignit. Frappée d’une idée subite, Mme de Lesrel poussa un cri:
–Je suis folle, dit-elle; mon mari?… Non, non, s’écria-t-elle d’une voix déchirante, pas ce châliment; je me trompe, dites-moi vite que je me trompe.
Elle se dirigea vers la porte. M. de Lansac la regarda s’éloigner sans prononcer un seul mot. La jeune femme s’élança dehors. Elle pénétra dans son hôtel en même temps que le corps de son mari qui, deux heures auparavant, s’était enferré sur l’épée de M. de Lansac pourtant résolu à mourir.
VI
Demeuré seul, M. de Lansac s’assit machinalement sur le fauteuil où Mme de Lesrel avait reposé. L’officier ne voyait qu’un seul dénouement possible à la tragédie dont sa destinée le faisait le héros, le suicide. Il eût mis sur l’heure à exécution ce sinistre projet, si sa vieille foi bretonne ne fût venue le combattre et retenir sa main. Soudain Louis pénétra dans le salon et posa devant son maître un large pli; la guerre avec la Prusse devenait à chaque heure plus probable, et le colonel recevait l’ordre de se rendre à Metz. Se tuer au moment de marcher à l’ennemi, c’eût été une lâcheté, M. de Lansac secoua donc sa torpeur et se mit en route dans la nuit.
Le désarroi dans lequel il trouva le quartier général ne tarda guère à l’épouvanter, et de patriotiques appréhensions vinrent encore oppresser son cœur malade. Il remua ciel et terre pour se faire écouter, et, n’ayant pu réussir à vaincre la folle confiance qui aveuglait tous ceux qui l’entouraient, il demanda un poste rapproché de l’ennemi. Deux mois après son départ de Paris, sous la tente qu’il occupait près de Reischoffen, il vit soudain paraître Mauret. Le jeune aide de camp apportait des ordres de Metz et devait repartir dans la nuit.
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