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Les ailes brûlées. Lucien Biart
Читать онлайн.Название Les ailes brûlées
Год выпуска 0
isbn 4064066323325
Автор произведения Lucien Biart
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il fit un effort et dit d’une voix étranglée:
–Je vous aime.
–Je le sais, répliqua Mme de Lesrel, et votre amitié est un de mes bonheurs.
–Je vous aime d’amour.
Elle recula comme un oiseau effarouché.
–Bon, une plaisanterie, n’est-ce pas? dit-elle d’un air inquiet.
–Une plaisanterie! répéta douloureusement M. de Lansac. Je vous aime, madame, et depuis longtemps; vous le savez!
–Vous vous trompez, monsieur, répondit-elle; je l’apprends à l’instant, parce que vous me le dites. Mais reprenez vos paroles, et je l’oublierai.
Il répéta:
–Je vous aime.
–Quoi! vous aussi, dit la jeune femme, vous que… ? Adieu, monsieur de Lansac, votre indiscrétion me navre, car elle me prive d’un ami. Dans trois mois, dans six…
–Vous me chassez? s’écria le colonel.
–Non; je vous exile. Je ne veux pas entendre une seconde fois ce que vous venez de dire.
La voix de Mme de Lesrel, devenue soudain sèche, brève, frappa M. de Lansac de stupeur. La jeune femme sortit sans se retourner, sans prendre garde au geste suppliant qu’il lui adressa. Il arpenta un instant le salon, fou de rage et de douleur, décidé à saisir la coquette entre ses bras et à l’étouffer, si elle reparaissait.
Vers onze heures du soir, lorsque Louis pénétra dans la chambre de son maître, il le vit le front appuyé sur une console, le visage caché. Le premier mouvement du brave garçon fut de s’élancer vers son frère de lait; mais il avait ses heures de tact: il se retint et sortit sans bruit.
–Tonnerre de femmes! s’écria-t-il aussitôt dehors et en homme qui le sait par expérience, avec elles, ça finit toujours comme ça!
V
M. de Lansac passa la nuit sur son balcon, las, inerte, ressassant malgré lui les mêmes idées. Il vit le gaz s’éteindre, le ciel blanchir, les travailleurs matineux passer sous ses fenêtres. Quelques-uns fredonnaient, et il s’étonna qu’il y eût au monde des hommes assez insouciants pour chanter. Il faisait grand jour lorsqu’il rentra dans sa chambre; le lendemain et le surlendemain il eut la fièvre; puis, l’épuisement amena le sommeil.
A son réveil, ses idées, moins tumultueuses, lui permirent la réflexion; il aimait une coquette, une coquette dont le jeu savant l’avait séduit tout entier.
Surprise probablement de trouver un rebelle à son joug, Mme de Lesrel avait voulu savoir si le fort contre lequel elle venait de se heurter était véritablement imprenable. Il ne l’était pas, et l’épreuve qui le démontrait le laissait démantelé, ouvert à tous les vents du désespoir.
Il aimait sans être aimé! Et pourtant, en rassemblant ses souvenirs, M. de Lansac se prenait à douter. Un éclair de satisfaction brillait certainement dans les yeux de Mme de Lesrel lorsqu’il apparaissait: elle avait pour lui des préférences remarquées. Avait-elle reculé soudain devant une vérité qu’elle n’osait s’avouer? Pourquoi, au lieu de lui imposer doucement silence, de le laisser vivre près d’elle, comme tant d’autres aussi coupables que lui, l’avait-elle durement repoussé, chassé? Que signifiait cette conduite brutale?
Une souffrance amère tortura l’âme de cet homme énergique, trop fier pour prendre un confident. Il ne se proposa pas d’oublier; la blessure était trop profonde pour qu’il pût espérer en guérir. Il venait de perdre une bataille; il se promit une revanche, une vengeance, et ce qu’il voulait, il le voulait bien.
Se venger! Comment? Il eut l’idée de s’attacher aux pas de la jeune femme, d’aller partout où elle irait, de se faire son persécuteur. Elle était orgueilleuse à l’excès de sa réputation, il rêva de la compromettre. Il chercha celui qu’elle préférait parmi ses adorateurs, résolu à le provoquer. Aveuglé par la douleur, il rendit M. de Lesrel responsable de l’humiliation qu’il venait de subir; il eût voulu le savoir aimé pour le tuer, et frapper ainsi plus cruellement la coupable. Il avait tort, il n’était pas seul à souffrir.
Aussitôt après sa terrible scène avec M. de Lansac, Mme de Lesrel, impitoyable en apparence, était rentrée dans sa chambre pour se jeter sur un fauteuil. Le regard fixe, elle demeura longtemps immobile. Soudain elle appela ses femmes, se dépouilla fébrilement de sa parure, puis, sous prétexte de migraine, déclara qu’elle voulait être seule. Elle s’établit alors près de son feu, le front appuyé sur sa main. Parfois, elle se levait d’un bond, marchait, se tordait et revenait s’asseoir en pressant son mouchoir sur sa bouche pour étouffer des sanglots.
Durant cette entrevue où M. de Lansac s’était brûlé les ailes, Mme de Lesrel ne lui avait pas menti. Comme tant d’autres, on l’avait mariée sans qu’elle soupçonnât les conséquences de l’acte qu’elle accomplissait. L’amour, qui couronne parfois ces unions consacrées sans lui, mais qui s’en venge le plus souvent, n’était pas venu pour la jeune femme. Dans l’homme dont elle portait le nom, Mme de Lesrel–elle le disait en riant, et c’était vrai– n’avait jamais pu voir qu’un ami plus familier, par conséquent plus importun que les autres. Avant tout femme de luxe, esprit absorbé par les plaisirs superficiels, elle ignorait la passion, et tenait ingénument pour des exagérations ce qu’elle en entendait raconter ou en voyait.
Dès son entrée dans le monde, sa beauté, sa position, sa fortune, avaient attiré vers la brillante jeune femme les galanteries de tous ceux qui l’approchaient. Coquette par désœuvrement, par éducation, par malice, elle se faisait un jeu de prendre le cœur des braconniers qui lui demandaient le sien. Aucun de ses adorateurs, élevés comme elle dans la richesse et pour la richesse, n’était mort, en somme, des coups qu’il prétendait avoir reçus. La jeune femme malmenait des fats, froissait des amours-propres, et ne voyait là qu’une vengeance légitime. N’avait-elle pas le droit de désespérer un peu les galants qui, avec les formules les plus respectueuses, la suppliaient de leur livrer son honneur?
Il n’était que trop vrai que M. de Lansac, par son insensibilité apparente, avait excité la curiosité de la jolie femme. Etonnée de rencontrer un rebelle au joug qu’elle imposait d’ordinaire sans effort, elle voulut avoir raison de ce récalcitrant, et alla plus loin qu’elle n’avait coutume. La victoire lui était restée, mais non sans dommage pour elle. Le commerce de cet homme droit, sérieux, qui ne jouait avec aucun sentiment, qui ressemblait si peu aux Parisiens blasés dont elle vivait entourée, fit sentir à Mme de Lesrel tout le vide, toute la frivolité de sa vie mondaine. Elle se trouvait en face d’un caractère nouveau, d’un homme énergique, résolu, dont les timidités amoureuses l’intéressaient à un haut degré. Elle l’estima, se plut à le voir s’enthousiasmer, et fut bientôt surprise de se sentir inquiète, préoccupée, lorsque par hasard il ne se montrait pas à son heure accoutumée. Elle se sentait attirée vers lui par une force dont elle ignorait encore la puissance, et, le jour où le colonel avait cru découvrir qu’elle l’aimait, elle venait en effet de se brûler les ailes à la flamme qu’elle avait allumée.
Ce sentiment qu’elle éprouvait pour la première fois, dont elle ne chercha pas à s’expliquer la nature, ravit d’abord Mme de Lesrel. Elle se voyait aimée, sincèrement aimée, cette fois, et la vie lui apparut sous un aspect nouveau. Quoi! l’amour existait réellement? Ces comédies, ces drames, ces romans où il jouait un si grand rôle, n’étaient pas de pures conventions, de simples rêves de l’imagination? Le bandeau qui couvrait les yeux de l’ingénue coquette tomba soudain, elle apprit qu’elle avait une âme. Le trouble qu’elle ressentait en face de M. de Lansac, la joie qu’elle éprouvait de l’entendre vanter, les heures qu’elle passait à songer à lui, autant de sensations étranges,