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Partie carrée. Theophile Gautier
Читать онлайн.Название Partie carrée
Год выпуска 0
isbn 4064066082116
Автор произведения Theophile Gautier
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Le guide poussa un piaulement bizarre,—signe convenu de reconnaissance.
Un grincement de verrous se fit entendre à l'intérieur, et la porte, s'entre-bâillant, laissa tomber subitement dans le noir passage un rouge flot de clarté.
Usant de nos privilèges de romancier, nous pénétrerons avant l'étranger dans ce bouge étrange où il semblait attendu, quoique, à vrai dire, il fût impossible de deviner quelle espèce de relations pouvaient exister entre ce jeune homme à figure noble et pure et les hôtes bizarres de ce taudis.
C'était une chambre assez grande où le principal objet qui saisît d'abord les yeux était une cheminée de forme ancienne, où grésillait dans une grille un feu très vif de charbon de terre, dont les reflets flamboyants illuminaient la pièce; car il fallait compter pour rien ce jour louche et douteux tombant d'une fenêtre dont les carreaux inférieurs étaient soigneusement barbouillés de blanc d'Espagne, et qui s'ouvrait sur un de ces puits sombres qu'on appelle des cours dans les grandes villes; les deux vitres restées claires ne laissaient voir que des auvents et des toits désordonnés de tuiles d'un ton criard, que des tuyaux et des cages de planches noires, toutes les misères intérieures d'une bâtisse ignoble et pauvre.
Les murailles, mises à nu par le frottement des épaules, dans les portions inférieures, conservaient dans le haut quelques traces d'une peinture d'un ton rouge sombre comme du sang vieilli. Sur ce fond, les habitués du lieu avaient, dans leurs moments d'attente ou de loisir, sculpté, avec la pointe d'un clou ou d'un couteau, une foule de dessins et d'arabesques du plus haut caprice, dont les linéaments blancs ressortaient comme les compositions des vases étrusques, et démontraient un art non moins pur, non moins primitif.
Le thème favori de ces artistes inconnus, celui qui se reproduisait le plus fréquemment à travers ces fantaisies ornementales, c'était, il faut l'avouer, un gibet orné de son fruit. Ce choix trahissait-il des préoccupations habituelles, ou ne venait-il que du joli effet produit par les trois montants de la potence anglaise, réunis à leur sommité par des traverses de bois formant triangle, et dont la silhouette pittoresque séduisait les dessinateurs? C'est une question délicate à résoudre.—Ces représentations, quelque grossières qu'elles fussent, se recommandaient par la fidélité et l'exactitude technique. Malgré la barbarie du dessin et les monstrueuses licences anatomiques, les mouvements et les attitudes des petits personnages suspendus offraient cette vérité saisissante que l'art le plus avancé n'atteint pas toujours; les nœuds coulants étaient bien placés, et trahissaient des spectateurs assidus du théâtre de Tiburn.
Ces grotesques esquisses, tracées avec une jovialité terrible, faisaient rire et faisaient trembler. Plusieurs coupes, épures et élévations de la prison de Newgate, alternaient avec cet aimable sujet, et, à défaut de correction architecturale, attestaient une grande connaissance et un vif souvenir des lieux. Des têtes du profil le plus bizarre, tenant des pipes entre leurs dents, y faisaient la grimace à des lions couronnés et autres bêtes apocalyptiques; des vaisseaux, plus fantastiques que ceux de Della-Bella, s'y dandinaient sur des mers impossibles. Tout cela était tracé à grands traits, et sans beaucoup de respect de la figure voisine; des dates, des chiffres et des lettres d'une calligraphie hasardée, compliquaient cet effroyable grimoire, où les seuls mots lisibles étaient: paresse, vice et crime.
L'ornementation de la salle n'avait cependant pas été laissée tout entière à ces fantaisistes de rencontre; un art plus cultivé se faisait sentir dans les pancartes gravées sur bois et coloriées, représentant le chandelier d'or aux sept branches mystiques, la chaste Suzanne et les vieillards, le portrait de George III, le retour de l'Enfant prodigue, les principales poses de la boxe, les exploits de Jack Sheppard et de Jonathan Wild, ces Cid et ces Bernard de Carpio du romancero picaresque, des combats de coqs et des prises de bouledogues célèbres, des courses d'Epsom et de New-Market, etc., etc.
Une atmosphère chaude, étouffante, chargée de miasmes de charbon de terre, de fumée de tabac et de l'âcre parfum du wiskey, flottait dans cette chambre et prouvait, de la part de ceux qui la pouvaient soutenir des nerfs olfactifs bien robustes.
Pourtant, les trois ou quatre individus qui s'y tenaient ne semblaient pas en souffrir. Au contraire, une sensation de grossier bien-être épanouissait leurs faces plombées et communes.
Ils portaient des habits noirs, des gilets de satin et des chapeaux ronds; mais, avant d'arriver à eux, ces habits, partis peut-être du beau Brummel, avaient dû accomplir bien des pèlerinages et subir bien des mésaventures. Ces vêtements délabrés, d'un drap jadis soyeux, d'une coupe dont l'élégance se devinait encore, et qui, dans leur dégradation, gardaient quelque chose du pli que leur avaient fait prendre leurs premiers et fashionables possesseurs, formaient une caricature tristement plaisante, un muet poème satirique plein de raillerie et de dérision.
Un seul d'entre eux ne portait pas ce costume mondainement misérable. Une chemise de laine rouge, une cotte de toile goudronnée, un chapeau de cuir ayant pour jugulaire une ficelle, tel était son habillement, celui d'un simple matelot.
Une expression d'audace relevait ce que ses traits pouvaient avoir de trivial et de dur, et, dans ses yeux d'un bleu clair et froid comme celui des océans polaires, brillait un rayon d'intelligence.
Les autres semblaient, du reste, lui parler avec une sorte de déférence, quoiqu'il fût accoudé à la même table et se versât des rasades du même pot de double bière.
—Eh bien, Saunders, dit l'un des hommes en habit noir au matelot en vareuse rouge, l'heure approche où le gentleman pour qui nous devons travailler va venir.
—Oui, répondit laconiquement Saunders, qui s'occupait, tout en buvant, à pétrir dans le creux de sa main un corps noirâtre pressé entre deux linges.
—Est-ce que vous le connaissez, Saunders, ce gentleman? continua l'interlocuteur.
—Non, répliqua Saunders, décidément ami du style monosyllabique.
—Ah! ajouta, comme pour fermer la conversation, le personnage à l'habit noir, en s'accoudant à la table d'un air méditatif.
Saunders se leva, et, se dirigeant du côté du foyer, présenta à la flamme la substance brune, qu'il étala sur le linge coupé en forme de masque.
—Est-ce que vous avez envie de vous déguiser et d'aller au bal masqué avec la belle Nancy? reprit le parleur obstiné.
—J'ai une démangeaison furieuse, Noll, de te camper cette emplâtre sur le museau et de te clore ainsi le bec, insupportable bavard! répondit Saunders avec un grognement aussi agréable que celui d'un ours blanc agacé sur une banquise par une gaffe de baleinier. Au lieu de me questionner, va plutôt lever la trappe, et appelle, pour savoir si les autres sont arrivés.
Noll se dirigea vers un coin de la pièce, déplaça une malle et quelques paquets, saisi un anneau incrusté dans le plancher, et souleva, avec l'aide de son camarade Bob, une trappe assez lourde.
Lorsque la trappe s'ouvrit, une bouffée d'air froid et chargé de vapeurs d'eau s'engouffra dans la chambre.
Bob, roidissant ses bras, qui, bien que minces et décharnés, ne manquaient pas de vigueur, soutint la trappe à demi entr'ouverte.
S'agenouillant sur le bord de la cavité, Noll plongea sa tête dans le gouffre: le fond en était si obscur, qu'on n'y pouvait rien démêler; cependant la force et la fraîcheur du courant d'air ne permettaient pas de penser que cette trappe fût l'ouverture d'une cave, et, en prêtant une oreille attentive, on eût discerné, dans le lointain, comme un sourd clapotis d'eau.
—Je n'entends rien, dit Noll après quelques minutes d'auscultation; je m'en vais faire le signal.
Et il poussa un cri modulé et guttural qui résonna dans les profondeurs du souterrain, sans obtenir d'autre réponse que celle de l'écho.
—Au