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balançait sa main pour lui donner plus de volée, et Geordie défendait son embonpoint par des croisements de bras plus compliqués que ceux de la Vénus pudique.

      Par bonheur, le claquement de fouet de Little-John et le roulement de la berline vert-olive qui sortait de la cour vint mettre fin à cette situation embarrassante et pathétique. Jack laissa tomber sa main, Geordie se redressa.

      —J'avais dit quinze minutes, exclama Geordie avec l'enivrement de la ponctualité satisfaite.

      —Votre bedaine l'a échappé belle, dit Jack en montant dans la berline et en s'asseyant sans la moindre déférence sur les coussins de drap vert de Lincoln.

      —Où allons-nous, maître? demanda le postillon.

      —Sortons d'abord du village, et je vous dirai ensuite quelle route il faut prendre, répondit Jack, qui ne se souciait sans doute pas de faire savoir à maître Geordie et aux quelques oisifs amassés pour assister au départ de la berline le véritable but de son voyage.

      Quand on fut sorti du village, Little-John, se retournant vers la berline, dit à Jack:

      —Maître, faut-il prendre la route de Londres?

      —Non pas, mon garçon, répondit Jack; vous allez me faire le plaisir de longer la côte jusqu'à ce que je vous dise de vous arrêter.

      Little-John, assez étonné, poussa ses chevaux dans cette direction sans témoigner cependant sa surprise; car maître Jack, quoiqu'il fût facétieux à ses heures, avait, il faut l'avouer, la mine en général rébarbative et peu rassurante.

      —Sans doute, se dit Little-John, il s'agit de l'enlèvement de quelque jeune demoiselle qui, d'un château ou d'un cottage voisin, fera semblant de venir regarder la mer et dessiner les horizons, et qui ne fera qu'un saut de terre dans la voiture. J'aime beaucoup les enlèvements, car les amoureux qui se sentent des parents ou des tuteurs aux trousses payent en général fort bien; pourtant ce gaillard-ci n'a guère les apparences d'un séducteur.

      On suivit pendant quelques milles le rivage, sur lequel la mer déroulant ses volutes uniformes apportait et remportait avec un bruit sourd les galets polis par cette lente usure.

      Non loin d'une falaise blanchâtre, assez escarpée et qui dominait l'Océan, Jack cria: «Arrêtez!» sans qu'il y eût aucune raison apparente de faire halte, car bien loin à la ronde on n'apercevait ni maison, ni ferme, ni manoir, ni chemin tracé.

      Jack descendit de voiture et se dirigea vers la falaise, qu'il gravit avec la légèreté d'un chat, d'un marin ou d'un contrebandier, s'aidant des moindres aspérités, s'accrochant aux touffes de fenouil et de genévrier qui pendaient ça et là comme des barbes au menton raboteux du rocher; il eut bientôt atteint le faîte, suivi par les regards étonnés de Little-John, qui ne se serait jamais imaginé qu'on pût arriver là sans poulie et sans échelle.

      Lorsque Jack atteignit la plate-forme, un individu couché par terre sur le ventre, de manière à ce qu'on ne l'aperçût point d'en bas, et qui tenait une longue-vue dirigée vers la pleine mer, releva un peu la tête et dit:

      —Ah! c'est vous, Jack! La voiture est-elle prête?

      —Oui, et attelée de quatre bons chevaux.

      —C'est bien. Le vaisseau est en vue; je l'ai reconnu à la flamme rouge et jaune qui est le signal arrêté entre nous.

      En effet, on pouvait, même à l'œil nu, discerner à l'horizon, du côté où la Manche s'évase dans l'Océan, une petite voile blanche sur le lapis-lazuli des eaux, semblable à une plume échappée de l'aile d'un cygne.

      —La brise le contrarie un peu dans ce moment-ci; mais, quand il aura vent arrière, il filera sur l'eau comme une mouette, continua l'homme couché, l'œil appliqué à la longue-vue. Avec cela que le vent est sud-ouest, un vent fait exprès comme si on l'avait acheté à une sorcière, enfermé dans une outre.

      S'allongeant à côté de son compagnon, Jack lui prit des mains la lunette et se mit à regarder le vaisseau, qui émergeait des eaux graduellement et dont on pouvait déjà discerner le corps.

      Quand il tomba dans l'aire du vent, des flocons de toile s'abattirent le long des mâts comme de blancs nuages.

      —Ah! le voilà qui brasse plus de toile en une minute que dix tisserands de Spithfield n'en pourraient faire dans leur année, dit Jack.

      Dès que l'impulsion de l'air se fit sentir, le navire pencha un peu sur le côté en inclinant gracieusement sa mâture comme pour son salut; puis il frissonna deux ou trois fois, et, redressé par un coup de barre, il reprit son aplomb, et une double frange d'écume argentée fila rapidement le long de ses flancs noirs.

      —Quel joli navire! s'écria Jack, emporté par son enthousiasme; c'est ça qui doit filer crânement!

      Apparemment que les gens qui montaient le navire ne partageaient pas les idées de Jack sur la vitesse de sa marche, car la voile de perroquet se déplia, et un foc installa son triangle à côté des deux autres focs déjà tendus et gonflés par la brise.

      —Regardez donc, Mackgill, dit Jack en passant la lunette à son compagnon; il paraît qu'ils ne veulent pas perdre un souffle; avec tout ce chanvre dehors, le diable m'emporte s'il ne file pas quinze nœuds à l'heure.

      Poussé par une fraîche brise, le navire avançait si rapidement, qu'au bout de quelques minutes, il n'y avait plus besoin de la lunette pour en discerner les détails.

      —Ah ça! ils sont donc enragés, ou le capitaine a bu un muid de punch, s'écrièrent à la fois Jack et Mackgill, en voyant les bonnettes basses s'allonger avec les boute-hors à côté des voiles, et tremper leur extrémité dans la vague comme des ailes de goëland.

      —S'ils continuent, dit Mackgill, ils vont sortir de l'eau et voler en l'air, ou chavirer la quille en dessus. Oh! le brave brick! il tient bon; pas un mât ne fléchit, pas un cordage ne craque, poursuivit-il avec admiration. Jamais contrebandier ayant à ses trousses un bâtiment de l'État, jamais navire marchand chargé d'or et de cochenille, pourchassé par un corsaire, ne décampa d'un train pareil. On dirait qu'il y va de leur vie; et pourtant je ne vois pas d'autre voile à l'horizon.

      —Le capitaine Peppercul connaît son affaire; et, s'il donne de l'éperon à son navire, c'est qu'il est pressé ou payé grassement; il ne risquerait pas pour rien de se coiffer avec ses toiles et de boire un coup à la grande tasse salée de l'Océan. Il n'aime pas assez l'eau pour cela, dit sentencieusement Jack, et ce n'est pas sans raison qu'on nous a mis ici et qu'on m'a fait acheter une berline à ce damné Geordie.

      —Dieu me pardonne, Jack, s'écria Mackgill, voilà qu'on met les pommes de girouette à tous les mâts.

      —Il n'y a plus maintenant sur la Belle-Jenny de quoi se faire un mouchoir de poche. Toute la toile est employée.

      —Quoique, Dieu merci! je ne craigne pas l'eau, à l'extérieur du moins, je préfère en ce moment avoir mis mes pieds sur ce roc que sur le pont du capitaine Peppercul.

      A ce surcroît de voiles, les mâts se courbèrent comme des arcs; le taille-mer de la proue disparut presque entièrement sous la pression du vent, et une longue fusée d'eau écumeuse jaillit sur le pont comme ces rubans de bois qui s'élancent par le trou d'un rabot vigoureusement poussé.

      —Toute la mâture va tomber sur le bastingage, dit Mackgill intéressé au plus haut point.

      Rien ne bougea, et le navire, emporté comme un tourbillon, arriva tout près de la falaise; et, déshabillé en un clin d'œil de la toile qui le couvrait, il s'arrêta, montrant à nu son gréement fin et délié.

      Un canot se détacha des flancs de la Belle-Jenny, et en quelques coups d'aviron amena à terre un homme qui paraissait en proie à la plus vive impatience.

      —Une demi-heure de retard, murmura-t-il en prenant terre et en regardant sa montre. Où est la voiture?

      Jack,

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