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des autres membres de l'équipage. Cependant, je peux dire qu'au repos ils paraissaient former une bande joyeuse.

      Mon projet était tel: sitôt terminé le déjeuner des hommes, nous lèverions l'ancre; penchés sur le bastingage, Ethelbertha et moi,—moi le cigare au bec,—nous suivrions à l'horizon le subtil effacement des falaises patriales. Prêts à réaliser notre part du programme, nous attendions sur le pont.

      —Ils prennent leur temps, dit-elle.

      —S'ils veulent manger en quinze jours tout ce qui se trouve sur ce yacht, ils mettront du temps à chaque repas. Ne les pressons pas, sinon ils n'arriveraient pas à en finir le quart.

      —Ils se sont peut-être endormis, remarqua plus tard Ethelbertha. Il va bientôt être l'heure du thé.

      Sans contredit, ces gaillards-là étaient placides. Je m'avançai et hélai le capitaine Goyles par l'écoutille. Je le hélai par trois fois. Enfin il monta, lentement. Il me sembla vieilli, plus lourd,—entre ses lèvres un cigare éteint.

      Il retira de la bouche son bout de cigare.

      —Quand vous serez prêt, capitaine Goyles, dis-je, nous partirons.

      —Pas aujourd'hui, monsieur, pas aujourd'hui.

      —Pourquoi pas aujourd'hui?

      Je sais que les marins sont superstitieux; peut-être le lundi était-il jour néfaste...

      —Le jour n'y est pour rien, répondit le capitaine; c'est le vent qui me donne à réfléchir: il n'a pas l'air de vouloir tourner.

      —Mais a-t-il besoin de tourner? demandai-je. Il me semble qu'il souffle juste dans la bonne direction, droit derrière nous.

      —Oui, oui, droit, c'est bien le mot, car nous irions tout droit à la mort; Dieu nous garde de mettre à la voile avec un vent pareil! Voyez-vous, expliqua-t-il, en réponse à mon regard étonné, c'est ce que nous appelons un vent de terre, parce qu'il souffle directement de terre, si l'on peut dire.

      Effectivement, l'homme avait raison, le vent venait de terre.

      —Il tournera peut-être pendant la nuit, dit le capitaine pour me réconforter. Du reste il n'est pas violent, et l'Espiègle tient bien la mer.

      Le capitaine Goyles reprit son cigare et moi je retournai à l'arrière expliquer à Ethelbertha la raison de notre retard. Elle paraissait de moins bonne humeur qu'au moment de notre embarquement et voulut savoir pourquoi nous ne pouvions pas partir avec un vent de terre.

      —S'il ne soufflait pas, de la terre, dit-elle, il soufflerait de la mer, et nous renverrait vers la côte. Il me semble que nous avons juste le vent qu'il nous faut.

      —Tu manques d'expérience, mon amour. Ce vent semble bien le vent qu'il nous faut, mais il ne l'est pas. C'est ce que nous appelons un vent de terre, et le vent de terre est toujours très dangereux.

      Ethelbertha voulut savoir pourquoi un vent de terre était toujours dangereux.

      Ces questions m'impatientaient; peut-être étais-je légèrement irrité. Le tangage uniforme d'un petit yacht ancré déprime même l'esprit le plus ferme.

      —Je ne saurais te l'expliquer, continuai-je (et c'était la vérité), mais ce serait le comble de la témérité de mettre à la voile avec ce vent, et je t'aime trop, chérie, pour t'exposer à de pareils risques.

      Ma phrase me parut élégante; mais Ethelbertha répondit simplement qu'elle regrettait, dans ces conditions, d'être venue à bord avant mardi et elle descendit.

      Le lendemain matin le vent tourna au nord. Je m'étais levé de bonne heure et fis remarquer cette saute au capitaine.

      —Oui, oui, monsieur, déclara-t-il, c'est fâcheux, mais nous n'y pouvons rien.

      —Vous ne pensez pas pouvoir partir aujourd'hui? hasardai-je.

      Il rit, et ne se fâcha pas.

      —Monsieur, si vous aviez l'intention d'aller à Ipswich, je vous dirais: Tout est au mieux. Mais notre destination étant, voyez-vous, la côte hollandaise, eh bien, voilà...

      Je communiquai la nouvelle à Ethelbertha et nous décidâmes de passer la journée à terre. Harwich n'est pas une ville gaie; vers le soir on pourrait dire qu'elle est morne. Nous prîmes du thé et des sandwiches à Dovercourt, et retournâmes sur le quai, pour retrouver le capitaine Goyles et le bateau. Nous attendîmes le premier pendant une heure. Quand il arriva, il était plus gai que nous; s'il ne m'avait pas affirmé qu'il ne buvait jamais qu'un grog chaud avant de se coucher, j'aurais eu lieu de croire qu'il était gris.

      Le lendemain matin le vent venait du sud, ce qui rendit le capitaine plutôt anxieux; il paraît qu'il était tout aussi dangereux de s'en aller que de rester où nous étions; notre seul espoir était que le vent tournât avant qu'un malheur irréparable ne fût arrivé. Entre temps Ethelbertha avait pris le yacht en grippe; elle dit qu'elle aurait préféré passer une semaine dans une cabine de bains, vu qu'une cabine de bains était du moins immobile.

      Nous passâmes un autre jour à Harwich et cette nuit-là, ainsi que la suivante, le vent continuant à être au sud, nous couchâmes à la Tête Couronnée. Le vendredi le vent souffla directement de la mer. Je rencontrai le capitaine sur le quai et lui suggérai que, vu cette circonstance, nous pourrions partir. Il me parut irrité de mon insistance.

      —Si vous étiez un peu plus au courant des choses de la mer, monsieur, vous verriez par vous-même que c'est impossible. Le vent souffle droit de la mer.

      —Capitaine Goyles, pouvez-vous me dire quel est l'objet que j'ai loué? Est-ce un yacht, ou une maison flottante? Je demande par là si on peut mettre l'Espiègle en mouvement, ou s'il est condamné à l'immobilité, auquel cas, vous me le diriez franchement: nous décorerions le pont de caisses garnies de lierre, nous ajouterions quelques plantes fleuries, nous installerions une marquise,—ce serait un lieu fort agréable. Si, au contraire, on pouvait mettre l'objet en mouvement...

      —En mouvement? interrompit le capitaine. Il faudrait pour cela avoir le bon vent.

      —Mais quel est le bon vent?

      Le capitaine Goyles sembla embarrassé. Je continuai:

      —Au courant de la semaine nous avons eu vent du nord, vent du sud, vent de l'est et vent de l'ouest, avec des variations. Je n'attendrais encore que si vous pouviez me désigner une cinquième direction sur la boussole. Sinon, à moins que l'ancre n'ait pris racine, nous la lèverons aujourd'hui même, et nous verrons ce qui arrivera.

      Il comprit que j'étais décidé.

      —Très bien, monsieur, jeta-t-il, vous êtes le maître et moi l'employé. Je n'ai plus qu'un enfant à ma charge, grâce à Dieu, et sans aucun doute vos exécuteurs comprendront leur devoir vis-à-vis de ma vieille. Son ton solennel m'impressionna.

      —Monsieur Goyles, soyez franc. Y a-t-il un espoir quelconque de quitter ce trou maudit par un temps quelconque?

      Le capitaine Goyles me répondit gentiment:

      —Voyez-vous, monsieur, cette côte est très particulière. Une fois loin d'elle tout irait bien, mais s'en détacher sur une coquille de noix comme celle-ci, eh bien, pour être franc, monsieur, ce serait dur.

      Je le quittai avec l'assurance qu'il surveillerait le temps comme une mère veille sur le sommeil de son enfant. Ce fut sa propre comparaison. Je le revis à midi, il surveillait le temps, de la fenêtre du Chaîne et Ancre.

      A cinq heures, ce jour-là, un heureux hasard nous fit rencontrer dans High street deux yachtmen de mes amis. Par suite d'une avarie au gouvernail, ils avaient dû atterrir. Je leur racontai mon histoire. Ils en semblèrent moins surpris qu'amusés. Le capitaine Goyles et les deux hommes surveillaient toujours le temps. Je courus à l'hôtel et mis Ethelbertha au courant. Tous quatre, nous nous faufilâmes jusqu'au quai, où nous trouvâmes notre

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