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tu as une bonne conscience et que tu n'as rien gardé pour toi.» Sur un signe d'Eloi, deux ouvriers apportent un second fauteuil aussi beau, si ce n'est plus beau que le premier. «Voilà, dit Eloi, ce que votre serviteur a pu faire avec l'or et les pierreries qui lui restaient.» Les Francs qui étaient là n'en voulaient pas croire leurs yeux; le roi lui prit la main en disant: «Mon ami, à partir de ce jour tu logeras avec moi. Fais venir à Rueil 3 tes outils et tes serviteurs: j'irai de temps en temps m'amuser à voir comment tu t'y prends pour créer toutes ces merveilles.» En effet, à partir de ce jour, Éloi fut l'ami de Chlother II, de sa femme, de son fils Dagobert et généralement de tout le monde.

       Table des matières

      Comment Dagobert aimait la chasse passionnément.

      Il n'est pas difficile d'imaginer quelle fut la première jeunesse de Dagobert. La vie des grands personnages du septième siècle ne ressemblait pas beaucoup à la nôtre. Ils passaient la moitié de leur journée à la chasse, accompagnés d'une foule de serviteurs qui leur faisaient comme une armée, et le reste du temps devant leur table, sur laquelle fumaient à la fois les grands quartiers de venaison rôtis et les larges vases pleins de cervoise et d'hydromel. Dagobert, de très-bonne heure, prit goût à ces longs repas et à ces robustes exercices. Il n'était encore qu'un jeune enfant qu'il montait à cheval et suivait son père à la poursuite des daims, des élans, des sangliers et des cerfs qui remplissaient nos forêts.

      Avec les années les forces lui vinrent vite et ce fut l'un des plus déterminés chasseurs parmi les Francs. Les plus lointaines retraites de la grande forêt de Cuisy, qu'on appelle aujourd'hui la forêt de Compiègne, retentissaient du matin au soir du bruit qu'il y faisait en chassant. Il avait un bon chien qui se nommait Souillart comme le chien de saint Hubert. Ce chien-là, Dagobert l'estimait grandement parce que c'était l'animal à la fois le plus hardi et le plus sage. Si jamais il y eut bête à laquelle il ne manquât que la parole pour qu'on la pût considérer comme l'égale de l'homme, ce fut bien ce bon chien-là, qui d'avance, le matin, indiquait le temps qu'il allait faire, et par des signes non équivoques disait: «Il fera chaud» ou «Il pleuvra» ou même «il y aura défaut». Pour dire «Il fera chaud,» il tirait la langue longue d'un demi-pied et regardait Dagobert fixement; pour dire: «Il pleuvra,» il se courbait en pliant les jambes et les cachait sous lui; pour dire: «Il y aura défaut,» c'est-à-dire «les chiens perdront la trace du gibier,» il courait dix ou douze fois autour de la chambre en changeant de direction à chaque tour. C'était un ami précieux, d'autant qu'il avait une valeur grande et ne craignait pas le danger.

       Table des matières

      Comment Dagobert se vengea de Sadragésile.

      Sadragésile ne cessait de dire à Chlother que son fils perdait tout son temps à la chasse et qu'il fallait l'empêcher de vivre dans les forêts. Si le gouverneur de Dagobert n'avait eu, en parlant ainsi, que le désir de ramener son élève à l'étude, il ne serait pas trop coupable; mais c'était, de tout point, une fort vilaine et fort méchante personne. Il ne manquait pas d'esprit toutefois, et, né dans un rang peu élevé, il avait su faire vite son chemin. Sadragésile était évêque lorsque le roi lui fit quitter l'Église, ainsi que cela se pratiquait quelquefois en ce temps-là, et lui confia l'éducation de son fils en lui recommandant bien de lui enseigner tout ce qu'il convient que sache un grand prince. Sadragésile, afin d'avoir plus de crédit, s'était fait investir du duché d'Aquitaine. Cette élévation rapide lui avait tourné la tête, et il nourrissait en soi le désir de renverser du trône le roi son maître, ou tout au moins, lorsque l'heure en serait venue, le jeune prince son élève.

      Il cachait bien ses secrètes pensées devant le roi, mais il n'épargnait pas à Dagobert les marques de sa haine; il imaginait chaque jour quelque mauvais traitement, sous le prétexte qu'il fallait humilier sa jeunesse orgueilleuse; il le punissait durement dès qu'il le surprenait en péché de paresse ou d'intempérance. Ce personnage à double face accablait le roi Chlother de flatteries continuelles: il vantait son courage, sa générosité, même sa rudesse, et il finissait toujours ses compliments par un soupir. Le roi lui demandait régulièrement quelle était la raison pour laquelle il soupirait, et il disait que c'était parce qu'il ne voyait que trop visiblement l'inutilité de ses soins pour lui assurer un digne successeur. Chlother II aimait assez ce genre de discours et il donnait à Sadragésile maintes preuves de son affection. C'est ce qui le rendit assez osé pour enfermer Dagobert lorsqu'il faisait de beaux temps de chasse. Sa méchanceté alla même jusqu'à blesser le bon chien Souillart pour que Dagobert fût bien malheureux. Celui-ci supportait son mal sans se plaindre haut, parce que l'amitié que Chlother avait pour le duc d'Aquitaine l'intimidait; mais il sentait qu'il ne pourrait pas toujours contenir sa colère.

      Un jour que Chlother était allé au loin à la chasse et que Dagobert était resté au logis avec son gouverneur, Sadragésile, voyant le roi parti, accabla Dagobert des plus sanglants reproches, l'appelant méchant garçon et détestable écolier; il lui ordonna de s'accuser à haute voix de toutes ses fautes devant quelques domestiques de la maison royale et lui défendit de s'asseoir sur un siége aussi élevé que le sien. Dagobert, à l'âge qu'il avait alors, n'était plus un adolescent; c'était presque un homme; il sentit son sang bouillir dans ses veines, il se rappela ce qu'il avait enduré de mauvais traitements, il ne put cacher entièrement son émotion. Comme il ne quittait pas son siége, Sadragésile voulut le prendre par un bras; Dagobert se lève, prompt comme l'éclair, menaçant comme la foudre, et, marchant vers Sadragésile, se jette sur lui. Sadragésile, pâle de surprise et de rage, fit un faux pas et tomba. Comme il était grand et fort, il se releva, saisit Dagobert et fut sur le point de le renverser. A ce moment, le bon chien Souillart, qui était accouru au bruit de la voix de son maître, entra dans la salle. Il saute à la gorge du gouverneur. Dagobert, profitant de la diversion faite par son chien, se redresse entre les bras de Sadragésile, le maîtrise à son tour, lui lie les mains derrière le dos, et lui coupe les cheveux et la barbe; c'était la plus grande honte qu'il lui pût faire en ce temps-là. Puis il ordonne qu'on le fouette comme un esclave et se retire.

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      Où il est question de Chlother II et de son humeur farouche.

      Chacun était frappé d'épouvante en songeant à ce que Chlother allait dire lorsqu'il serait de retour. On savait que Sadragésile jouissait de toute sa faveur et on avait tout à redouter de sa colère. Chlother II était en effet un roi sans miséricorde. C'est ici le lieu de rappeler deux traits de son histoire. Quelle ne fut pas sa fureur le jour où il apprit que ses lieutenants avaient été battus du côté de la forêt Noire par le farouche Acrol, roi des Boiares ou Bavarois! Jamais tempête ne se leva plus impétueuse. En un instant les jeux sont suspendus dans la métairie royale à Clichy; la corne appelle cavaliers et fantassins; on part; sur toute la route l'armée remuante et bruyante voit ses rangs se grossir: bientôt l'ennemi est atteint, il est vaincu. Ivre de joie, Chlother oublie Dieu qui lui a permis de vaincre; il n'a qu'une pensée, il veut que le bruit de sa vengeance retentisse à jamais dans la postérité. On

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