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Bonaparte:

      —Que dit-on dans Paris et à l'assemblée? demanda le président au représentant.

      —Hé, prince!

      —Eh bien?

      —On parle toujours…

      —De quoi?

      —Du coup d'état.

      —Et l'assemblée, y croit-elle?

      —Un peu, prince.

      —Et vous?

      —Moi, pas du tout.

      Louis Bonaparte prit vivement les deux mains de M. F…, et lui dit avec attendrissement:

      —Je vous remercie, monsieur F…; vous, du moins vous ne me croyez pas un coquin!

      Ceci se passait quinze jours avant le 2 décembre.

      À cette époque, et dans ce moment-là même, de l'aveu du complice Maupas, on préparait Mazas.

      L'argent; c'est là l'autre force de M. Bonaparte.

      Parlons des faits prouvés juridiquement par les procès de Strasbourg et de Boulogne.

      À Strasbourg, le 30 octobre 1836, le colonel Vaudrey, complice de M. Bonaparte, charge les maréchaux des logis du 4e régiment d'artillerie de «partager entre les canonniers de chaque batterie deux pièces d'or».

      Le 5 août 1840, dans le paquebot, nolisé par lui, la Ville d'Edimbourg, en mer, M. Bonaparte appelle autour de lui les soixante pauvres diables, ses domestiques, qu'il avait trompés en leur faisant accroire qu'il allait à Hambourg en excursion de plaisir; il les harangue du haut d'une de ses voitures accrochées sur le pont, leur déclare son projet, leur jette leurs déguisements de soldats, et leur donne à chacun cent francs par tête; puis il les fait boire. Un peu de crapule ne gâte pas les grandes entreprises.—«J'ai vu, a dit devant la cour des pairs le témoin Hobbs[10], garçon de barre, j'ai vu dans la chambre beaucoup d'argent. Les passagers me paraissaient lire des imprimés… Les passagers ont passé toute la nuit à boire et à manger. Je ne faisais rien autre chose que de déboucher des bouteilles et servir à manger.» Après le garçon de barre, voici le capitaine. Le juge d'instruction demande au capitaine Crow:—«Avez-vous vu les passagers boire?»—Crow: «Avec excès; je n'ai jamais vu semblable chose[11].» On débarque, on rencontre le poste de douaniers de Wimereux. M. Louis Bonaparte débute par offrir au lieutenant de douaniers une pension de douze cents francs. Le juge d'instruction:—«N'avez-vous pas offert au commandant du poste une somme d'argent s'il voulait marcher avec vous?—Le prince: «Je la lui ai fait offrir, mais il l'a refusée[12].»

      On arrive à Boulogne. Ses aides de camp—il en avait dès lors—portaient suspendus à leur cou des rouleaux de fer-blanc pleins de pièces d'or. D'autres suivaient avec des sacs de monnaie à la main[13]. On jette de l'argent aux pêcheurs et aux paysans en les invitant à crier: vive l'empereur! «Il suffit de trois cents gueulards», avait dit un des conjurés[14].

      Louis Bonaparte aborde le 42e, caserné à Boulogne. Il dit au voltigeur Georges Koehly: Je suis Napoléon; vous aurez des grades et des décorations. Il dit au voltigeur Antoine Gendre: Je suis le fils de Napoléon; nous allons à l'hôtel du Nord commander un dîner pour moi et pour vous. Il dit au voltigeur Jean Meyer: Vous serez bien payés; il dit au voltigeur Joseph Mény: Vous viendrez à Paris, vous serez bien payés[15].

      Un officier à côté de lui tenait à la main son chapeau plein de pièces de cinq francs qu'il distribuait aux curieux, en disant: Criez: vive l'empereur![16]

      Le grenadier Geoffroy, dans sa déposition, caractérise en ces termes la tentative faite sur sa chambrée par un officier et par un sergent, du complot: «Le sergent portait une bouteille, et l'officier avait le sabre à la main.» Ces deux lignes, c'est tout le 2 décembre.

      Poursuivons.

      «Le lendemain, 17 juin, le commandant Mésonan, que je croyais parti, entre dans mon cabinet, annoncé toujours par mon aide de camp. Je lui dis: Commandant, je vous croyais parti.—Non, mon général, je ne suis pas parti. J'ai une lettre à vous remettre.—Une lettre! et de qui?—Lisez, mon général.

      «Je le fais asseoir; je prends la lettre; mais, au moment de l'ouvrir, je m'aperçus que la suscription portait: À M. le commandant Mésonan. Je lui dis:

      «Mais, mon cher commandant, c'est pour vous, ce n'est pas pour moi.—Lisez, mon général!—J'ouvre la lettre et je lis:

      «—Mon cher commandant, il est de la plus grande nécessité que vous voyiez de suite le général en question; vous savez que c'est un homme d'exécution et sur qui on peut compter. Vous savez aussi que c'est un homme que j'ai noté pour être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100,000 francs de ma part, et vous lui demanderez chez quel banquier ou chez quel notaire il veut que je lui fasse compter 300,000 francs, dans le cas où il perdrait son commandement.»

      «Je m'arrêtai, l'indignation me gagnant; je tournai le feuillet, et je vis que la lettre était signée: Louis-Napoléon…

      …«Je remis cette lettre au commandant, en lui disant que c'était un parti ridicule et perdu.»

      Qui parle ainsi? le général Magnan. Où? en pleine cour des pairs. Devant qui? Quel est l'homme assis sur la sellette, l'homme que Magnan couvre de «ridicule», l'homme vers lequel Magnan tourne sa face «indignée»? Louis Bonaparte.

      L'argent, et avec l'argent l'orgie, ce fut là son moyen d'action dans ses trois entreprises, à Strasbourg, à Boulogne, à Paris. Deux avortements, un succès. Magnan, qui se refusa à Boulogne, se vendit à Paris. Si Louis Bonaparte avait été vaincu le 2 décembre, de même qu'on a trouvé sur lui, à Boulogne, les cinq cent mille francs de Londres, on aurait trouvé à l'Élysée les vingt-cinq millions de la Banque.

      Il y a donc eu en France, il faut en venir à parler froidement de ces choses, en France, dans ce pays de l'épée, dans ce pays des chevaliers, dans ce pays de Hoche, de Drouot et de Bayard, il y a eu un jour où un homme, entouré de cinq ou six grecs politiques, experts en guet-apens et maquignons de coups d'état, accoudé dans un cabinet doré, les pieds sur les chenets, le cigare à la bouche, a tarifé l'honneur militaire, l'a pesé dans un trébuchet comme denrée, comme chose vendable et achetable, a estimé le général un million et le soldat un louis, et a dit de la conscience de l'armée française: cela vaut tant.

      Et cet homme est le neveu de l'empereur.

      Du reste, ce neveu n'est pas superbe; il sait s'accommoder aux nécessités de ses aventures, et il prend facilement et sans révolte le pli quelconque de la destinée. Mettez-le à Londres, et, qu'il ait intérêt à complaire au gouvernement anglais, il n'hésitera point, et, de cette même main qui veut saisir le sceptre de Charlemagne, il empoignera le bâton du policeman. Si je n'étais Napoléon, je voudrais être Vidocq.

      Et maintenant la pensée s'arrête.

      Et voilà par quel homme la France est gouvernée! Que dis-je, gouvernée? possédée souverainement!

      Et chaque jour, et tous les matins, par ses décrets, par ses messages, par ses harangues, par toutes les fatuités inouïes qu'il étale dans le Moniteur, cet émigré, qui ne connaît pas la France, fait la leçon à la France! et ce faquin dit à la France qu'il l'a sauvée! Et de qui? d'elle-même! Avant lui la providence ne faisait que des sottises; le bon Dieu l'a attendu pour tout remettre en ordre; enfin il est venu! Depuis trente-six ans il y avait en France toutes sortes de choses pernicieuses: cette «sonorité», la tribune; ce vacarme, la presse; cette insolence, la pensée; cet abus criant, la liberté; il est venu, lui, et à la place de la tribune il a mis le sénat; à la place de la presse, la censure; à la place de la pensée, l'ineptie; à la place de la liberté, le sabre; et de par le sabre, la censure, l'ineptie et le sénat, la France est sauvée! Sauvée, bravo! et de qui, je le répète? d'elle-même; car, qu'était-ce que la France,

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