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ferme ce tiroir, en prend la clef, et s'en va sans dire un mot. Le ministre salue et se retire charmé de la déférence. Le lendemain matin, le décret est au Moniteur.

      Quelquefois avec la signature du ministre.

      Grâce à cette façon de faire, il a toujours à son service l'inattendu, grande force; et, ne rencontrant en lui-même aucun obstacle intérieur dans ce que les autres hommes appellent conscience, il pousse son dessein, n'importe à travers quoi, nous l'avons dit, n'importe sur quoi, et touche son but.

      Il recule quelquefois, non devant l'effet moral de ses actes, mais devant l'effet matériel. Les décrets d'expulsion de quatrevingt-quatre représentants, publiés le 6 janvier par le Moniteur, révoltèrent le sentiment public. Si bien liée que fût la France, on sentit le tressaillement. On était encore très près du 2 décembre; toute émotion pouvait avoir son danger. Louis Bonaparte le comprit. Le lendemain 10, un second décret d'expulsion devait paraître, contenant huit cents noms. Louis Bonaparte se fit apporter l'épreuve du Moniteur, la liste remplissait quatorze colonnes du journal officiel. Il froissa l'épreuve, la jeta au feu, et le décret ne parut pas. Les proscriptions continuèrent, sans décret.

      Dans ses entreprises il a besoin d'aides et de collaborateurs; il lui faut ce qu'il appelle lui-même «des hommes». Diogène les cherchait tenant une lanterne, lui il les cherche un billet de banque à la main. Il les trouve. De certains côtés de la nature humaine produisent toute une espèce de personnages dont il est le centre naturel et qui se groupent nécessairement autour de lui selon cette mystérieuse loi de gravitation qui ne régit pas moins l'être moral que l'atome cosmique. Pour entreprendre «l'acte du 2 décembre», pour l'exécuter et pour le compléter, il lui fallait de ces hommes; il en eut. Aujourd'hui il en est environné; ces hommes lui font cour et cortège; ils mêlent leur rayonnement au sien. À de certaines époques de l'histoire, il y a des pléiades de grands hommes; à d'autres époques, il y a des pléiades de chenapans.

      Pourtant, ne pas confondre l'époque, la minute de Louis Bonaparte, avec le dix-neuvième siècle; le champignon vénéneux pousse au pied du chêne, mais n'est pas le chêne.

      M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l'argent, l'agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d'un bord à l'autre quand il n'y a à enjamber que de la honte. Il a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une bouchée, de M. de Montalembert un complice, du pouvoir une caverne, du budget sa métairie. On grave à la Monnaie une médaille, dite médaille du 2 décembre, en l'honneur de la manière dont il tient ses serments. La frégate la Constitution a été débaptisée, et s'appelle la frégate l'Élysée. Il peut, quand il voudra, se faire sacrer par M. Sibour et échanger la couchette de l'Élysée contre le lit des Tuileries. En attendant, depuis sept mois, il s'étale; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue; il s'est épanoui dans sa laideur à une loge d'Opéra, il s'est fait appeler prince-président, il a distribué des drapeaux à l'armée et des croix d'honneur aux commissaires de police. Quand il s'est agi de se choisir un symbole, il s'est effacé et a pris l'aigle; modestie d'épervier.

       Table des matières

      POUR FAIRE SUITE AUX PANÉGYRIQUES

      Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c'est que dans toutes les qualités qu'on lui reconnaît depuis le 2 décembre, dans tous les éloges qu'on lui adresse, il n'y a pas un mot qui sorte de ceci: habileté, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clefs bien faites. Tout est là. Quand ces choses sont dites, tout est dit, à part quelques phrases sur la «clémence»; et encore est-ce qu'on n'a pas loué la magnanimité de Mandrin qui, quelquefois, ne prenait pas tout l'argent, et de Jean l'Écorcheur qui, quelquefois, ne tuait pas tous les voyageurs!

      En dotant M. Bonaparte de douze millions, plus quatre millions pour l'entretien des châteaux, le sénat, doté par M. Bonaparte d'un million, félicite M. Bonaparte d'avoir «sauvé la société», à peu près comme un personnage de comédie en félicite un autre d'avoir «sauvé la caisse».

      Quant à moi, j'en suis encore à chercher, dans les glorifications que font de M. Bonaparte ses plus ardents apologistes, une louange qui ne conviendrait pas à Cartouche et à Poulailler après un bon coup; et je rougis quelquefois, pour la langue française et pour le nom de Napoléon, des termes vraiment un peu crus et trop peu gazés et trop appropriés aux faits, dans lesquels la magistrature et le clergé félicitent cet homme pour avoir volé le pouvoir avec effraction de la constitution et s'être nuitamment évadé de son serment.

      Après que toutes les effractions et tous les vols dont se compose le succès de sa politique ont été accomplis, il a repris son vrai nom; chacun alors a reconnu que cet homme était un monseigneur. C'est M. Fortoul[8], disons-le en son honneur, qui s'en est aperçu le premier.

      Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit, et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve si énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On se demande: comment a-t-il fait? On décompose l'aventure et l'aventurier, et, en laissant à part le parti qu'il tire de son nom et certains faits extérieurs dont il s'est aidé dans son escalade, on ne trouve au fond de l'homme et de son procédé que deux choses, la ruse et l'argent.

      La ruse; nous avons caractérisé déjà ce grand côté de Louis Bonaparte, mais il est utile d'y insister.

      Le 27 novembre 1848, il disait à ses concitoyens dans son manifeste:

      «Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux… Élevé dans les pays libres, à l'école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m'imposeront vos suffrages et les volontés de l'assemblée.

       «Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli.»

      Le 31 décembre 1849, dans son premier message à l'assemblée, il écrivait: «Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée.» Le 12 novembre 1850, dans son second message annuel à l'assemblée, il disait: «Si la constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes libres de les faire ressortir aux yeux du pays; moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées.» Le 4 septembre de la même année, à Caen, il disait: «Lorsque partout la prospérité semble renaître, il serait bien coupable, celui qui tenterait d'en arrêter l'essor par le changement de ce qui existe aujourd'hui.» Quelque temps auparavant, le 22 juillet 1849, lors de l'inauguration du chemin de fer de Saint-Quentin, il était allé à Ham, il s'était frappé la poitrine devant les souvenirs de Boulogne, et il avait prononcé ces paroles solennelles:

      «Aujourd'hui qu'élu par la France entière je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d'une captivité qui avait pour cause l'attaque contre un gouvernement régulier.

      «Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l'audace d'avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d'un changement; je ne me plains donc pas d'avoir expié ici, par un emprisonnement de six années, ma témérité contre les lois de ma patrie, et c'est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j'ai souffert, je vous propose un toast en l'honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays.[9]»

      Tout en disant cela, il conservait au fond de son coeur, et il l'a

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