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ne peut s'en réjouir. Quand il insulte un saint, c'est pour sa douceur, ou pour l'innocence de sa charité, ou la pauvreté de sa littérature; ce qu'il appelle, on ne sait pourquoi, «le catinisme de la piété», ce sont les grâces dévouées et souriantes de François de Sales; les prêtres simples, braves gens malfaçonnés par la triste éducation sulpicienne, ce sont «les bestiaux consacrés», «les vendeurs de contremarques célestes», les préposés au «bachot de l'Eucharistie»,—blasphèmes effroyables, puis-qu'ils vont jusqu'à tourner en dérision au moins deux des sept sacrements de l'Eglise! Mais il convient à un prophète de se donner des immunités: il se permet le blasphème, mais seulement par excès de dilection. Ainsi sainte Thérèse blasphéma une fois quand elle accepta la damnation comme rançon de son amour. Les blasphèmes de M. Bloy sont d'ailleurs d'une beauté toute baudelairienne, et il dit lui-même: «Qui sait, après tout, si la forme la plus active de l'adoration n'est pas le blasphème par amour, qui serait la prière de l'abandonné?» Oui, si le contraire de la vérité n'est qu'une des faces de la vérité, ce qui est assez probable.

      Il est fâcheux qu'on ne discute pas davantage les notions théologiques de M. Bloy; elles sont curieuses par leur tendance vaine vers l'absolu. Vaine, car l'absolu, c'est la paix profonde au fond des immensités silencieuses, c'est la pensée contemplative d'elle-même, c'est l'unité. Les efforts magnifiques de M. Bloy ne l'ont pas encore sorti assez souvent du chaos des polémiques contradictoires; mais s'il n'a pas été, aussi souvent qu'il aurait dû, le mystique éperdu et glorieux qui profère les «paroles de Dieu», il l'a peut-être été plus souvent que tout autre; il a été éliséen en certaines pages de la Femme Pauvre.

      Comme écrivain pur et simple,—c'est le seul Bloy accessible au lecteur désintéressé de la crise surnaturelle,—l'auteur du Désespéré a reçu tous les dons; il est même amusant; il y a du rire dans les plus effrénées de ses diatribes: la galerie de portraits qui s'étage en ce roman du LVeau LXe chapitre est le plus extraordinaire recueil des injures les plus sanglantes, les plus boueuses et les plus spirituelles. On voudrait, pour la sécurité de la joie, ignorer que ces masques couvrent des visages; mais quand tous ces visages seront abolis il restera: que la prose française aura eu son Juvénal.

      Il faut que tout le monde meure, y compris M. Bloy; que des générations soient nées sans trouver dans leur berceau des tomes de Chaudesaignes ou de Dulaurier; que notre temps soit devenu de la paisible histoire anecdotique: alors seulement on pourra glorifier sans réserves—et sans crainte d'avoir l'air d'un complice, par exemple de la Causerie sur quelques Charognes—des livres qui sont le miroir d'une âme violente, injuste, orgueilleuse—et peut-être ingénue.

Jean Lorrain

       Table des matières

      C'est, depuis un grand nombre de siècles, le jeu de l'humanité de creuser des fossés pour avoir le plaisir de les franchir; ce jeu devint suprême par l'invention du péché, qui est chrétienne. Qu'il est agréable de lire les vieux casuistes espagnols ou le Confessarius Monialum, oeuvre italienne et cardinalice, si riches en questions singulières, si pleine des délicieuses opinions du tolérant Lamas et du complaisant Caramuel. Charmant Caramuel que tu aurais de bonnes et fructueuses causeries avec Jean Lorrain, rue d'Auteuil, dans le salon où il y a une tête coupée, sanglante et verte! Tu aurais sur les genoux ta Théologie des Réguliers avec à la page contestée ton bonnet carré dont la houppette pendrait comme un signet; et, en face de toi, Lorrain te lirait un des sermons qu'il médita dans son Oratoire.

      Il faut des choses permises et des choses défendues, sans quoi les goûts hésitants et paresseux s'arrêteraient à la première treille, se coucheraient sur le premier gazon venu. C'est peut-être la morale sociale qui a créé le crime et la morale sexuelle qui a créé le plaisir. Qu'un pacha doit être vertueux au milieu de trois cents femmes! J'ai toujours pensé que la destruction de Sodome fut un incendie volontaire, le suicide d'une humanité lasse de voir toujours le désir mûrir implacable dans le fastidieux verger de la volupté.

      De ce fruit éternel, M. Jean Lorrain, au lieu de le manger tout cru, fait des sirops, des gelées, des crèmes, des fondants, mais il mêle à sa pâte je ne sais quel gingembre inconnu, quel safran inédit, quel girofle mystérieux, qui transforme cette amoureuse sucrerie en un élixir ironique et capiteux. Le chef-d'oeuvre d'un tel laboratoire, il me semble bien que c'est le petit volume allégué plus haut: jamais l'art n'alla plus loin dans le dosage méticuleux dû sucre et du piment, de la confiture de rose et du poivre rouge. Autre «drageoir à épices,» plus véritable et moins innocent, il semble sortir de la poche d'un de ces abbés damnés capables de boire le vin de la messe dans le soulier de leur maîtresse; livre vénéneux et souriant, fallacieux bréviaire où chaque vice a sa rubrique et son antiphone et qui tire ses «leçons» du martyrologe de Lesbos!

      Oratoire parfumé à l'ambre gris, des femmes y ferment les yeux sous la voix de l'abbé Blampoix, de l'abbé Octave, du frère Hepicius, du père Reneus; elles ne sont pas bien sages sur leurs chaises; d'aucunes, tout à coup, tombent à genoux; d'autres se renversent, comme de grandes fleurs pleines de larmes; et les doigts se crispent et cherchent on ne sait quoi parmi le froissis des soies et le cliquetis des bracelets. L'abbé de Joie monte en chaire: on écoute, la paume appuyée sur les seins, avec émoi, avec délices, car l'abbé prêche Adonis sous le nom de Jésus et son discours équivoque va changer en amoureuses les fidèles du Christ....

      M. Lorrain a, lui aussi, beaucoup prêché Adonis, car comment retenir les femmes si on ne prêche Adonis? Et, comment les observer, si on les laisse fuir? Sous ce titre insolent, Une Femme par jour, et sous ce titre doux, Ames d'Automne, il a noté la complexité de la physionomie féminine, la naïveté ou l'inconscience de ces petites âmes, leurs détresses, leurs férocités, leur folie ou leur grâce. Toutes les pénitentes de l'Oratoire et quelques autres se sont confessées avec une rare sincérité.

      Il y a bien de la méchanceté en tel ou tel chapitre de ce dernier livre, auquel je reviens toujours avec amour, bien de la cruauté, certaines gaucheries, mais quel charme aussi en cette première fleur, même empoisonnée, de l'esprit de serre chaude, de la plante rare qu'est M. Jean Lorrain!

      Depuis ces temps, il y a dix ans, l'auteur de tant de chroniques a été très prodigue de son parfum originel, mais il n'a pu l'épuiser, et l'arbuste a garde assez de sève pour fleurir avec persévérance: ce sont alors des poèmes, des contes, de petites pages où l'on retrouve, avec plus ou moins de miel, tout le poivre sensuel, toute l'audace parfois un peu sadique du disciple,—du seul disciple de Barbey d'Aurevilly. Né dans l'art, M. Lorrain n'a jamais cessé d'aimer son pays natal et d'y faire de fréquents voyages. S'il est enclin à la maraude, aux excursions vers les mondes du parisianisme louche, de la putréfaction galante, le monde «de l'obole, de la natte et de la cuvette», dont un rhéteur grec (Démétrius de Phalère) signalait déjà les ravages dans la littérature, s'il a, plus que nul autre et avec plus de talent que Dom Reneus, propagé le culte de sainte Muqueuse, s'il a chanté (à mi-voix) ce qu'il appelle modestement «des amours bizarres», ce fut, au moins en un langage qui, étant de bonne race, a souffert en souriant ses familiarités d'oratorien secret; et si tels de ses livres sont comparables à ces femmes d'un blond vif qui ne peuvent lever les bras sans répandre une odeur malsaine à la vertu, il en est d'autres dont les parfums ne sont que ceux de la belle littérature et de l'art pur; son goût de la beauté a triomphé de son goût de la dépravation.

      Il ne faudrait pas, en effet, le prendre pour un écrivain purement sensuel et qui ne s'intéresserait qu'à des cas de psychologie spéciale. C'est un esprit très varié, curieux de tout et capable aussi bien d'un conte pittoresque et de tragiques histoires. Il aime le fantastique, le mystérieux, l'occulte et aussi le terrible. Qu'il évoque le passé ou le Paris d'aujourd'hui, jamais la vision n'est banale; elle est même si singulière qu'on est surpris jusqu'à l'irritation par l'imprévu, quelquefois un peu brusque,

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