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Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand
Читать онлайн.Название Les beaux messieurs de Bois-Doré
Год выпуска 0
isbn 4064066084059
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Lauriane disait naïvement:
—J'ai eu déjà tous les plaisirs et toutes les peines du mariage.
Cependant, quoiqu'il eût une assez belle fortune gouvernée par lui avec prudence, et que sa vie retirée lui permettait désormais d'arrondir, M. de Beuvre ne trouvait pas aisément à nouer pour sa fille de nouveaux projets de mariage.
Il avait embrassé le parti de la Réforme au moment où la Réforme, épuisée d'hommes et d'argent, n'avait plus, dans nos provinces, qu'à se tenir coite et à se faire tolérer.
Autour de lui, tout était catholique ou faisait semblant de l'être; car, en Berry, le calvinisme n'eut qu'un moment de puissance, et une vrai place forte. Mais
L'an mil cinq soixante-deux,
où
Bourges n'avait prestres ne gueux,
était déjà loin, et Sancerre, la fâcheuse montagne, avait désormais ses murailles rasée jusqu'au niveau du sol.
Le caractère berrichon n'est ni persécuteur ni fanatique, et, après un moment de surprise et d'excitation, où les passions de dehors avaient enivré le peuple et la bourgeoisie, on était retombé sous l'empire de la peur des grands, qui est le fond de la politique constante de cette province.
Les grands, de leur côté, avaient, suivant leur coutume invariable, vendu leur soumission. Condé était devenu zélé catholique; M. de Beuvre, qui avait d'abord servi le père et ensuite perdu son propre gendre au service de la cause du fils, était, comme de raison, tout à fait dans sa disgrâce et ne se montrait plus à Bourges. Des jésuites lui avaient été envoyés par le prince, à l'effet de l'engager à abjurer solennellement.
De Beuvre n'était pas exalté en fait de religion. Il avait cédé à des passions politiques en embrassant la foi de Luther, et il sentait bien qu'il s'était trompé quant à sa fortune. Il s'y était pris trop tard pour qu'on eût besoin de l'acheter désormais. On se contentait de chercher à l'intimider, et on lui avait adroitement fait entendre qu'il ne pourrait pas marier sa fille dans le pays, s'il persistait dans l'hérésie. Après avoir fièrement relevé la tête devant les menaces, il s'était senti ébranlé devant la crainte du célibat de Lauriane et de son patrimoine tombant en quenouille.
Mais Lauriane l'avait empêché de céder. Élevée par lui assez tièdement dans la religion protestante, elle y était médiocrement instruite, et mêlait volontiers, dans son cœur, les pratiques et les prières des deux cultes.
Elle ne courait pas au prêche par les longs mauvais chemins d'Issoudun ou de Linières, et, quand elle passait près d'une église catholique, elle ne bondissait pas d'indignation au son de la cloche. Mais elle montrait parfois, à travers sa douceur souriante et enfantine, les germes d'une grande fierté; et quand elle vit son père souffrir à l'humiliante idée de l'abjuration publique, elle vint à son secours avec une énergie surprenante, disant aux jésuites de Bourges:
—Vous n'avez que faire de me vouloir convertir en vue d'un beau mari catholique; car j'ai juré en mon cœur d'être plus volontiers à un vilain mari de ma communion.
V
Il y avait peu de semaines que cette visite avait eu lieu à la Motte-Seuilly, lorsque arriva celle de M. Sciarra d'Alvimar, présenté par Guillaume d'Ars.
Ils furent reçus par le père et la fille, M. de Bois-Doré étant allé courre un lièvre avec le garde de M. de Beuvre.
Ce fut une nouvelle contrariété pour Guillaume, qui se voyait retardé d'heure en heure, et qui commençait à désespérer d'aller à Bourges ce jour-là.
Sciarra d'Alvimar se présenta avec grâce, et dès les premiers mots de sa conversation, de Beuvre, qui s'y connaissait, non pour avoir beaucoup vu Paris, mais pour avoir hanté les petites cours de province, où l'on était tout aussi grand seigneur qu'à celle du roi, reconnut qu'il avait affaire à un homme du meilleur monde.
Quant à d'Alvimar, frappé de la grâce et de la jeunesse de Lauriane, il la prenait pour une fille puînée de M. de Beuvre, et il attendait toujours d'être présenté à la veuve dont M. d'Ars lui avait parlé.
Ce ne fut qu'au bout d'un quart d'heure qu'il comprit que cette belle enfant était la maîtresse de la maison.
On dînait alors à dix heures du matin, et Guillaume, ayant couru dans la prairie à la recherche du marquis, revint prendre congé.
—Le marquis est prévenu, dit-il à Sciarra; il arrive; il m'a juré d'être votre hôte et votre ami jusqu'à mon retour. Donc, je vous laisse en bonne compagnie, et je vais faire de mon mieux pour regagner le temps perdu.
On voulut en vain le retenir à dîner. Il partit après avoir baisé la main de la belle Lauriane, serré celle de son bon voisin M. de Beuvre et embrassé d'Alvimar, en lui jurant de venir, avant la fin de la semaine, le reprendre à Briantes pour le conduire en son château d'Ars et l'y garder le plus longtemps possible.
—Or donc, dit M. de Beuvre à d'Alvimar, offrez votre main à la châtelaine, et mettons-nous à table. Ne soyez pas étonné si nous n'attendons point notre ami Bois-Doré. Il a coutume, quand il a chassé seulement un quart d'heure, de faire une toilette d'une heure, et, pour rien au monde, il ne voudrait se présenter devant une dame,—même devant celle-ci, qui est à ses yeux comme sa fille, car il l'a vu naître,—sans s'être lavé, parfumé, rhabillé de la tête aux pieds. C'est son plaisir, et il n'y a pas grand mal. Nous ne nous gênons point avec lui, et nous le gênerions en retardant notre repas pour l'attendre.
—N'aurais-je pas dû, dit d'Alvimar quand on l'eut fait asseoir au haut bout de la table, aller présenter mes respects à M. de Bois-Doré, dans sa chambre, avant de me mettre à dîner?
—Non! dit Lauriane en riant, vous l'eussiez bien chagriné en le surprenant à sa toilette. Ne nous demandez pas pourquoi; vous le comprendrez de vous-même sitôt que vous l'aurez vu.
—Et, d'ailleurs, ajouta M. de Beuvre, vous ne lui devez de prévenances qu'à cause de votre jeune âge; car en qualité d'hôte fiduciaire, c'est lui qui vous doit toutes les avances. Or, je me charge de vous présenter à lui, M. d'Ars m'ayant confié ce soin-là.
En parlant du jeune âge de d'Alvimar, M. de Beuvre partageait l'erreur qu'il faisait naître à première vue.
Quoiqu'il fût alors près de la quarantaine, il paraissait être au-dessous de la trentaine, et peut-être M. de Beuvre comparait-il intérieurement le beau visage de son hôte temporaire avec celui de sa chère Lauriane. Sa préoccupation constante était de lui trouver, en dehors du pays, un mari qui n'exigerait pas l'abjuration solennelle.
Il ignorait, le bon gentilhomme, que les jésuites régnaient déjà partout, et que le Berry était encore une des provinces les moins travaillées par leur propagande.
Il ignorait aussi que d'Alvimar fût, dans son âme, un parfait chevalier de la sainte dame Inquisition.
Guillaume, qui voulait assurer à son ami un accueil cordial, s'était bien gardé de le peindre comme un orthodoxe trop chatouilleux. Catholique lui-même, mais tolérant et même peu croyant, comme la plupart des jeunes gens du monde, il n'avait soulevé, ni en le présentant au maître du logis, ni en le recommandant à M. de Bois-Doré, la question religieuse, à laquelle ces personnes n'attachaient, pas plus que lui, une importance dominante dans leurs relations. Mais il avait dit à l'écart, et en deux mots, à M. de Beuvre, que M. de Villareal (le nom convenu