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Les beaux messieurs de Bois-Doré. George Sand
Читать онлайн.Название Les beaux messieurs de Bois-Doré
Год выпуска 0
isbn 4064066084059
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Cette patiente déglutition, ces longues pauses entre chaque bouchée, ces récits de l'amphitryon entre chaque plat, sont encore articles de savoir-vivre, chez les vieillards, en Berry. Les paysans de nos jours renchérissent sur ce principe de bonne éducation, et quand on mange avec eux, on peut être bien sûr de rester trois heures durant assis à table, ne fût-ce que devant un morceau de fromage et une bouteille de piquette.
D'Alvimar, dont l'esprit actif et inquiet ne pouvait s'endormir dans les jouissances de la réfection, profita de la majestueuse mastication de M. de Beuvre pour causer avec sa fille, laquelle mangeait vite et peu, s'occupant de son père et de son hôte plus que d'elle-même.
Il fut surpris de trouver tant d'esprit chez une fille de campagne, qui, sauf une ou deux courses à Bourges et à Nevers, n'était jamais sortie des terres de son domaine.
Lauriane n'était pas très-cultivée, et peut-être n'eût-elle pas écrit une longue lettre sans y faire quelque faute de français; mais elle parlait bien, et, à force d'entendre parler son père et ses voisins sur les affaires du temps, elle connaissait et jugeait bien l'histoire, depuis le règne de Louis XII et les premières guerres de religion.
Pourtant, comme elle se faisait la gloire de descendre de Charlotte d'Albret, et que ce souvenir était vénérable et vénéré par elle, elle n'eut point occasion de laisser voir à d'Alvimar qu'elle était hérétique, et, d'ailleurs, la civilité de ce temps-là voulait qu'on ne s'expliquât jamais inutilement sur ses propres croyances, même entre gens de la même communion, car les nuances étaient nombreuses et la controverse était partout.
En outre de ce tact délicat et ce grand bon sens qu'elle possédait, elle avait dans l'esprit un tour de franchise et de malice, amalgame tout berrichon, qui fait de l'alliance de deux contraires une manière de voir et de dire assez originale.
Elle était du pays où l'on dit la vérité en riant, et où chacun sait qu'il est compris sans avoir besoin de se fâcher.
D'Alvimar, qui était plus despote que goguenard et plus vindicatif que sincère, se sentit un peu intimidé devant cette jeune fille, et cela, sans trop pouvoir se rendre compte du pourquoi.
Il lui semblait parfois qu'elle devinât son caractère, sa vie ou sa récente aventure, et qu'elle eût l'air de lui dire:
«Après tout, nous n'en sommes pas moins de bonnes gens, prêts à vous obliger.»
Enfin, il fut question de servir le rôt, et, au milieu d'un grand bruit de portes et de cliquetis d'assiettes, M. de Bois-Doré parut, précédé d'un petit serviteur richement équipé, qu'il traitait tout bas de page, comme pour justifier ce vers, qui n'avait pas encore accusé le ridicule de ses pareils:
Tout marquis veut avoir des pages,
et contrairement aux ordonnances, qui ne permettaient plus les pages qu'aux princes et grands seigneurs de haut vol.
Malgré sa mélancolie habituelle et son malaise présent, d'Alvimar eut peine à s'empêcher de rire à l'apparition de son hôte fiduciaire.
M. Sylvain de Bois-Doré avait été un des beaux hommes de son temps. Grand, bien fait, noir de cheveux avec la peau blanche, des yeux magnifiques, de beaux traits, robuste et léger de son corps, il avait plu à beaucoup de dames, mais sans inspirer jamais de passion durable ou violente. C'était la faute de sa propre légèreté et de l'économie qu'il faisait de ses propres émotions.
Une bonté sans limites, une loyauté très-grande eu égard à son temps et à son milieu, une prodigalité princière dans les chances fortuites de la richesse, une parfaite philosophie aux heures de la débine (c'était son mot), toutes les qualités aimables et faciles des aventuriers champions du Béarnais, ne suffisaient pas pour faire un héros passionné, comme on les aimait du temps de sa jeunesse.
C'était une époque exaltée et sanguinaire où la galanterie avait besoin d'un peu de férocité pour s'élever à l'attachement romanesque, et Bois-Doré, hors du combat, où il se portait vaillamment, était d'une mansuétude révoltante. Il n'avait assassiné aucun mari, aucun frère; il n'avait égorgé aucun rival dans les bras de ses maîtresses infidèles; Javotte ou Nanette le consolaient aisément des trahisons de Diane ou de Blanche. Il passait donc alors, malgré son goût pour les romans de pastorale et de chevalerie, pour un petit esprit et un cœur tiède.
Il avait pris d'autant mieux son parti d'être joué et berné par les dames, qu'il ne s'en était jamais aperçu. Il se savait beau, libéral et brave; ses aventures étaient courtes mais nombreuses; son cœur avait besoin de plus d'amitié que d'emportement, et, par sa discrétion et sa douceur de mœurs, il avait mérité de rester l'ami de tout le monde. Il s'était donc trouvé heureux sans se tracasser pour être adoré, et, franchement, il avait aimé un peu toutes les belles sans en adorer aucune.
On l'eût bien accusé d'égoïsme si le reproche eût été facile à concilier avec celui qu'on lui faisait d'être trop bon et trop humain. Il était bien un peu la caricature du bon Henri, que plusieurs traitaient d'ingrat et de traître, et que tous aimaient quand même, après l'avoir fréquenté.
Mais le temps avait marché, et c'était encore là une chose dont messire de Bois-Doré n'avait pas daigné s'apercevoir. Son corps souple s'était durci et roidi, sa belle jambe s'était séchée, son noble front s'était dégarni, son grand œil s'était entouré de rides comme le soleil de rayons, et, de toute sa jeunesse envolée, il n'avait conservé que des dents, un peu longues, mais encore blanches et bien rangées, avec lesquelles il affectait de casser des noisettes au dessert, pour que l'on y fit attention. On disait même, chez ses voisins, qu'il était fort contrarié si l'on oubliait d'en mettre pour lui sur la table.
Quand nous disons que M. de Bois-Doré ne s'était pas aperçu des outrages du temps, c'est une façon d'exprimer le contentement qu'il avait encore de lui-même; car il est certain qu'il se vit vieillir et qu'il combattait l'effet des ans avec une vaillante obstination. Je crois que la plus grande énergie dont il se sentit capable fut employée à cette bataille.
Lorsqu'il vit ses cheveux blanchir et s'en aller, il fit exprès le voyage de Paris pour se commander une perruque chez le meilleur faiseur. Déjà la perruquerie devenait un art; mais les chercheurs de détails nous ont appris que, pour avoir des raies de tête en soie blanche avec cheveux implantés un par un, il fallait dépenser au moins soixante pistoles.
M. de Bois-Doré ne s'arrêta pas devant cette bagatelle, lui qui était riche désormais et qui mettait fort bien douze à quinze cents francs de notre monnaie à un habillement de demi-toilette, cinq à six mille à un habit de gala. Il courut essayer des perruques: d'abord il s'éprit d'une blonde crinière qui lui allait merveilleusement bien au dire du perruquier.
Bois-Doré, qui ne s'était jamais vu blond, commençait à le croire, lorsqu'il en essaya une châtain qui, toujours au dire du vendeur, lui allait tout aussi bien. Les deux étaient du même prix; mais Bois-Doré en essaya une troisième qui coûtait dix écus de plus et qui jeta le marchand dans l'enthousiasme: celle-là était véritablement la seule qui fit ressortir les avantages de M. le marquis.
Bois-Doré se souvint du temps où les dames disaient qu'il était rare de voir une chevelure aussi noire que la sienne avec une peau aussi blanche.
—Ce perruquier doit avoir raison, pensa-t-il.
Et, pourtant, il s'étonna quelques instants devant la glace, de voir que cette crinière sombre lui donnait l'air dur et violent.
—C'est surprenant, se dit-il, comme cela me change! Cependant, c'est ma couleur naturelle. J'avais, dans ma jeunesse, l'air aussi doux que je l'ai encore. Mes épais cheveux noirs ne me donnaient pas cette mine de mauvais garçon.
Il ne lui vint pas à l'idée que tout est en parfaite harmonie dans les opérations de la nature, soit qu'elle nous