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Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф
Читать онлайн.Название Les mystères d'Udolphe
Год выпуска 0
isbn 4064066080297
Автор произведения Анна Радклиф
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Pendant ce temps, Saint-Aubert et Emilie s'étaient rapprochés de la chaumière et se reposaient sur un banc champêtre appuyé entre deux pins et couronné de leur feuillage; ils avaient observé Valancourt et attendaient qu'il les rejoignît.
L'aîné des deux enfants avait quitté son jeu pour regarder les voyageurs; mais le petit continuait ses gambades et tourmentait son frère pour qu'il revînt l'aider. Saint-Aubert examinait avec plaisir cette simplicité enfantine, quand tout à coup ce spectacle lui rappelant les enfants qu'il avait perdus à cet âge, et surtout leur mère bien-aimée, il retomba dans la rêverie. Emilie, qui s'en aperçut, commença un de ces airs touchants qu'il aimait de préférence et qu'elle savait chanter avec le plus de grâce et d'expression. Saint-Aubert lui sourit au travers de ses larmes; il prit sa main, la serra tendrement, et tâcha de bannir ses mélancoliques réflexions.
Elle chantait encore, lorsque Valancourt revint; il ne voulut pas l'interrompre et s'arrêta pour écouter. Quand elle eut fini, il approcha et raconta qu'il avait trouvé Michel et même un chemin pour gravir le rocher. Saint-Aubert à ces mots en mesura l'étonnante hauteur; il était déjà accablé, et la montée lui semblait formidable. Ce parti néanmoins lui paraissait préférable à une route longue et toute rompue; il se résolut de l'essayer, mais Emilie, toujours soigneuse, lui proposa de dîner d'abord pour rétablir un peu ses forces, et Valancourt retourna à la voiture pour y chercher des provisions.
A son retour, il proposa de se placer un peu plus haut, parce que la vue y serait plus étendue et plus belle. Ils allaient s'y rendre, quand ils virent une jeune femme s'approcher des enfants, les caresser, et pleurer amèrement sur eux.
Les voyageurs, intéressés à son malheur, s'arrêtèrent pour mieux l'observer. Elle prit dans ses bras le plus jeune des enfants, et découvrant des étrangers, elle sécha ses larmes à la hâte et se rapprocha de la chaumière. Saint-Aubert lui demanda ce qui pouvait tant l'affliger. Il apprit que son époux était un pauvre berger qui tous les ans passait l'été dans cette cabane pour y conduire un troupeau sur les montagnes. La nuit précédente, il avait tout perdu; une troupe de bohémiens, qui depuis quelque temps désolaient le voisinage, avait enlevé toutes les brebis de son maître. Jacques, ajoutait la femme, avait amassé un peu d'argent, et il en avait acheté quelques brebis pour nous, mais aujourd'hui, il faut bien qu'elles remplacent le troupeau qu'on a pris à son maître; et ce qu'il y a de pis, c'est que le maître, quand il saura cela, ne voudra plus nous confier ses moutons; c'est un homme dur; et alors que deviendront nos enfants?
L'attitude de cette femme, la simplicité de son récit et sa douleur sincère, portèrent Saint-Aubert à croire sa triste histoire. Valancourt, convaincu qu'elle était vraie, demanda sur-le-champ de quel prix était le troupeau; quand il le sut, il fut tout déconcerté. Saint-Aubert donna quelque argent à la femme; Emilie contribua de sa petite bourse, et ils marchèrent à l'endroit convenu. Valancourt restait derrière; il parlait à la femme du berger, dont les larmes coulaient alors et de reconnaissance et de surprise; il lui demandait combien il lui manquait encore d'argent pour rétablir le troupeau dérobé. Il trouva que cette somme était à peu près la totalité de ce qu'il portait avec lui. Il était incertain et affligé; cette somme, se disait-il, suffirait au bonheur de cette pauvre famille; il est en mon pouvoir de la donner, de les rendre complétement heureux; mais comment ferai-je, moi? comment regagnerai-je ma demeure, avec le peu qui me restera? Il hésita quelques moments; il trouvait une volupté singulière à sauver une famille de sa ruine. Il sentait la difficulté de poursuivre sa route avec le peu d'argent qu'il garderait.
Il était dans cette perplexité, quand le berger lui-même parut. Ses enfants furent à sa rencontre; il en prit un entre ses bras, et l'autre, s'attachant à sa ceinture, il s'avança avec lenteur. Son air abattu, désolé, décida Valancourt; il jeta tout l'argent qu'il avait, sauf quelques pistoles, et courut après Saint-Aubert, qui, soutenu d'Emilie, s'acheminait vers la hauteur. Valancourt ne s'était jamais senti l'esprit si léger; son cœur tressaillait de joie, et tous les objets autour de lui semblaient plus beaux et plus intéressants. Saint-Aubert observa ses transports.—Qu'avez-vous, lui dit-il, qui vous enchante ainsi?—Oh! la belle journée, s'écriait Valancourt, comme le soleil brille, comme l'air est pur, quel site enchanteur!—Il est charmant, dit Saint-Aubert, dont l'heureuse expérience expliquait aisément l'émotion de Valancourt; quel dommage que tant de riches qui pourraient se procurer à volonté un soleil brillant laissent flétrir leurs jours dans les brouillards de l'égoïsme! Pour vous, mon jeune ami, puisse toujours le soleil vous paraître aussi beau qu'aujourd'hui; puissiez-vous, dans votre active bienveillance, réunir toujours la bonté et la sagesse.
Valancourt, honoré d'un tel compliment, ne put répondre que par un sourire, et ce fut celui de la reconnaissance.
Ils continuèrent de traverser le bois entre les fertiles gorges des montagnes. A peine arrivés dans l'endroit où ils voulaient se rendre, tous à la fois firent une exclamation; derrière eux, le roc perpendiculaire s'élevait à une hauteur prodigieuse et se séparait alors en deux flèches pareillement élevées. Leurs teintes grises contrastaient avec l'émail des fleurs qui s'épanouissaient entre leurs fentes; les ravins sur lesquels l'œil glissait rapidement pour se porter à la vallée, étaient eux-mêmes parsemés d'arbrisseaux; plus bas encore, un tapis vert indiquait des forêts de châtaigniers au milieu desquels on apercevait la chaumière du pauvre pâtre. De tous côtés les Pyrénées découvraient leurs sommets majestueux; les uns chargés d'immenses blocs de marbre, changeaient de nuance et d'aspect en même temps que le soleil; d'autres, encore plus élevés, ne montraient que leurs pointes couvertes de neige et leurs bases colossales, uniformément tapissées, se couvraient jusqu'au vallon de pins, de mélèses et de chênes verts. Ce vallon, quoique étroit, était celui qui conduisait au Roussillon; la fraîcheur de ses pâturages, la richesse de sa culture, contrastaient étonnamment avec la grandeur des masses dont il était environné. Entre les chaînes prolongées, on découvrait le bas Roussillon, et l'éloignement excessif confondant toutes les nuances, semblait unir la côte aux vagues blanches de la Méditerranée. Un promontoire surmonté d'un phare indiquait seul la séparation et le rivage; les oiseaux de mer voltigeaient autour. Plus loin, pourtant, on discernait quelques voiles blanches; le soleil en augmentait l'éclat, et leur distance du phare en faisait juger la vitesse; mais il y en avait de si éloignées, qu'elles servaient seulement à séparer le ciel de la mer.
De l'autre côté de la vallée, précisément en face des voyageurs, était un passage dans les rochers, qui conduisait à la Gascogne. Ici, nul vestige de culture; les rocs de granit s'élevaient spontanément de leurs bases et perçaient les cieux de leurs pointes stériles: ici, ni forêts, ni chasseurs, ni cabanes; quelquefois pourtant, un mélèse gigantesque jetait son ombre immense sur un précipice sans fond, et quelquefois une croix sur un rocher apprenait au voyageur l'affreux destin de quelque imprudent. Le lieu semblait destiné à devenir un refuge de bandits; Emilie à tout moment s'attendait à les voir débusquer; bientôt après, un objet non moins terrible la frappa. Un gibet, placé à l'entrée du passage et précisément au-dessus d'une des croix, expliquait assez clairement quelque événement vraiment tragique. Elle évita d'en parler à Saint-Aubert, mais cette vue la rendit inquiète; elle eût voulu presser le repas pour arriver avec certitude avant le coucher du soleil. Mais Saint-Aubert avait besoin