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illuminés par places; le reste du vallon se perdait au sein d'un brouillard, dont le clair de lune même ne servait qu'à épaissir la teinte. Les voyageurs furent quelque temps à contempler ce bel effet.

      De pareilles scènes, dit Valancourt, charment le cœur comme les accords d'une musique douce; quiconque a savouré une fois la mélancolie qu'elles inspirent, ne voudrait pas en changer l'impression contre celle des plus vifs plaisirs. Elles réveillent nos plus purs sentiments: elles disposent à la bienveillance, à la pitié, à l'amitié. «Ceux que j'aime, il m'a toujours paru les aimer mieux à cette heure-ci.» Sa voix trembla, et il fit une pause.

      Saint-Aubert ne disait rien. Emilie vit tomber une larme sur la main qu'elle pressait dans les siennes.—Elle devina bien sa pensée; la sienne aussi s'était reportée aux touchants souvenirs de sa mère. Mais Saint-Aubert la ranimant: Oh! oui, dit-il en retenant un soupir, la mémoire de ceux que nous aimons, d'un temps écoulé pour toujours, c'est à ce moment qu'elle repose sur nos âmes! C'est comme une harmonie lointaine au milieu du silence des nuits, comme les teintes adoucies de ce paysage. Puis après un moment Saint-Aubert ajouta: J'ai toujours cru mes idées plus nettes à cette heure-ci qu'à toute autre, et le cœur qui n'en reconnaît pas l'influence, est certainement un cœur dénaturé. Il y a beaucoup de gens...

      Valancourt soupira.

      —S'en trouve-t-il donc beaucoup? dit Emilie.

      —Dans quelques années peut-être, mon Emilie, dit Saint-Aubert, vous sourirez en vous rappelant cette question, si toutefois ce souvenir ne vous arrache pas des pleurs. Mais venez, je suis un peu mieux. Avançons.

      Ils sortirent du bois, et virent enfin sur un plateau que formaient les roches, le couvent même qu'ils avaient tant cherché. Une haute muraille qui l'environnait les conduisit jusqu'à une porte antique; ils frappèrent aussitôt, et le pauvre moine qui leur ouvrit les conduisit dans une salle voisine, où il les pria d'attendre que le supérieur fût averti. Dans l'intervalle, plusieurs frères vinrent les regarder; le premier moine reparut, et les conduisit au supérieur. Il était dans une chaise à bras; un gros volume était devant lui, soutenu d'un large pupitre. Il reçut les voyageurs poliment, quoique sans se lever, leur fit peu de questions, et consentit à leur demande. Après un entretien fort court et les compliments du supérieur, on les mena dans la pièce où le souper devait être servi, et Valancourt, qu'un des frères voulut accompagner, fut retrouver Michel, la voiture et les mules. Ils avaient à peine descendu la moitié du chemin que la voix du muletier fit retentir tous les échos; il appelait Saint-Aubert, il appelait Valancourt. Convaincu, non sans peine, que ni lui ni son maître n'avaient plus rien à redouter, il se laissa conduire dans une cabane au bord des bois. Valancourt revint à la hâte partager le souper de ses amis, tel que les moines avaient pu le disposer. Saint-Aubert était trop souffrant pour manger. Emilie, inquiète pour son père, ne savait pas songer à elle, et Valancourt, muet et pensif, mais toujours occupé d'eux, ne paraissait penser qu'à soulager et fortifier Saint-Aubert.

[Illustration]

      Les voyageurs.

      Ils se séparèrent de bonne heure et se retirèrent à leurs appartements. Emilie coucha dans un cabinet à côté de la chambre de son père: triste, pensive, occupée de l'état de langueur où elle voyait Saint-Aubert, elle se coucha sans espoir de dormir.

      Deux heures après une cloche se fit entendre, et des pas précipités parcoururent les corridors. Peu faite aux usages des cloîtres, Emilie fut alarmée; ses craintes toujours vivantes pour son père, lui firent supposer qu'il était plus mal; elle se leva à la hâte pour voler à lui, mais s'étant arrêtée un moment à la porte pour laisser passer les religieux, elle eut le temps de se remettre, de rappeler ses idées, et de comprendre que la cloche avait sonné matines. Cette cloche ne sonnait plus, tout était paisible, elle n'alla pas plus loin; mais hors d'état de se rendormir, et invitée d'ailleurs par l'éclat d'une lune brillante, elle ouvrit sa fenêtre et considéra le pays.

      La nuit était calme et belle, le firmament était sans nuage, et le zéphyr à peine agitait les arbres de la vallée. Elle était attentive, lorsque l'hymne nocturne des religieux s'éleva doucement de la chapelle. Cette chapelle était plus basse, et le chant sacré semblait monter au ciel à travers le silence des nuits. Les pensées se suivirent; de l'admiration des ouvrages, son âme se porta à l'adoration de leur auteur tout-puissant et bon. Pénétrée d'une dévotion pure et sans mélange d'aucun système, son âme s'élevait au-dessus de notre univers; ses yeux versaient des pleurs; elle adorait sa puissance dans ses œuvres, et sa bonté dans ses bienfaits.

      Le chant des moines fit de nouveau place au silence; mais Emilie ne quitta sa fenêtre que lorsque la lune s'étant couchée, l'obscurité sembla l'inviter au sommeil.

       Table des matières

      Saint-Aubert se trouva le lendemain assez bien rétabli pour continuer le voyage; il espérait arriver ce jour même en Roussillon, et il se mit en route dès le matin. Le théâtre que parcouraient alors les voyageurs était aussi sauvage, aussi pittoresque que les précédents; seulement de temps à autre, les scènes moins sévères déployaient une beauté plus riante.

      Quand Saint-Aubert paraissait occupé des plantes, il contemplait avec transport Emilie et Valancourt qui se promenaient ensemble; l'un avec la contenance et l'émotion du plaisir, indiquait un grand trait dans la scène qui s'offrait à eux; l'autre écoutait et regardait avec une expression de sensibilité sérieuse qui indiquait l'élévation de son esprit. Ils avaient l'air de deux amants qui n'avaient jamais quitté leurs montagnes, que leur situation avait préservés de la contagion des frivolités, dont les idées, simples et grandes comme le paysage qu'ils parcouraient, ne concevaient le bonheur que dans la tendre union des cœurs purs. Saint-Aubert souriait et soupirait en même temps, en songeant au bonheur romanesque dont son imagination lui présentait le tableau; il soupirait encore en songeant combien la nature et la simplicité étaient donc étrangères au monde, puisque leurs doux plaisirs paraissaient un roman.

      Le monde, disait-il en suivant sa pensée, le monde ridiculise une passion qu'il connaît à peine; ses mouvements, ses intérêts distrayent l'esprit, dépravent les goûts, corrompent le cœur; et l'amour ne peut exister dans un cœur quand il n'a plus la douce dignité de l'innocence. La vertu et le goût sont presque la même chose; la vertu, c'est le goût mis en action, et les plus délicates affections de deux cœurs forment ensemble le véritable amour. Comment pourrait-on chercher l'amour au sein des grandes villes? la frivolité, l'intérêt, la dissipation, la fausseté y remplacent continuellement la simplicité, la tendresse et la franchise.

      Il était près de midi, quand les voyageurs arrivèrent à un chemin si dangereux qu'il leur fallut descendre de la voiture; la route était bordée de bois, et, plutôt que de la suivre, ils se détournèrent pour chercher l'ombre. Une fraîcheur humide était répandue dans l'air; la brillante verdure du gazon, l'heureux mélange des fleurs, des baumes, des thyms, des lavandes qui l'enrichissaient, la hauteur des pins, des hêtres, des châtaigniers qui protégeaient leur existence, tout concourait à faire de ce lieu une retraite vraiment délicieuse. Quelquefois le feuillage, plus serré, interdisait la vue du paysage; ailleurs, quelques échappées mystérieuses indiquaient à l'imagination des tableaux plus charmants qu'elle n'en avait encore observés, et les voyageurs se livraient volontiers à ces jouissances presque idéales.

      Les pauses et le silence qui avaient déjà interrompu les entretiens de Valancourt et d'Emilie furent ce jour-là bien plus fréquents. Valancourt, de la plus expressive vivacité, tombait dans un accès de langueur, et la mélancolie se peignait sans dessein jusque dans son sourire. Emilie ne pouvait plus s'y méprendre: son propre cœur partageait le même sentiment.

      Quand Saint-Aubert fut rafraîchi, ils continuèrent de marcher dans le bois, croyant toujours côtoyer la route; mais ils s'aperçurent enfin qu'ils l'avaient tout à fait perdue.

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