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Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2. Constantin-François Volney
Читать онлайн.Название Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Constantin-François Volney
Жанр Книги о Путешествиях
Издательство Public Domain
Le pays des Druzes offre peu de lieux intéressants. Le plus remarquable est Dair-el Qamar ou Maison de la Lune, qui est la capitale et la résidence des émirs. Ce n’est point une cité, mais simplement un gros bourg mal bâti et fort sale. Il est assis sur le revers d’une montagne, au pied de laquelle coule une des branches de l’ancien fleuve Tamyras, aujourd’hui ruisseau de Dâmour. Sa population est formée de Grecs catholiques et schismatiques, de Maronites et de Druzes, au nombre de quinze à dix-huit cents ames. Le séraï ou palais du prince, n’est qu’une grande et mauvaise maison qui menace ruine.
Je citerai encore Zahlé, village au pied des montagnes, sur la vallée de Beqâà: depuis vingt ans ce lieu est devenu le centre des relations de Balbek, de Damas et de Baîrout, avec l’intérieur des montagnes. L’on prétend même qu’il s’y fabrique de la fausse monnaie; mais les ouvriers qui contrefont les piastres turkes, n’ont pu imiter la gravure plus fine des dahlers d’Allemagne.
J’oubliais d’observer que le pays des Druzes est divisé en qàtas ou sections, qui ont chacune un caractère principal qui les distingue. Le Matné qui est au nord, est le plus rocailleux et le plus riche en fer. Le Garb qui vient ensuite, a les plus beaux sapins. Le Sâhel, ou pays plat, qui est la lisière maritime, est riche en mûriers, et en vignes. Le Choûf, où se trouve Dair-el-Qamar, est le plus rempli d’oqqâls, et produit les plus belles soies. Le Tefâh, ou district des pommes, qui est au midi, abonde en ce genre de fruits. Le Chaqîf a les meilleurs tabacs; enfin l’on donne le nom de Djourd à toute la région la plus élevée et la plus froide des montagnes: c’est là que les pasteurs retirent dans l’été leurs troupeaux.
J’ai dit que les Druzes avaient accueilli chez eux des chrétiens grecs et maronites, et leur avaient concédé des terrains pour y bâtir des couvents. Les Grecs catholiques, usant de cette permission, en ont fondé douze depuis 70 ans. Le chef-lieu est Mar-hanna: ce monastère est situé en face du village de Chouair, sur une pente escarpée, au pied de laquelle coule en hiver un torrent qui va au Nahr-el-Kelb. La maison, bâtie au milieu de rochers et de blocs écroulés, n’est rien moins que magnifique. C’est un dortoir à deux rangs de petites cellules, sur lesquelles règne une terrasse solidement voûtée: l’on y compte 40 religieux. Son principal mérite est une imprimerie arabe, la seule qui ait réussi dans l’empire turk. Il y a environ 50 ans qu’elle est établie: le lecteur ne trouvera peut-être pas mauvais d’en apprendre en peu de mots l’histoire.
Dans les premières années de ce siècle, les jésuites, profitant de la considération que leur donnait la protection de la France, déployaient dans leur maison d’Alep le zèle d’instruction qu’ils ont porté partout. Ils avaient fondé dans cette ville une école où ils s’efforçaient d’élever les enfants des chrétiens dans la connaissance de la religion romaine, et dans la discussion des hérésies: ce dernier article est toujours le point capital des missionnaires; il en résulte une manie de controverse qui met sans cesse aux prises les partisans des différents rites de l’Orient. Les Latins d’Alep, excités par les jésuites, ne tardèrent pas de recommencer, comme autrefois, à argumenter contre les Grecs; mais comme la logique exige une connaissance méthodique de la langue, et que les chrétiens, exclus des écoles musulmanes, ne savaient que l’arabe vulgaire, ils ne pouvaient satisfaire par écrit leur goût de controverse. Pour y parvenir, les Latins résolurent de s’initier dans le scientifique de l’arabe. L’orgueil des docteurs musulmans répugnait à en ouvrir les sources à des infidèles; mais leur avarice fut encore plus forte que leurs scrupules; et moyennant quelques bourses, la science si vantée de la grammaire et du nahou fut introduite chez les chrétiens. Le sujet qui se distingua le plus par les progrès qu’il y fit, fut un nommé Abd-allah-zâker; il y joignit un zèle particulier à promulguer ses connaissances et ses opinions. On ne peut déterminer les suites qu’eût pu avoir cet esprit de prosélytisme dans Alep; mais un accident ordinaire en Turkie vint en déranger la marche. Les schismatiques, blessés des attaques d’Abd-allah, sollicitèrent sa perte à Constantinople. Le patriarche, excité par ses prêtres, le représenta au vizir comme un homme dangereux: le vizir, qui connaissait les usages, feignit d’abord de ne rien croire; mais le patriarche ayant appuyé ses raisons de quelques bourses, le vizir lui délivra un kat-chérîf, ou noble-seing du sultan, qui, selon la coutume, portait ordre de couper la tête à Abd-allah. Heureusement il fut prévenu assez à temps pour s’échapper; et il se sauva dans le Liban où sa vie était en sûreté; mais en quittant son pays, il ne perdit pas ses idées de réforme, et il résolut plus que jamais de répandre ses opinions. Il ne le pouvait plus que par des écrits: la voie des manuscrits lui parut insuffisante. Il connaissait les avantages de l’imprimerie: il eut le courage de former le triple projet d’écrire, de fondre et d’imprimer; et il parvint à l’exécuter par son esprit, sa fortune, et son talent de graveur, qu’il avait déja exercé dans la profession de joaillier. Il avait besoin d’un associé, et il eut le bonheur d’en trouver un qui partagea ses desseins: son frère, qui était supérieur à Mar-hanna,