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petits enfants le traversent sans se mouiller les reins. L’ouverture, qui est à la pointe même, est défendue par deux tours correspondantes, où jadis l’on attachait une chaîne de 50 à 60 pieds pour fermer entièrement le port. De ces tours part une ligne de murs qui, après avoir protégé le bassin du côté de la mer, enfermait l’île entière; mais aujourd’hui l’on n’en suit la trace que par les fondations qui bordent le rivage, excepté dans le voisinage du port, où les Motouâlis firent, il y a 20 ans, quelques réparations, déja en ruines. Plus loin en mer, au nord-ouest de la pointe, à la distance d’environ 300 pas, est une ligne de roches à fleur d’eau. L’espace qui les sépare du rivage du continent en face, forme une espèce de rade où les vaisseaux mouillent avec plus de sûreté qu’à Saide, sans cependant être hors de danger; car le vent du nord-ouest les bat fortement, et le fond fatigue les câbles. En rentrant dans l’île, l’on observe que le village en laisse libre la partie qui donne sur la pleine mer, c’est-à-dire à l’ouest. Cet espace sert de jardin aux habitants; mais telle est leur inertie, que l’on y trouve plus de ronces que de légumes. La partie du sud est sablonneuse et plus couverte de décombres. Toute la population du village consiste en 50 à 60 pauvres familles, qui vivent obscurément de quelques cultures de grain, et d’un peu de pêche. Les maisons qu’elles occupent ne sont plus, comme au temps de Strabon, des édifices à 3 et 4 étages, mais de chétives huttes prêtes à s’écrouler. Ci-devant elles étaient sans défense du côté de terre; mais les Motouâlis, qui s’en emparèrent en 1766, les fermèrent d’un mur de 20 pieds de haut qui subsiste encore. L’édifice le plus remarquable est une masure qui se trouve à l’angle du sud-est. Ce fut une église chrétienne, bâtie probablement par les Croisés; il n’en reste que la partie du chœur: tout auprès, parmi des monceaux de pierres, sont couchées deux belles colonnes à triple fût de granit rouge, d’une espèce inconnue en Syrie. Djezzâr, qui a dépouillé tous ces cantons pour orner sa mosquée d’Acre, a voulu les enlever; mais ses ingénieurs n’ont pas même pu les remuer.

      En sortant du village sur l’isthme, on trouve à cent pas de la porte une tour ruinée, dans laquelle est un puits où les femmes viennent chercher l’eau: ce puits a quinze ou seize pieds de profondeur; mais l’eau n’en a pas plus de deux ou trois; l’on n’en boit pas de meilleure sur toute la côte. Par un phénomène dont on ignore la raison, elle se trouble en septembre, et elle devient, pendant quelques jours, pleine d’une argile rougeâtre. C’est l’occasion d’une grande fête pour les habitants; ils viennent alors en troupe à ce puits, et ils y versent un seau d’eau de mer qui, selon eux, a la vertu de rendre la limpidité à l’eau de la source. Si l’on continue de marcher sur l’isthme, vers le continent, l’on rencontre, de distance en distance, des ruines d’arcades qui conduisent en ligne droite à un monticule, le seul qu’il y ait dans la plaine. Ce monticule n’est point factice comme ceux du désert; c’est un rocher naturel d’environ 150 pas de circuit sur 40 à 50 pieds d’élévation; l’on n’y trouve qu’une maison en ruines et le tombeau d’un chaik ou santon28, remarquable par le dôme blanc qui le couvre. La distance de ce rocher à Sour est d’un quart d’heure de marche au pas du cheval. A mesure que l’on s’en rapproche, les arcades dont j’ai parlé deviennent plus fréquentes et plus basses; elles finissent par former une ligne continue, qui du pied du rocher tourne tout à coup par un angle droit au midi, et marche obliquement par la campagne vers la mer; on en suit la file pendant une grande heure de marche au pas du cheval. C’est dans cette route que l’on reconnaît, au canal qui règne sur les arches, cette construction pour un aqueduc. Ce canal a environ trois pieds de large sur deux et demi de profondeur; il est formé d’un ciment plus dur que les pierres mêmes; enfin l’on arrive à des puits où il aboutit, ou plutôt d’où il tire son origine. Ces puits sont ceux que quelques voyageurs ont appelés puits de Salomon; mais dans le pays, on ne les connaît que sous le nom de Ras-el-àên, c’est-à-dire, tête de la source. L’on en compte un principal, deux moindres, et plusieurs petits; tous forment un massif de maçonnerie qui n’est point en pierre taillée ou brute, mais en ciment mêlé de cailloux de mer. Du côté du sud, ce massif saille de terre d’environ 18 pieds, et de 15 du côté du nord. De ce même côté s’offre une pente assez large et assez douce, pour que des chariots puissent monter jusqu’au haut. Quand on y est monté, l’on trouve un spectacle bien étonnant; car au lieu d’être basse ou à niveau de terre, l’eau se présente au niveau des bords de l’esplanade, c’est-à-dire que sa colonne qui remplit le puits est élevée de 15 pieds plus haut que le sol. En outre, cette eau n’est point calme; mais elle ressemble à un torrent qui bouillonne, et elle se répand à flots par des canaux pratiqués à la surface du puits. Telle est son abondance, qu’elle peut faire marcher trois moulins qui sont auprès, et qu’elle forme un petit ruisseau dès avant la mer, qui en est distante de 400 pas. La bouche du puits principal est un octogone, dont chaque côté a 23 pieds 3 pouces de long, ce qui suppose 61 pieds au diamètre. L’on prétend que ce puits n’a point de fond; mais le voyageur Laroque assure que de son temps on le trouva à 36 brasses. Il est remarquable que le mouvement de l’eau à la surface a rongé les parois intérieures du puits, au point que le bord ne porte plus sur rien, et qu’il forme une demi-voûte suspendue sur l’eau. Parmi les canaux qui en partent, il en est un principal qui se joint à celui des arches dont j’ai parlé. Au moyen de ces arches, l’eau se portait jadis d’abord au rocher, puis du rocher par l’isthme, à la tour où l’on puise l’eau. Du reste, la campagne est une plaine d’environ deux lieues de large, ceinte d’une chaîne de montagnes assez hautes, qui règnent depuis la Qâsmié jusqu’au cap Blanc. Le sol est une terre grasse et noirâtre, où l’on cultive avec succès le peu de blé et de coton que l’on y sème.

      Tel est le local de Tyr, sur lequel il se présente quelques observations relatives à l’état de l’ancienne ville. On sait que jusqu’au temps où Nabukodonosor en fit le siége, Tyr fut située dans le continent; l’on en désigne l’emplacement à palæ-Tyrus, c’est-à-dire, auprès des puits; mais dans ce cas, pourquoi cet aqueduc conduit-il à tant de frais29 des puits au rocher? Dira-t-on qu’il fut construit après que les Tyriens eurent passé l’île? Mais dès avant Salmanasar, c’est-à-dire 136 ans avant Nabukodonosor, leurs annales en font mention comme existant déja. «Du temps d’Eululæus, roi de Tyr, dit l’historien Ménandre, cité par Josèphe30, Salmanasar, roi d’Assyrie, ayant porté la guerre en Phénicie, plusieurs villes se soumirent à ses armes; les Tyriens lui résistèrent; mais bientôt abandonnés par Sidon, Acre et palæ-Tyrus, qui dépendaient d’eux, ils furent réduits à leurs forces. Cependant ils continuèrent de se défendre; et Salmanasar, rappelé à Ninive, laissa des corps-de-garde près des ruisseaux et de l’aqueduc pour en interdire l’eau. Cette gêne dura cinq ans, pendant lesquels les Tyriens s’abreuvèrent au moyen des puits qu’ils creusèrent.»

      Si palæ-Tyrus fut un lieu dépendant de Tyr, Tyr était donc ailleurs; elle n’était point dans l’île, puisque les habitants n’y passèrent qu’après Nabukodonosor. Elle était donc au rocher, qui en a dû être le siége primitif. Le nom de cette ville en fait preuve; car tsour en phénicien signifie rocher et le lieu fort. C’est là que s’établit cette colonie de Sidoniens, chassés du leur patrie deux cent quarante ans avant le temple de Salomon. Ils choisirent cette position, parce qu’ils y trouvèrent l’avantage d’un lieu propre à la défense, et celui d’une rade très-voisine qui, sous la protection de l’île, pouvait couvrir beaucoup de vaisseaux. La population de cette colonie s’étant accrue par le laps des temps et par le commerce, les Tyriens eurent besoin de plus d’eau, et ils construisirent l’aqueduc. L’activité qu’on leur voit déployer au temps de Salomon engageait à l’attribuer à ce siècle. Dans tous les cas, il est très-ancien, puisque l’eau de l’aqueduc a eu le temps de former par ses filtrations des stalactites considérables. Plusieurs tombant des flancs du canal, ou de l’intérieur des voûtes, ont obstrué des arches entières. Pour s’assurer de l’aqueduc, l’on dut

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<p>28</p>

Chez les Musulmans, le terme de chaik prend les sens divers de santon, d’ermite, d’idiot et de fou. Ils ont pour les imbéciles le même respect religieux qui existait au temps de David.

<p>29</p>

La largeur des piles des arches est de neuf pieds.

<p>30</p>

Antiq. Judaic. lib. 9, c. 14.