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question dans les anciens. L'auteur rapporte dans chaque article l'origine du nom, les variations qu'il a éprouvées chez les différents peuples et les différents auteurs, et lève ainsi les difficultés, les équivoques et les erreurs auxquelles ces variations ont donné lieu.

      Deux autres de ses ouvrages en prose latine sont historiques. Le premier est un Traité Des infortunes des Hommes et des Femmes illustres 47. Il commence par Adam et Ève, et descend jusqu'aux personnages de son temps. Le second est intitulé: Des Femmes célèbres 48, et s'étend aussi depuis Ève jusqu'à la reine Jeanne de Naples. Boccace n'oublie pas d'y parler d'une autre Jeanne qui a fait beaucoup de bruit dans le monde, mais qui est un personnage plus fabuleux qu'historique: c'est la papesse Jeanne. Dans quelques éditions, une gravure en bois la représente même en habits pontificaux, et entourée de toute la cour romaine, surprise par l'accident qui révéla son sexe, et se délivrant d'un fardeau dont le chef de l'Église ne dut jamais être chargé. L'un et l'autre ouvrage sont assez dans le genre du Traité de Pétrarque, intitulé: Des Choses mémorables; mais la latinité n'y est pas à beaucoup près aussi pure, et ne se rapproche pas autant de celle des bons siècles de Rome.

      Cette différence est encore plus sensible dans les vers que dans la prose. Boccace a laissé seize églogues 49, dont plusieurs sont assez longues, et qui ont presque toutes pour sujet des faits qui lui sont particuliers, ou des traits de l'histoire de son temps, ce qui, joint à la dureté et à l'obscurité du style, les rend le plus souvent aussi difficiles à entendre que peu agréables à lire. Par exemple, la troisième églogue est intitulée Faunus, et ce Faune, qui est le principal interlocuteur, est Francesco degli Ordelaffi, seigneur d'Imola, de Césène et de Forli. Il était intime ami de Boccace, qui lui avait donné ce nom de Faune à cause de sa passion pour la chasse et pour le séjour des forêts 50. Il eut des aventures extraordinaires, dont l'histoire de ce siècle fait mention, et auxquelles font allusion plusieurs passages de cette églogue. On n'entend rien à ces passages, si l'on ne connaît cette clef, et si l'on ne consulte l'histoire. La quatrième est intitulée Dorus; sous ce nom, le poëte a voulu désigner Louis, roi de Sicile; et la fuite de ce jeune roi, époux de la reine Jeanne, qui était fugitive comme lui 51, est le sujet de cette églogue. Boccace nous apprend lui-même 52 que, comme Louis était sans doute dévoré d'amertume en se voyant chassé de ses états, et que le mot grec doris, signifie amertume, il lui a donné le nom de Dorus. Il y a deux autres interlocuteurs, Montanus et Pithyas.

      Le premier peut être pris pour un habitant quelconque de Volterre, parce que cette ville est située sur une montagne, et que le roi y fut bien reçu dans sa fuite; Boccace entend, par le second, le grand sénéchal 53, qui n'abandonna point ce prince, et qui fut pour lui ce que Pithyas fut pour Damon, selon Valère Maxime, dans son chapitre De l'Amitié. La cinquième églogue a pour titre Sylva cadens, la forêt tombante; et ce n'est point une forêt que Boccace y a voulu peindre, mais la ville de Naples désolée, dépeuplée, et presque abattue et tombante par le chagrin que lui cause la fuite de son roi. Dans cette forêt, qui est une ville, les troupeaux, les moutons, les bœufs, tristes et malades, sont les habitants affligés. Le sujet de la sixième églogue est le retour du roi Louis, qui ne s'y appelle plus Dorus, mais Alcestus, parce qu'il était devenu un très-bon roi, et qu'il se portait avec ardeur à la vertu. Or, alce, en grec, selon Boccace, signifie vertu; et æstus, en latin, veut dire ardeur ou chaleur. Cela est contraire à la règle des étymologies, qui défend de tirer celle du même mot de deux langues différentes; mais on n'y regardait pas alors de si près.

      Dans la septième églogue et dans les suivantes, ce n'est plus de Naples qu'il est question, mais de Florence. Les querelles entre cette république et les empereurs, sont peintes dans l'une, intitulés Jurgium, sous l'emblême dispute entre le berger Daphnis, qui est l'empereur, et la bergère Florida, qui est Florence; l'autre, qui a pour titre Midas, représente la tyrannie d'un maître avare; et le poëte a donné pour interlocuteurs au roi de Phrygie, Damon et Pithyas, ces deux modèles antiques de l'amitié. Dans une autre, la neuvième, l'embarras et l'incertitude où se trouve Florence lors du couronnement de l'empereur, sont indiqués par le titre de Lipis, attendu que ce mot, toujours selon Boccace, veut dire en grec anxiété, incertitude 54; et l'un des interlocuteurs, qui est le Florentin, se nomme Batrachos, mot qui signifie, en grec, une grenouille, «parce que, dit l'auteur, nous autres Florentins nous sommes bavards et poltrons comme des grenouilles.» La dixième églogue est intitulée la Vallée obscure, parce qu'il y est question des enfers, lieu où le jour ne luit jamais. L'interlocuteur Lycidas, désigne un tyran, du grec lycos, loup, animal rapace et cruel, comme le sont les tyrans; l'autre interlocuteur Dorilas, est un esclave qui vit toujours dans l'amertume; et comme le poëte a donné dans une autre églogue le nom de Dorus au roi Louis, et qu'il ne convient pas qu'un homme du peuple ait le même nom qu'un roi, il appelle celui-ci, par diminutif, Dorilas. Panthéon est la titre de la onzième églogue, où l'on ne parle que du ciel, de Dieu et des choses divines. L'Église y paraît sous le nom de Myrile; et, par son interlocuteur Glaucus, l'auteur entend saint Pierre; car, dit-il, Glaucus était un pêcheur qui, ayant goûté d'une certaine herbe, se jeta tout d'un coup dans la mer, et fut mis au nombre des dieux marins. Pierre fut un pêcheur aussi; ayant goûté la doctrine du Christ, il se jeta dans les flots, c'est-à-dire, à travers les menaces et les fureurs des ennemis du nom chrétien, et il devint ainsi Dieu lui-même, c'est-à-dire saint 55. – Tout cela est dit de très-bonne foi, et il faut avouer que l'auteur de ces allégories paraît fort différent de celui du Décaméron. Rapprochons-nous un peu de cet ouvrage, en parlant de ceux que Boccace écrivit en langue vulgaire.

      La poésie fut son premier amour, et même il l'aima toute sa vie: studium fuit alma poësis. Nous avons cependant vu comment il traita ses vers italiens quand il eût connu ceux de Pétrarque. Mais ce ne furent sans doute que des sonnets et d'autres poésies amoureuses qu'il livra aux flammes. Il épargna les grands poëmes qui lui avaient coûté plus de travail, et dont il devait toujours retirer la gloire d'avoir essayé le premier en langue vulgaire, une sorte d'épopée, et d'être l'inventeur de l'ottava rima, forme poétique si heureuse, qu'un seul poëte excepté 56, elle fut ensuite adoptée par tous les épiques italiens. Les formes principales qui existaient jusqu'alors dans la poésie italienne ne pouvaient convenir à une narration suivie. Le sonnet et la canzone étaient décidément appropriés au genre lyrique. La terza rima avait quelque chose de contraint et d'austère, et les repos ne s'y faisaient pas assez sentir pour le chant qui, dès l'origine, accompagna la poésie épique ou narrative. L'entrelacement des six premiers vers de l'octave sur deux seules rimes, et la chute des deux derniers, qui riment l'un avec l'autre, et sur lesquels paraît s'appuyer l'octave entière, furent l'invention d'une oreille délicate; et quoiqu'elle ait des inconvénients, qui ont influé plus qu'on ne pense sur quelques vices reprochés à l'épopée italienne, et dont l'épopée des anciens était exempte, il faut qu'elle ait de grands avantages, pour avoir été si généralement adoptée.

      On a vu aussi, dans la vie de Boccace, que la Théséide fut le premier poëme qu'il composa, et qu'il le fit à Naples pour plaire à sa chère Fiammetta. C'est donc dans la Théséide que parut, pour la première fois, la forme harmonieuse de l'ottava rima, dont Boccace est généralement reconnu pour inventeur 57; et ce fut le premier poëme où, renonçant aux visions et aux songes, qui étaient devenus pour les fictions poétiques comme un cadre universel, l'auteur, à l'exemple des anciens poëtes, imagina une action, une fable, et la conduisit, par des aventures diverses, à un dénouement. Ces deux circonstances suffisent pour faire de la Théséide un monument littéraire qui ne sera jamais sans intérêt.

      Le

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<p>47</p>

De casibus Virorum et Fæminarum illustrium, lib. IX.

<p>48</p>

De claris Mulieribus.

<p>49</p>

Imprimées à Florence, par Philippo di Giunta, 1504, in-8.

<p>50</p>

Ces explications des Églogues de Boccace ont été données par lui-même; elles sont tirées d'une de ses lettres latines, conservées en manuscrit dans la bibliothèque Laurentienne, et dont Manni a publié tous les passages relatifs à ces mêmes explications, Istor. del Decamer., p. 55 et suiv. Elle a été imprimée toute entière dans une Dissertation historique de Domenico Antonio Gondolfo, de l'ordre des Augustins, sur deux cents écrivains célèbres du même ordre. Rome, 1704, in-4., à l'article de frère Martin de Signa, à qui elle fut adressée par l'auteur.

<p>51</p>

Lorsque Louis de Hongrie eut envahi le royaume de Naples, pour venger le meurtre de son frère André.

<p>52</p>

Dans la lettre citée ci-dessus.

<p>53</p>

Nicolas Acciajuoli.

<p>54</p>

Lipis grœcè, latinè dicitur anxietas. Ub. supr.

<p>55</p>

Il serait trop long de rapporter l'explication des cinq dernières Églogues. On peut les voir, ub. supr., p. 60, 61 et 62. Je citerai pourtant ici la quinzième, intitulée Philostropus, de philos, ami, et strepo, tourner, convertir; Boccace y représente sa conversion, et il avoue qu'il la doit à l'amitié. Sous le nom de Philostropus, dit-il lui-même, j'entends mon illustre maître François Pétrarque, dont les conseils m'ont souvent engagé à quitter les plaisirs du monde pour les choses de l'éternité, et qui est ainsi parvenu, sinon à changer tout-à-fait, du moins à beaucoup améliorer mes penchants; et je me désigne moi-même sous le nom de Thiplos, qui peut aussi convenir à tout autre homme aveuglé comme moi par le faux éclat des choses mortelles, parce que thiphos, en grec (il a voulu dire typhlos), signifie un aveugle.

<p>56</p>

Le Trissino.

<p>57</p>

Le Trissino, dans sa Poétique; le Crescimbeni, dans son Hist. de la Poésie vulgaire, et presque tous les auteurs italiens, attribuent cette invention à Boccace. Le Crescimbeni croit cependant, t. I, p. 199, que la première origine de ce rhythme est due aux Siciliens. Le Bembo, en adoptant cette opinion, observe que les anciens Siciliens ne composaient pourtant l'octave que sur deux rimes, et que l'addition d'une troisième rime, pour les deux derniers vers, appartient aux Toscans. Prose, Flor. 1549, p. 70. En effet, dans le Recueil de l'Allacci (Poeti Antichi raccolti da codici manoscr., etc., Napoli, 1661), on trouve une canzone de Giovanni de Buonandrea, dont les quatre strophes sont de huit vers andécasyllabes, sur deux seules rimes croisées. M. Baldelli (p. 33, note), en citant d'autres auteurs qui ont été de la même opinion que le Bembo, convient avec sa candeur accoutumée, que l'octave avec trois rimes a été employée en France, avant Boccace, par Thibault, comte de Champagne, et il rapporte toute entière, une de ces octaves citée par Pasquier (Recherches de la France, Paris, 1617, p. 724. Amsterdam, 1723, t. I, col. 791.)

Au Rinouviau de la doulsour d'estéQue reclaircit li doiz à la fontaine,Et que son vert bois, et verger, et pré,Et li rosiers en may florit et graine;Lors chanterai que trop m'ara grevéIre et esmay, qui m'est au cuer prochaine:Et fins amis à tort acoisonnez,

Et moult souvent de léger effréez.Mais il ne paraît pas que ce rhythme agréable, que l'oreille délicate du comte de Champagne lui avait inspiré, eût été adopté et fût devenu commun en France. En Italie, les Toscans furent sûrement les premiers à en faire usage; et Boccace, le premier de tous, soit qu'il connût la chanson de Thibault, soit qu'il ne la connût pas, employa, dans sa Théséide, l'octave à trois rimes, telle qu'elle est restée depuis.