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La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 06
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
–Il marche! il marche! s'écria le timonier avec un accent joyeux qui indiquait la crainte qu'il avait eue un instant qu'au lieu de suivre intelligemment et fidèlement la route qui était tracée, le Van-Guard ne roulât sur les brisants dont il était entouré.
–Sondez! cria Nelson.
–Sept brasses, répondit Henry.
–Des brisants à l'avant! cria le matelot en vigie dans la hune de misaine.
–Des brisants à tribord! cria le matelot appuyé au bossoir d'avant.
–La barre à tribord! cria Nelson d'une voix tonnante; toute! toute! toute!
Cette triple répétition du commandement de l'amiral indiquait l'imminence du danger. Le vaisseau en effet, n'obéit qu'au moment où l'effort réuni de deux matelots porta la barre toute à tribord et quand l'extrémité du boute-hors s'étendait déjà au dessus de l'écume.
Tout ce qu'il y avait d'hommes sur le pont avaient suivi avec anxiété le mouvement du vaisseau. Dix secondes de résistance au gouvernail, et il touchait.
Par malheur, en appuyant à bâbord, le bâtiment se trouva dans la ligne du vent, sans aucun obstacle pour le briser. Une rafale effroyable s'abattit sur le vaisseau, qui, pour la seconde fois, s'inclina sur tribord, si bien que l'extrémité de ses grandes vergues effleura le sommet argenté d'une vague. En même temps, les mâts plièrent en gémissant et, comme ils n'étaient pas soutenus par les basses voiles, les trois mâts de perroquet se brisèrent avec un bruit terrible.
–Des hommes dans les hunes avec des couteaux! cria Nelson. Coupez et jetez à la mer!
Une douzaine de matelots, pour obéir à cet ordre, se précipitèrent sur les haubans, qu'ils escaladèrent malgré leur inclinaison avec l'agilité d'une bande de quadrumanes, et, une fois arrivés au lieu de l'avarie, ils se mirent à tailler avec un tel acharnement, qu'au bout de quelques minutes, voiles, vergues et mâtereaux, tout était à la mer.
Le vaisseau se redressa lentement; mais, au moment où il se redressait, un énorme paquet de mer entra dans la civadière, qui, ne pouvant porter un pareil poids, brisa sa vergue avec un craquement qui eût pu faire croire que le bâtiment s'entr'ouvrait.
Cette fois encore, il venait d'échapper miraculeusement au naufrage. Les marins reprirent haleine et regardèrent autour d'eux, comme des hommes qui reviennent à la vie après un évanouissement.
Au même instant, une voix de femme se fit entendre, criant:
–Milord, au nom du ciel, descendez près de nous!
Nelson reconnut la voix d'Emma Lyonna appelant à l'aide. Il jeta un regard anxieux autour de lui. A l'arrière, il avait Stromboli fumant et grondant; à tribord et à bâbord, l'immensité; à l'avant, une nappe d'eau qui s'étendait jusqu'aux côtes de Calabre, et sur laquelle le vaisseau, majestueusement sorti des écueils, tanguait mutilé, mais vainqueur.
Nelson donna l'ordre d'abaisser les petits huniers et de naviguer grand largue avec les huniers, la misaine, le clin-foc et le petit foc.
Puis, ayant remis à Henry le porte-voix, c'est-à-dire le signe du commandement, il se hâta de descendre l'escalier de la dunette, au bas duquel il trouva Emma Lyonna.
–Oh! mon ami, dit-elle, venez, venez vite! Le roi est fou de terreur, la reine est évanouie, et le jeune prince est mort!
Nelson entra. Le roi, en effet, était à genoux, la tête enfoncée dans les coussins d'un fauteuil, et la reine était renversée sur un divan, tenant entre ses bras le cadavre de son fils!
CII
OU LE ROI RECOUVRE ENFIN L'APPÉTIT
Les scènes qui s'étaient passées sur le pont et que nous avons essayé de décrire, avaient eu, comme on le comprend bien, leur contre-partie dans la grande salle. Le mouvement extraordinaire du vaisseau, le sifflement de la tempête, les éclats du tonnerre, les manoeuvres précipitées, les demandes de Nelson, les réponses de Henry, rien n'avait été perdu pour les illustres fugitifs. Mais c'était surtout au moment où, sortant des récifs, le vaisseau avait reçu, par le travers, le terrible coup de vent qui l'avait courbé sous lui, que le roi, la reine et Emma Lyonna elle-même avaient cru leur dernière heure arrivée. L'inclinaison du Van-Guard avait été telle, en effet, que les boulets s'étaient échappés de leurs cases, installées dans les intervalles des canons, et, roulant sur la pente du vaisseau avec un bruit terrible, avaient imprimé, par ce tonnerre intérieur dont on ne pouvait pas se rendre compte, une suprême terreur aux passagers.
Quant au pauvre petit prince, nous avons vu ce qu'il avait souffert pendant la traversée. Le mal de mer était arrivé chez lui à son paroxysme. A chaque mouvement violent du vaisseau, il était saisi d'effroyables convulsions, d'autant plus douloureuses, que, depuis le matin, il refusait de rien prendre, même de la main d'Emma, quoique ce fût sur ses genoux qu'il se tînt constamment, ne mangeant rien depuis deux jours, passant successivement des vomissements aux convulsions et des convulsions aux vomissements. Il avait, lors de l'inclinaison du Van-Guard, éprouvé une si forte secousse et ressenti une si grande terreur, qu'un vaisseau s'était brisé dans sa poitrine, que le sang s'était échappé de sa bouche et qu'après une courte agonie, il avait rendu le dernier soupir sur le sein d'Emma.
L'enfant était si faible, et le passage de la vie à la mort avait été si facile chez lui, qu'Emma, tout en s'effrayant de cette émission de sang et des mouvements convulsifs qui l'avaient suivie, avait pris son immobilité pour le repos qui suit une crise et que ce n'était qu'au bout de quelques instants que, reconnaissant la véritable cause de cette immobilité, elle s'était, dans un mouvement de suprême effroi, écriée sans ménagement aucun, soit qu'elle connût la philosophie de la reine, soit que sa terreur dédaignât les ménagements:
–Grand Dieu, madame, le prince est mort!
Ce cri, parti du fond des entrailles d'Emma, avait produit un effet bien opposé chez Caroline et chez Ferdinand.
La reine avait répondu:
–Pauvre enfant! tu nous précèdes de si peu dans la tombe, que ce n'est pas la peine de te pleurer. Mais, si jamais je reprends ma couronne, malheur, à ceux qui ont été cause de ta mort!
Un sinistre sourire avait suivi sa menace.
Puis, tendant les bras vers Emma:
–Donne-moi l'enfant, avait-elle dit.
Emma avait obéi, ne croyant pas que l'on pût refuser à une mère, si peu tendre qu'elle fût, le cadavre de son enfant.
Quant à Ferdinand, l'imminence du danger avait fait disparaître chez lui jusqu'aux traces du malaise dont il avait d'abord été atteint. N'osant point monter sur la dunette, après ce que lui avait fait dire Nelson de son désir qu'il restât dans la chambre haute afin de ne point gêner la manoeuvre par sa royale présence, il avait passé par toutes les angoisses du danger, angoisses d'autant plus grandes que, le danger lui étant inconnu, il ne pouvait l'apprécier, et que, si imminent qu'il fût, son imagination le lui faisait plus imminent encore. Aussi, lorsque les boulets, sortant de leurs cases au moment de l'inclinaison du vaisseau, envahirent la batterie haute avec un bruit semblable à celui du tonnerre, devint-il, comme l'avait dit Emma, presque fou de terreur, et, lorsque celle-ci eut crié: «Grand Dieu, madame, le prince est mort!» répéta-t-il ce cri à genoux, en exprimant son mépris pour saint Janvier, qui l'abandonnait dans une pareille extrémité, et à haute voix vota-t-il à saint François de Paule, bienheureux, de mille ans plus récent que saint Janvier, une église sur le modèle de Saint-Pierre de Rome.
Ce fut dans ce moment qu'Emma, ayant déposé le cadavre du jeune prince sur les genoux de sa mère et se trouvant libre, sortit de la chambre, courut jusqu'au pied de l'escalier de la dunette et appela Nelson.
Nelson jeta un coup d'oeil rapide autour de lui, vit, comme nous l'avons dit, la reine renversée sur un sofa, étreignant dans ses bras le cadavre de son fils, et le roi, en