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La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 06
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Si le vent tenait et que l'on continuât de faire route sur Palerme, il fallait courir des bordées toute la nuit et probablement toute la journée du lendemain.
C'était encore deux ou trois jours de mer à subir, et lady Hamilton affirmait que le jeune prince ne pouvait les supporter.
Si, au contraire, le même vent tenait et que l'on mît le cap sur Messine, comme on naviguait avec du largue, on pouvait, en profitant du courant, malgré le vent contraire, entrer dans le port pendant la nuit.
En agissant ainsi, Nelson ne relâchait point: il obéissait à un ordre du roi. Aussi se décida-t-il pour Messine.
–Henri, dit-il, faites signal à la Minerve.
–Lequel?
Il y eut un moment de silence.
Nelson réfléchissait dans quels termes l'ordre devait être donné pour sauvegarder son amour-propre.
–Le roi donne l'ordre au Van-Guard, dit-il, de se porter sur Messine. La Minerve peut continuer sa route vers Palerme.
Au bout de cinq minutes, l'ordre était transmis.
Caracciolo répondit qu'il allait obéir.
Nelson n'eut qu'à ouvrir très-légèrement sa voilure pour prendre de largue ce que le vent du sud pouvait en donner, et le timonier reçut l'ordre de mettre le cap de manière à avoir Salina au vent et à passer entre Panaria et Lipari.
Si le temps était trop mauvais, débarrassé qu'il était du contrôle de Caracciolo, Nelson se réfugiait dans le golfe de Sainte-Euphémie.
Cet ordre donné, Nelson jeta un dernier regard sur la Minerve, qui, sur cette mer houleuse, continuait à courir ses bordées avec la légèreté d'un oiseau, et, laissant la garde du bâtiment à Henry, il descendit à la grande chambre où le dîner était servi.
Personne n'y avait fait honneur, pas même le roi Ferdinand, si grand mangeur qu'il fût. Le mal de mer d'abord, puis une sourde et constante inquiétude avaient suspendu chez lui les sollicitations de l'appétit. Cependant, comme d'habitude, la vue de Nelson rassura les illustres fugitifs, et tout le monde se rapprocha de la table, excepté Emma Lyonna et le jeune prince, dont les vomissements redoublaient de violence et prenaient un caractère inquiétant.
Deux fois le chirurgien du bord, le docteur Beaty, était venu visiter l'enfant royal; mais, on le sait, aujourd'hui même, on ignore encore le spécifique qui peut calmer la terrible indisposition.
Le docteur Beaty s'était borné à ordonner l'emploi du thé ou de la limonade à grandes tasses. Mais le jeune prince ne voulait rien recevoir que de la main d'Emma Lyonna, de sorte que la reine, qui, au reste, ne comprenait pas toute la gravité de son état, avait, dans un moment de jalousie maternelle, complétement abandonné l'enfant aux soins de lady Hamilton.
Quant au roi, il était assez insensible aux souffrances des autres, et, quoiqu'il aimât ses enfants d'un amour plus grand que celui de la reine, des préoccupations personnelles l'empêchaient de donner à la maladie du jeune prince toute l'attention qu'elle méritait.
Nelson s'approcha de l'enfant pour s'approcher d'Emma Lyonna.
Depuis quelque temps, le vent mollissait et le vaisseau se balançait lourdement sur la houle. Au supplice des virements de bord avait succédé celui du roulis.
–Voyez! dit Emma en présentant à Nelson le corps presque inanimé de l'enfant.
–Oui, répondit Nelson, je comprends pourquoi la reine m'a fait demander si je ne pouvais pas entrer dans quelque port. Par malheur, je n'en connais pas un dans tout l'archipel lipariote auquel je voudrais confier un vaisseau de la taille du Van-Guard, surtout quand il porte avec lui les destinées d'un royaume, et nous sommes encore loin de Messine, de Milazzo ou du golfe de Sainte-Euphémie!
–Il me semble, fit Emma, que la tempête se calme.
–Vous voulez dire que le vent tombe; car, de tempête, il n'y en a pas eu de la journée. Dieu nous garde de voir une tempête, milady, et dans ces parages surtout! Oui, le vent tombe; mais ce n'est qu'une trêve qu'il nous accorde, et je ne vous cacherai point que je crains une nuit pire que celle d'hier.
–Ce n'est point rassurant, ce que vous dites là, milord! interrompit la reine, qui s'était approchée doucement de la cabine et qui, parlant anglais, avait entendu et compris ce que disait Nelson.
–Mais Votre Majesté peut être certaine, au moins, que le respect et le dévouement veillent sur elle, répondit Nelson.
En ce moment, la porte de la chambre haute s'ouvrit, et le lieutenant Parkenson s'informa si l'amiral n'était point près de Leurs Majestés.
Nelson entendit la voix du jeune officier et alla au-devant de lui.
Tous deux échangèrent quelques paroles à voix basse.
–C'est bien, dit Nelson assez haut et reprenant le ton du commandement; faites mettre les canons à la serre et faites les amarrer par le plus fort grelin que vous pourrez trouver. Je monte sur le pont… Madame, ajouta Nelson, si je n'avais pas un précieux chargement, je laisserais le capitaine Henry gouverner le vaisseau à sa guise; mais, ayant l'honneur d'avoir Votre Majesté à mon bord, je ne m'en rapporte qu'à moi du soin de le diriger. Que Votre Majesté ne s'inquiète donc point si je me prive sitôt du bonheur de demeurer auprès d'elle.
Et il s'avança rapidement vers la porte.
–Attendez, attendez, milord, dit Ferdinand, je monte avec vous.
–Que dit Sa Majesté? demanda Nelson, qui ne comprenait pas l'italien.
La reine lui traduisit la demande de son époux.
–Pour Dieu, madame, dit Nelson, obtenez du roi qu'il reste ici. Sur la dunette, il intimidera les officiers et gênera la manoeuvre.
La reine transmit à son mari la demande de Nelson.
–Ah! Caracciolo! Caracciolo! murmura le roi en tombant sur un fauteuil.
Nelson n'eut besoin que de mettre le pied sur la dunette pour voir que non-seulement quelque chose de grave, mais encore quelque chose d'insolite se passait à bord.
La chose grave, c'était non plus un grain, mais une tempête qui s'amassait au ciel.
La chose insolite, c'était la boussole qui avait perdu sa fixité et qui variait du nord à l'est.
Nelson comprit aussitôt que le voisinage du volcan créait des courants magnétiques, dont l'aiguille aimantée subissait l'influence.
Par malheur, la nuit était sombre; il n'y avait pas au ciel une étoile sur laquelle le bâtiment pût se guider, à défaut de la boussole, devenue insensée.
Si le vent du sud continuait à mollir, si la mer calmissait, le danger devenait moindre et même disparaissait. On mettait le bâtiment en panne et l'on attendait le jour. Mais, par malheur, il n'en était point ainsi, et il était évident que le vent ne tombait au sud que pour souffler d'un autre côté.
Les dernières bouffées du vent du sud s'affaiblirent par degrés et s'éteignirent tout à fait, et bientôt on entendit les lourdes voiles fouetter les mâts. Un calme effrayant s'abattit sur les flots. Matelots et officiers se regardèrent avec angoisse. Et ce silence menaçant du ciel semblait une trêve donnée par un ennemi généreux mais mortel, pour laisser à ceux qu'il allait combattre le temps de se préparer à la lutte. La flamme d'une lumière se fût élevée verticalement vers le ciel. L'eau clapotait tristement contre les flancs du navire, et il sortait des profondeurs de la mer des sons inconnus pleins d'une mystérieuse solennité.
–Voilà une terrible nuit qui s'apprête, milord, dit Henry.
–Bon! fit Nelson, pas si terrible que la journée d'Aboukir.
–Est-ce le tonnerre que l'on entend? et, dans ce cas, comment se fait-il que, l'orage venant à l'arrière, le tonnerre gronde à l'avant?
–Ce n'est point le tonnerre,