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La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 06
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le grain qui avait failli jeter Nelson sur les côtes de Capri avait atteint Caracciolo mais d'une façon moins sensible. D'abord, une partie de sa violence avait été brisée par les hauts sommets de l'île qui se trouvaient au vent; ensuite, ayant à manoeuvrer un bâtiment plus léger, l'amiral napolitain lui avait commandé plus facilement que Nelson n'avait pu le faire au lourd Van-Guard, encore tout mutilé par les boulets d'Aboukir.
Aussi, quand, au point du jour, après avoir pris deux ou trois heures de repos, Nelson remonta sur la dunette de son bâtiment, vit-il que, lorsque, avec grand'peine, il était parvenu à doubler Capri, Caracciolo et son bâtiment étaient à la hauteur du cap Licosa, c'est-à-dire avaient de quinze à vingt milles d'avance sur lui.
Il y avait plus: tandis que Nelson naviguait seulement sous ses trois huniers, sa brigantine et son petit foc, lui avait conservé toutes ses voiles, et, à chaque virement de bord, gagnait dans le vent.
Malheureusement, dans ce moment, le roi monta à son tour sur la dunette, et vit Nelson, qui, sa lunette à la main, suivait d'un oeil jaloux la marche de la Minerve.
–Eh bien, demanda-t-il à Henry, où en sommes-nous?
–Vous le voyez, sire, répliqua Henry, nous venons de doubler Capri.
–Comment! dit le roi, ce rocher est encore Capri?
–Oui, sire.
–De sorte que, depuis hier trois heures du soir, nous avons fait vingt-six ou vingt-huit milles?
–A peu près.
–Que dit le roi? demanda Nelson.
–Il s'étonne que nous n'ayons pas fait plus de chemin, milord.
Nelson haussa les épaules.
Le roi devina la question de l'amiral et la réponse du capitaine, et, comme le geste de Nelson lui avait paru peu respectueux, il résolut de s'en venger en humiliant son orgueil.
–Que regardait donc milord, demanda-t-il, quand je suis monté sur la dunette?
–Un bâtiment qui est sous le vent à nous.
–Vous voulez dire en avant de nous, capitaine.
–L'un et l'autre.
–Et quel est ce bâtiment? Je ne présume pas qu'il appartienne à notre flotte.
–Pourquoi cela, sire?
–Parce que, le Van-Guard étant le meilleur bâtiment et milord Nelson le meilleur marin de la flotte, aucun bâtiment ni aucun capitaine, il me semble, ne peuvent les dépasser.
–Que dit le roi? demanda Nelson.
Henry traduisit à l'amiral anglais la réponse de Ferdinand.
Nelson se mordit les lèvres.
–Le roi a raison, dit-il, nul ne devrait dépasser le vaisseau amiral, surtout lorsqu'il a l'honneur de porter Leurs Majestés. Aussi, celui qui a commis cette inconvenance va-t-il en être puni, et à l'instant même. Capitaine Henry, faites signe à M. le prince Caracciolo de ne plus gagner dans le vent et de nous attendre.
Ferdinand avait deviné, au visage de Nelson, que le coup avait porté, et, ayant compris, à son intonation brève et impérative, que l'amiral anglais donnait un ordre, il suivit des yeux le capitaine Henry, pour lui voir accomplir cet ordre.
Henry descendit de la dunette, resta quelques minutes absent et revint avec divers pavillons arrangés dans un certain ordre, qu'il fit attacher lui-même à la drisse des signaux.
–Avez-vous fait prévenir la reine, dit Nelson, qu'un coup de canon allait être tiré et qu'elle ne s'en inquiétât point?
–Oui, milord, répondit Henry.
En effet, au même moment, une détonation se fit entendre et une colonne de fumée jaillit de la batterie supérieure.
Les cinq pavillons apportés par Henry montèrent en même temps à la drisse des signaux, transmettant l'ordre de Nelson dans toute sa brutalité.
Le coup de canon avait pour but d'attirer l'attention de la Minerve, qui hissa un pavillon pour indiquer qu'elle prêtait attention au signal du Van-Guard.
Mais, quelque effet que produisît sur lui la vue des signaux, Caracciolo ne s'empressa pas moins d'obéir.
Il amena ses perroquets, cargua sa misaine et sa grande voile, et tint ses voiles en ralingue.
Nelson, la lunette à la main, suivait la manoeuvre ordonnée par lui. Il vit les voiles de la Minerve fasier: la brigantine et le foc seuls restèrent pleins, et la frégate perdit les trois quarts de sa vitesse, tandis qu'au contraire Nelson, voyant une espèce d'accalmie dans le temps, fit hisser toutes ses voiles, jusqu'à celles de perroquet.
En quelques heures, le Van-Guard eut rattrapé son avantage sur la Minerve. Ce fut alors seulement que celle-ci remit du vent dans ses voiles.
Mais, quoique, à son tour, Caracciolo ne naviguât plus que sous ses huniers, sa brigantine et son foc, tout en se tenant d'un quart de mille en arrière du Van-Guard, il ne perdit pas un pouce de terrain sur le lourd colosse chargé de toutes ses voiles.
CI
LA TEMPÊTE
En voyant la facilité de la Minerve et comment, pareille à un bon cheval, elle semblait obéir à son commandant, Ferdinand, commençait à regretter de ne s'être point embarqué avec son vieil ami Caracciolo, comme il lui avait promis de le faire, au lieu de s'embarquer sur le Van-Guard.
Il descendit dans la grande chambre et trouva la reine et les jeunes princesses assez calmes. Depuis le jour venu, elles avaient pris quelque repos. Le jeune prince Albert seul, délicat de santé, avait été atteint de vomissements et était couché sur la poitrine d'Emma Lyonna, qui, admirable dans son dévouement, n'avait pas pris un instant de repos et ne s'était occupée que de la reine et de ses enfants.
On courut des bordées toute la journée; seulement, les bordées devenaient d'autant plus fatigantes que la mer était devenue plus dure. A chaque virement de bord, les souffrances du jeune prince redoublaient.
Vers trois heures de l'après-midi, Emma Lyonna monta sur le pont. Il ne fallait pas moins que sa présence pour dérider le front de Nelson. Elle venait lui dire que le prince était très-mal et que la reine faisait demander s'il n'y avait pas moyen d'atterrir quelque part ou de changer de route.
On était à la hauteur d'Amantea, à peu près: on pouvait relâcher dans le golfe de Sainte-Euphémie. Mais que penserait Caracciolo? Que le Van-Guard n'avait pas pu tenir la mer, et que Nelson, ce vainqueur des hommes, avait été à son tour vaincu par la mer?
Ses désastres maritimes étaient célèbres presque à l'égal de ses victoires. Il y avait un mois à peine que, dans le golfe de Lyon, son bâtiment, dans un coup de vent, avait été démâté de ses trois mâts, et était rentré dans le port de Cagliari rasé comme un ponton, à la remorque d'un autre de ses bâtiments, moins endommagé que lui.
Il interrogea l'horizon avec cet oeil profond du marin, à qui tous les signes du danger sont connus.
Le temps n'était point rassurant. Le soleil, perdu dans les nuages, qu'il teignait à grand'peine d'une lueur jaunâtre, s'affaissait lentement à l'occident, en coupant le ciel de ces irradiations qui annoncent du vent pour le lendemain, et qui font dire aux pilotes: «Gare à nous! le soleil est affourché sur ses ancres!» Le Stromboli, que l'on commençait d'entendre gronder dans le lointain, était complétement perdu, ainsi que l'archipel d'îles au-dessus desquelles il s'élève, dans une masse de vapeurs qui semblaient flotter sur la mer et venir au-devant des fugitifs. Du côté opposé, c'est-à-dire vers le nord, le temps était assez dégagé; mais, aussi loin que l'oeil pouvait s'étendre, on ne voyait d'autre bâtiment que la Minerve, qui, opérant exactement