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La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 06
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
–Puis-je rassurer la reine et lui dire qu'il n'y a pas de danger? demanda le roi, qui n'était point fâché d'être rassuré lui-même en passant.
–Oui, sire, répondit Henry. Avec l'aide de Dieu, milord et moi répondons de tout.
Le roi descendit, toujours suivi de Jupiter, qui, soit redoublement de malaise, soit pressentiment comme en ont parfois les animaux à l'approche du danger, le suivit en gémissant. Comme l'avait annoncé Henry, quelques minutes s'étaient à peine écoulées, que le grain s'abattait sur le Van-Guard et qu'avec un effroyable accompagnement de tonnerre et un déluge de pluie, il déclarait la guerre à toute la flotte.
Ferdinand jouait de malheur: après qu'il avait été trahi par la terre, la mer à son tour le trahissait.
Malgré l'assurance que lui avait donnée le roi en descendant près d'elle, la reine, aux premières secousses qu'éprouva le vaisseau et aux premiers gémissements qu'il poussa, comprit que le Van-Guard était aux prises avec l'ouragan. Placée immédiatement au-dessous du pont, elle entendait sans en rien perdre ce piétinement pressé et irrégulier des matelots qui indique le danger par les efforts que l'on fait pour lutter contre lui. Elle était assise sur son lit, avec toute sa famille groupée autour d'elle, et Emma, comme d'habitude, couchée à ses pieds.
Lady Hamilton, épargnée par le mal de mer, s'était entièrement vouée aux soins à donner à la reine, aux jeunes princesses et aux deux jeunes princes, Albert et Léopold. Elle ne se levait des pieds de la reine que pour donner une tasse de thé aux uns, un verre d'eau sucrée aux autres, pour embrasser au front sa royale amie, en lui disant quelques-unes de ces paroles qui rendent le courage en indiquant le dévouement.
Au bout d'une demi-heure, Nelson descendit à son tour. Le grain était passé; mais un grain qui n'est parfois qu'un simple accident destiné à épurer le ciel, est parfois aussi l'avant-coureur d'une tempête. Il ne pouvait donc dire à la reine que tout était fini et lui promettre une nuit parfaitement tranquille.
Sur son invitation, il s'assit et prit une tasse de thé. Les enfants de la reine, le jeune prince Albert excepté, s'étaient endormis, et la fatigue et l'insouciance de l'âge, avaient triomphé de la crainte qui, autant que le malaise, tenait leurs parents éveillés.
Nelson était depuis un quart d'heure à peu près dans la grande chambre, et, depuis cinq minutes déjà, il semblait interroger les mouvements du vaisseau, lorsque l'on gratta à la porte, et que, sur l'invitation de la reine, cette porte s'ouvrant, un jeune officier parut sur le seuil.
C'était évidemment pour Nelson qu'il venait.
–C'est vous, monsieur Parkenson? dit l'amiral. Qu'y a-t-il?
–Milord, c'est M. le capitaine Henry, répondit le jeune homme, qui m'envoie dire à Votre Seigneurie que, depuis cinq minutes, les vents ont passé au sud, et que, si nous continuons la même bordée, nous serons jetés sur Capri.
–Eh bien, dit Nelson, virez de bord.
–Milord, la mer est dure, le navire fatigue et a perdu toute sa vitesse.
–Ah! ah! dit Nelson. Et vous avez peur de manquer à virer?
–Le navire cule.
Nelson se leva, salua la reine et le roi avec un sourire, et suivit le lieutenant.
Le roi, nous l'avons dit, ne savait pas l'anglais; la reine le savait; mais, les termes de marine ne lui étant pas familiers, elle avait compris seulement qu'il venait de surgir un nouveau danger; elle interrogea Emma des yeux.
–Il paraît, répondit Emma, qu'il y a à exécuter une manoeuvre difficile, et qu'on n'ose le faire en l'absence de milord.
La reine fronça Le sourcil et poussa une espèce de gémissement; Emma, chancelant sur le plancher mobile, alla écouter à la porte.
Nelson, qui comprenait le danger, était remonté vivement sur la dunette. Le vent, comme l'avait dit le lieutenant Parkenson, avait sauté au sud; il faisait sirocco, et le bâtiment avait le vent complétement debout.
L'amiral jeta un regard rapide et inquiet autour de lui. Le temps, nuageux toujours, s'était cependant éclairci. Capri se dessinait à bâbord, et l'on s'en était approché au point de distinguer, à la pâle lueur de la lune, tamisée à travers les nuages, les points blancs indiquant les maisons. Mais ce que l'on distinguait surtout, c'était une large frange d'écume blanchissant sur toute la longueur de l'île et indiquant avec quelle fureur la vague s'y brisait.
A peine Nelson eut-il jeté un coup d'oeil autour de lui, qu'il jugea la situation. Le vent du sud avait masqué la voilure: les mâts, surchargés de toile, craquaient. De sa voix bien connue de l'équipage, il cria:
–Changez la barre! changez derrière!
Et, s'adressant au capitaine Henry:
–Virons en culant! ajouta-t-il.
La manoeuvre était hasardeuse. Si le vaisseau manquait son abattée, il était jeté à la côte.
A peine fut-elle commencée, qu'on eût cru que le vent et la mer avaient compris le commandement de Nelson et s'entendaient pour s'y opposer. La voile du petit hunier pesant de plus en plus sur le mât de hune, le mât plia comme un roseau et fit entendre un craquement terrible. S'il se rompait, le bâtiment était perdu.
En ce moment d'angoisses, Nelson sentit quelque chose peser légèrement à son bras gauche. Il tourna la tête: c'était Emma.
Ses lèvres s'appuyèrent au front de la jeune femme avec une fiévreuse énergie, et, frappant du pied, comme si le navire eût pu l'entendre:
–Vire donc! murmura-t-il, vire donc!
Le navire obéit. Il fit son abattée, et, après quelques minutes de doute, se trouva courant, bâbord amures, à l'ouest-nord-ouest.
–Bon! murmura Nelson en respirant, nous avons maintenant cent cinquante lieues de mer devant nous avant de rencontrer la côte.
–Ma chère lady Hamilton, dit une voix, ayez la bonté de me traduire en italien ce que vient de dire milord.
Cette voix était celle du roi, qui, ayant vu sortir Emma, l'avait suivie, et, derrière elle, était monté sur la dunette.
Emma lui donna l'explication des paroles de Nelson.
–Mais, dit le roi, qui n'avait aucune notion de l'art maritime, il me semble que nous n'allons point en Sicile et qu'au contraire le bâtiment, comme disent les marins, a le cap sur la Corse.
Emma transmit à Nelson l'observation du roi.
–Sire, répondit Nelson avec une certaine impatience, nous nous élevons au vent pour courir des bordées, et, si Sa Majesté me fait l'honneur de rester sur la dunette, elle va, dans vingt minutes, nous voir virer de bord et rattraper le temps et le chemin que nous avons perdus.
–Virer de bord? Oui, je comprends, dit le roi: c'est faire ce que vous venez de faire tout à l'heure. Mais est-ce que vous ne pourriez pas virer de bord un peu moins souvent? Tout à l'heure, il m'a semblé que vous m'arrachiez l'âme.
–Sire, si nous étions dans l'Atlantique et que, vent debout, j'allasse des Açores à Rio-de-Janeiro, je ferais, pour épargner à Votre Majesté une indisposition à laquelle je suis sujet moi-même et que, par conséquent, je connais, des virements de bord de soixante et de quatre-vingts milles; mais nous sommes dans la Méditerranée, nous allons de Naples à Palerme, et nous devons faire des virements de bord de trois en trois milles au plus. Au reste, continua Nelson en jetant un regard sur Capri, dont on s'éloignait de plus en plus, Sa Majesté peut rentrer tranquillement dans son appartement et rassurer la reine. Je réponds de tout.
A son tour, le roi respira, quoiqu'il n'eût point entendu directement les paroles de Nelson; Nelson les avait prononcées avec une telle conviction, que cette conviction était passée dans le coeur d'Emma, et, du coeur d'Emma, dans celui du roi.
Ferdinand