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rien changer à la rédaction de Fabien.

      VII

Ce octobre, 18…

      Cette nuit j'ai été prévenu, à une heure du matin, qu'un duel devait avoir lieu entre monsieur Henry de Faverne et monsieur Olivier d'Hornoy, et que ce dernier me faisait prier de les accompagner sur le terrain.

      Je me rendis chez lui à cinq heures précises.

      A six heures nous étions allée de la Muette, lieu du rendez-vous.

      A six heures un quart, monsieur Henry de Faverne tombait blessé d'un coup d'épée.

      Je m'élançai aussitôt vers lui, tandis qu'Olivier et ses témoins remontaient en voiture et reprenaient le chemin de Paris; le blessé était évanoui.

      Il était évident, en effet, que la blessure était sinon mortelle du moins des plus graves: la pointe du fer triangulaire entrait, du côté droit et était sortie de plusieurs pouces du côté gauche.

      Je pratiquai à l'instant même une saignée.

      J'avais recommandé au cocher de prendre, en revenant, l'avenue de Neuilly et les Champs-Elysées, d'abord parce que cette route était la plus courte, mais surtout parce que la voiture, pouvant rouler continuellement sur la terre, devait moins fatiguer le blessé.

      En arrivant à la hauteur de l'Arc-de-Triomphe, monsieur de Faverne donna quelques signes de vie; sa main s'agita et, paraissant chercher le siége d'une douleur profonde, s'arrêta sur sa poitrine.

      Deux ou trois soupirs étouffés, qui firent jaillir le sang par sa double plaie, s'échappèrent péniblement de sa bouche. Enfin il entr'ouvrit les yeux, regarda ses deux témoins; puis, fixant son regard sur moi, me reconnut, et, faisant un effort, murmura:

      – Ah! c'est vous, docteur? Je vous en supplie, ne m'abandonnez pas; je me sens bien mal.

      Puis, épuisé par cet effort, il referma les yeux, et une légère écume rougeâtre vint humecter ses lèvres.

      Il était évident que le poumon était offensé.

      – Soyez tranquille, lui dis-je; vous êtes gravement blessé, il est vrai, mais la blessure n'est pas mortelle.

      Il ne me répondit pas, n'ouvrit pas les yeux, mais je sentis qu'il me serrait faiblement la main avec laquelle je lui tâtais le pouls.

      Tant que la voiture roula sur la terre, tout alla bien; mais en arrivant à la place de la Révolution, le cocher fut obligé de prendre le pavé, et alors les soubresauts de la voiture parurent faire tant souffrir le malade, que je demandai à ses témoins si l'un d'eux ne demeurait pas dans le voisinage, afin d'épargner au blessé le chemin qui lui restait à faire jusqu'à la rue Taitbout.

      Mais à cette demande que, malgré son insensibilité apparente, monsieur de Faverne entendit, il s'écria:

      – Non, non, chez moi!

      Convaincu que l'impatience morale ne pouvait qu'ajouter au danger physique, j'abandonnai donc ma première idée, et laissai le cocher continuer sa route.

      Après dix minutes d'angoisses, et pendant lesquelles je voyais à chaque cahot se contracter douloureusement la figure du blessé, nous arrivâmes rue Taitbout, n° 11.

      Monsieur de Faverne demeurait au premier.

      Un des témoins monta prévenir les domestiques, afin qu'ils vinssent nous aider à transporter leur maître: deux laquais en livrée éclatante et galonnée sur toutes les coutures descendirent.

      J'ai l'habitude de juger les hommes noti seulement par eux-mêmes, mais encore par ceux qui les entourent; j'examinai donc ces deux valets: ni l'un ni l'autre ne montra le moindre intérêt au blessé.

      Il était évident qu'ils étaient au service de monsieur de Faverne depuis peu de temps, et que ce service ne leur avait inspiré pour leur maître aucune sympathie.

      Nous traversâmes une suite d'appartemens qui me parurent somptueusement meublés, mais que je ne pus examiner en détail; et nous arrivâmes à la chambre à coucher; le lit était encore défait, comme l'avait laissé son maître.

      Le long de la tenture, du côté du chevet, à la portée de la main, étaient deux pistolets et un poignard turc.

      Nous étendîmes le blessé sur son lit, les deux domestiques et moi, car les témoins, jugeant leur présence inutile, étaient déjà partis.

      Voyant que la blessure ne voulait pas saigner davantage, j'opérai alors le pansement.

      Le pansement fini, le blessé lit signe aux valets de se retirer, et nous restâmes seuls.

      Malgré le peu d'intérêt que j'avais pris jusque-là à monsieur de Faverne, pour lequel j'éprouvai alors je ne sais quelle répulsion, l'isolement où j'allais le laisser m'attrista.

      Je regardai autour de moi, fixant particulièrement mes yeux sur les portes, et m'attendant toujours à voir entrer quelqu'un, mais mon attente fut trompée.

      Cependant je ne pouvais rester plus longtemps près de lui, mes occupations journalières m'appelaient: il était sept heures et demie, et à huit heures je devais être à la Charité.

      – N'avez-vous donc personne pour vous soigner? lui demandai-je.

      – Personne, répondit-il d'une voix sourde.

      – Vous n'avez pas un père, une mère, un parent?

      – Personne.

      – Une maîtresse?

      Il secoua la tête en soupirant, et il me sembla qu'il murmura le nom de Louise, mais ce nom resta si inarticulé que je demeurai dans le doute.

      – Je ne puis pourtant pas vous abandonner ainsi, repris-je.

      – Envoyez-moi une garde, balbutia le blessé, et dites-lui que je la paierai bien.

      Je me levai pour le quitter.

      – Vous vous en allez déjà?.. me dit-il.

      – Il le faut, j'ai mes malades; si c'étaient des riches, peut-être aurais-je le droit de les faire attendre; mais ce sont des pauvres, je dois être exact.

      – Vous reviendrez dans la journée, n'est-ce pas.

      – Oui, si vous le désirez.

      – Certainement, docteur, et le plus tôt possible, n'est-ce pas?

      – Le plus tôt possible.

      – Vous me le promettez?

      – Je vous le promets.

      – Allez donc!

      Je fis deux pas vers la porte, le blessé fit un mouvement comme pour me retenir et ouvrir la bouche:

      – Que désirez-vous? lui demandai-je.

      Il laissa retomber sa tête sur son oreiller sans me répondre.

      Je me rapprochai de lui.

      – Dites, continuai-je, et s'il est en mon pouvoir de vous rendre un service quelconque, je vous le rendrai.

      Il parut prendre une résolution.

      – Vous m'avez dit que la blessure n'était pas mortelle?

      – Je vous l'ai dit.

      – Pouvez-vous m'en répondre?

      – Je le crois; mais cependant, si vous avez quelque arrangement à prendre…

      – C'est-à-dire, n'est-ce pas, que d'un moment à l'autre je puis mourir?

      Et il devint plus pâle qu'il n'était, et une sueur froide perla à la racine de ses cheveux.

      – Je vous ai dit que la blessure n'était pas mortelle, mais en même temps je vous ai dit qu'elle était grave.

      – Monsieur, je puis avoir confiance en votre parole, n'est-ce pas?

      – Il ne faut rien demander à ceux dont on doute…

      – Non, non, je ne doute pas

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