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dis au garde-chiourme que, loin de désirer qu'on me rendît Gabriel Lambert, j'eusse été le premier à demander qu'on me débarrassât de cet homme, dont la figure me déplaisait.

      Puis je n'en ouvris plus la bouche, et personne ne m'en souffla le mot.

      Je restai encore quinze jours à Toulon, et pendant ces quinze jours la barque et son équipage demeurèrent à mon service.

      Seulement j'annonçai d'avance mon départ.

      Je désirais que cette nouvelle parvînt à Gabriel Lambert.

      Je voulais voir s'il se souviendrait de la parole d'honneur qu'il m'avait donnée.

      La dernière journée s'écoula sans que rien m'indiquât que mon homme se disposât le moins du monde à tenir sa promesse; et, je l'avoue, je me reprochais déjà ma discrétion, lorsqu'en prenant congé de mes gens, je vis Rossignol jeter un coup d'œil sur la pierre où j'avais déjà trouvé la lettre.

      Ce coup d'œil était si significatif que je le compris à l'instant même; je répondis par un signe qui voulait dire: C'est bien.

      Puis, tandis que ces malheureux, désespérés de me quitter, car les quinze jours qu'ils avaient passés à mon service avaient été pour eux quinze jours de fête, s'éloignaient de la bastide en ramant, j'allai lever la pierre, et sous la pierre je trouvai une carte.

      Une carte écrite à la main, mais qu'on eût juré être gravée.

      Sur cette carte, je lus:

      «Le vicomte HENRY DE FAVERNE.»

      III

      LE FOYER DE L'OPÉRA

      Gabriel Lambert avait raison, ce nom seul me disait, sinon tout, du moins une partie de ce que je désirais savoir.

      – C'est juste, Henry de Faverne! m'écriai-je, Henry de Faverne, c'est cela! Comment diable ne l'ai-je pas reconnu!

      Il est vrai que je n'avais vu celui qui portait ce nom que deux fois, mais c'était dans des circonstances où ses traits s'étaient profondément gravés dans ma mémoire.

      C'était à la troisième représentation de Robert le Diable; je me promenais pendant l'entr'acte au foyer de l'Opéra, avec un de mes amis, le baron Olivier d'Hornoy.

      Je venais de le retrouver le soir même, après une absence de trois ans.

      Des affaires d'intérêt l'avaient appelé à la Guadeloupe, où sa famille avait des possessions considérables, et depuis un mois seulement il était de retour des colonies.

      Je l'avais revu avec grand plaisir, car autrefois nous avions été fort liés.

      Deux fois, en allant et en venant, nous croisâmes un homme, qui à chaque fois le regarda avec une affectation qui me frappa.

      Nous allions le rencontrer une troisième fois, lorsque Olivier me dit:

      – Vous est-il égal de vous promener dans le corridor au lieu de vous promener ici?

      – Parfaitement, lui répondis-je; mais pourquoi cela?

      – Je vais vous le dire, reprit-il.

      Nous fîmes quelques pas et nous nous trouvâmes dans le corridor.

      – Parce que, continua Olivier, nous avons croisé deux fois un homme.

      – Qui vous a regardé d'une singulière façon, je l'ai remarqué. Qu'est-ce que cet homme?

      – Je ne puis le dire précisément, mais ce que je sais, c'est qu'il a l'air de chercher à avoir une affaire avec moi, tandis que moi je ne me soucierais pas le moins du monde d'avoir une affaire avec lui.

      – Et depuis quand donc, mon cher Olivier, craignez-vous les affaires? Vous aviez autrefois, si je me le rappelle bien, la fatale réputation de les chercher plutôt que de les fuir.

      – Oui, sans doute, je me bats quand il le faut; mais, vous le savez, on ne se bat pas avec tout le monde.

      – Je comprends, cet homme est un chevalier d'industrie.

      – Je n'en ai aucune certitude, mais j'en ai peur.

      – En ce cas, mon cher, vous avez parfaitement raison; la vie est un capital qu'il ne faut risquer que contre un capital à peu près équivalent; celui qui fait autrement joue un jeu de dupe.

      En ce moment la porte d'une loge s'ouvrit, et une jeune et jolie femme fit coquettement signe de la main à Olivier qu'elle désirait lui parler.

      – Pardon, mon cher, il faut que je vous quitte.

      – Pour longtemps?

      – Non, continuez de vous promener dans le corridor, et avant dix minutes je vous rejoins.

      – A merveille.

      Je continuai de me promener seul pendant le temps indiqué, et je me trouvais du côté opposé à celui où j'avais quitté Olivier, lorsque j'entendis tout à coup une grande rumeur, et que je vis les autres promeneurs se porter du côté où cette rumeur était née; je m'avançai comme tout le monde, et je vis sortir d'un groupe Olivier qui, en m'apercevant, s'élança à mon bras en me disant:

      – Venez, mon cher; sortons.

      – Qu'y a-t-il donc? demandai-je, et pourquoi ôtes-vous si pâle?

      – Il y a que ce que j'avais prévu est arrivé; cet homme m'a insulté, et il faut que je me batte avec lui; mais venez vite chez moi ou chez vous, je vous conterai tout cela.

      Nous descendîmes rapidement l'un des escaliers; l'étranger descendait l'autre; il tenait son mouchoir sur son visage, et son mouchoir était taché de sang.

      Olivier et lui se rencontrèrent à la porte.

      – Vous n'oublierez pas, monsieur, dit l'étranger à haute voix, de manière à être entendu de tout le monde, que je vous attends demain à six heures au bois de Boulogne, allée de la Muette.

      – Eh! oui, monsieur, dit Olivier en haussant les épaules; c'est chose convenue.

      Et il fit un pas en arrière pour laisser passer son adversaire, qui sortit en se drapant dans son manteau, et avec la prétention visible de faire de l'effet.

      – Oh! mon Dieu! mon cher, dis-je à Olivier, qu'est-ce que ce monsieur? Et vous allez vous battre avec cela?

      – Il le faut, pardieu! bien.

      – Et pourquoi le faut-il?

      – Parce qu'il a levé la main sur moi, parce que je lui ai envoyé un coup de canne à travers la figure.

      – Vraiment?

      – Parole! une scène de crocheteur, tout ce qu'il y a de plus sale: j'en ai honte; mais que voulez-vous? c'est ainsi.

      – Mais qu'est-ce que c'est donc que ce manant-là, qui croit qu'on est obligé de donner à des gens comme nous des soufflets pour les faire battre?

      – Ce que c'est? c'est un monsieur qui se fait appeler le vicomte Henry de Faverne.

      – Henry de Faverne? je ne connais pas cela.

      – Ni moi non plus.

      – Eh bien! comment avez-vous une affaire avec un homme que vous ne connaissez pas?

      – C'est justement parce que je ne le connais pas que j'ai avec lui une affaire: cela vous paraît étrange; qu'en dites-vous?

      – Je l'avoue.

      – Je vais vous raconter cela. Tenez, il fait beau, au lieu de nous enfermer entre quatre murailles, voulez-vous venir jusqu'à la Madeleine?

      – Jusqu'où vous voudrez.

      – Voici ce que c'est: ce monsieur Henry de Faverne a des chevaux superbes et joue un jeu fou, sans qu'on lui connaisse aucune fortune au soleil; au reste, payant fort bien ce qu'il achète ou ce qu'il perd: de ce côté il n'y a rien à dire. Mais comme il est, à ce qu'il paraît, sur le point de se marier,

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