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de Faverne en devint plus livide encore, si la chose était possible, et Olivier plus souriant.

      Alors monsieur de Faverne changea de garde, plia sur ses genoux, écarta les jambes à la manière des maîtres italiens, et recommença les mêmes coups, mais en les accompagnant de ces cris qu'ont l'habitude de pousser, pour effrayer leurs adversaires, les prévôts de régiment.

      Mais ce changement d'attaque n'eut aucune influence sur Olivier: sans reculer d'un pas, sans rompre d'une semelle, sans précipiter un seul de ses mouvemens, son épée se lia à celle de son adversaire ou la précéda alternativement, comme s'il eût pu deviner les coups que celui-ci allait lui porter.

      Il avait véritablement, comme il l'avait dit, un sang-froid terrible.

      La sueur de l'impuissance et de la fatigue coulait sur le front de monsieur de Faverne; les muscles de son cou et de ses bras se gonflaient comme des cordes; mais sa main se fatiguait visiblement, et l'on comprenait que si l'épée n'était maintenue à son poignet par le foulard, à la première attaque un peu vive de son adversaire, son épée lui tomberait des mains.

      Olivier, au contraire, continuait déjouer avec la sienne.

      Nous regardions en silence ce jeu terrible, dont il nous était facile de deviner le résultat d'avance. Comme l'avait dit Olivier, on pouvait deviner que monsieur de Faverne était un homme perdu.

      Enfin, au bout d'un instant, un sourire plus caractérisé se dessina sur les lèvres d'Olivier; à son tour il simula un ou deux coups, puis un éclair passa dans ses yeux; il se fendit, et d'un simple dégagement, mais si serré, si vif que nous ne pûmes pas le suivre des yeux, il lui passa son épée au travers du corps.

      Puis, sans prendre la précaution d'usage en pareil cas, c'est-à-dire de se rejeter en arrière par un pas de retraite, il abaissa son épée sanglante et attendit.

      Monsieur de Faverne jeta un cri, porta la main gauche à sa blessure, secoua sa main droite pour la débarrasser de l'épée, qui, liée à son poignet, lui pesait comme une masse, puis, passant d'une pâleur livide à une pâleur cadavéreuse, il chancela un instant et tomba évanoui.

      Olivier, sans le perdre tout à fait de l'œil, se retourna vers Fabien.

      – Maintenant, docteur, dit-il de son son de voix habituel, et sans que la trace de la moindre émotion se fît reconnaître, maintenant, docteur, je crois que le reste vous regarde.

      Fabien était déjà près du blessé.

      Non-seulement l'épée lui avait traversé le corps, mais elle avait encore été trouer la chemise flottante, tant le coup avait été profond; le sang remontait à plus de dix-huit pouces sur la lame.

      – Tenez, mon cher, me dit Olivier, voici votre épée; c'est étonnant comme elle est montée à ma main. Chez qui l'avez-vous achetée?

      – Chez Devismes.

      – Ayez donc la bonté de m'en commander une paire pareille.

      – Gardez celles-ci; vous vous en servez trop bien pour vous les reprendre.

      – Merci, ça me fera plaisir de les avoir.

      Puis, se retournant vers le blessé:

      – Je crois que je l'ai tué, dit-il; j'en serais fâché; je ne sais pourquoi il me semble que ce malheureux-là ne doit point mourir de la main d'un honnête homme.

      Puis, comme nous n'avions plus rien à faire là, que monsieur de Faverne était entre les mains de Fabien, c'est-à-dire d'un des plus habiles docteurs de Paris, nous remontâmes dans notre voiture, tandis qu'on portait le blessé dans la sienne.

      Deux heures après, je reçus une magnifique pipe turque qu'Olivier m'envoyait en échange de mes épées.

      Le soir, j'allai en personne prendre des nouvelles de monsieur de Faverne; le lendemain, j'envoyai mon domestique; le troisième jour, ma carte; puis comme, ce troisième jour, j'appris que, grâce aux soins de Fabien, il était hors de danger, je cessai de m'occuper de lui.

      Deux mois après, à mon tour, je reçus sa carte.

      Puis je partis pour un voyage, et je ne le revis plus que le jour où je le retrouvai au bagne.

      Olivier ne s'était pas trompé sur l'avenir de cet homme.

      VI

      LE MANUSCRIT

      On devine alors combien je fus curieux de connaître les événemens qui avaient conduit aux galères cet homme, que, comme il le disait lui-même, j'avais rencontré dans le monde.

      Je songeai alors tout naturellement à Fabien, qui, l'ayant soigné de la terrible blessure que lui avait faite Olivier, devait avoir recueilli sur cet homme de curieux détails.

      Aussi ma première visite, à mon retour à Paris, fut-elle pour lui. Je ne m'étais pas trompé; Fabien, qui a l'habitude d'écrire jour par jour tout ce qu'il fait, alla à son secrétaire, et, parmi plusieurs cahiers de papier séparés les uns des autres, en chercha un qu'il me remit.

      – Tenez, mon ami, me dit-il, vous trouverez là dedans tous les renseignemens que vous désirez avoir; je vous les confie, faites-en ce que vous voudrez, mais ne les perdez pas; ce cahier fait partie d'un grand ouvrage que je compte faire sur les maladies morales que j'ai traitées.

      – Ah, diable! mon cher, lui dis-je, il y aurait là un trésor pour moi.

      – Aussi, cher ami, soyez tranquille; si je meurs d'un certain anévrisme qui de temps en temps murmure tout bas aux oreilles de mon cœur que je ne suis que poussière, et que je dois m'attendre à retourner en poussière, ces cahiers vous sont destinés, et mon exécuteur testamentaire vous les remettra.

      – Je vous remercie de l'intention, mais j'espère ne jamais recevoir le cadeau crue vous me promettez; vous avez à peine trois ou quatre ans de plus que moi.

      – D'abord vous me flattez, j'en ai douze ou treize, si je ne me trompe; mais que fait l'âge en pareille circonstance? Je connais tel vieillard de soixante-dix ans qui est plus jeune que moi.

      – Allons donc! vous, docteur, vous avez de pareilles idées?

      – C'est justement parce que je suis docteur que je les ai. Tenez, voulez-vous voir la maladie que j'ai?.. la voilà.

      Il me conduisit devant un dessin parfaitement fait; il représentait l'anatomie du cœur.

      «J'ai fait faire ce dessin sur mes renseignemens et pour mon usage particulier, continua-t-il, afin de juger matériellement, si je puis parler ainsi, ma situation. Vous le voyez, c'est un anévrisme. Un jour, ce tissu-là crèvera; quand? je n'en sais rien; peut-être aujourd'hui, peut-être dans vingt ans; mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il crèvera; alors en trois secondes ce sera fini.

      «Et un beau matin, en déjeunant, vous entendrez dire:

      « – Tiens, ce pauvre Fabien, vous savez?

      « – Oui. Eh bien?

      « – Il est mort subitement.

      « – Bah! Et comment cela?

      « – Oh, mon Dieu! en tâtant le pouls à un malade. On l'a vu rougir, puis pâlir; il est tombé sans pousser un seul cri; on l'a relevé: il était mort.

      « – Tiens! c'est étrange!»

      «On en parlera deux jours dans le monde, huit jours à l'École de Médecine, quinze jours à l'Institut, et tout sera dit. Bonsoir, Fabien!

      – Vous êtes fou, mon cher.

      – C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.

      «Mais, mille fois pardon; il faut que je vous quitte, mon hôpital m'attend; voilà votre cahier, prenez-en copie et faites-en ce que vous voudrez. Adieu.»

      Je serrai une dernière fois la main de Fabien en signe de remercîment, et je pris congé de lui, tout joyeux et tout attristé à la fois: tout attristé de la prédiction qu'il venait de me faire, et tout joyeux des renseignemens que son cahier allait me donner.

      Aussi

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